La langue collégiale

PQ et bilinguisme



Faut-il relancer l'idée controversée d'étendre le filet de la loi 101 au collégial? La question se pose quand on regarde les statistiques sur la fréquentation du cégep français par les allophones.


Trente ans après l'entrée en vigueur de la loi 101, environ la moitié d'entre eux (48%) choisissent encore de poursuivre leurs études postsecondaires en anglais. Et il va sans dire que ce choix a plus d'impact à long terme sur le paysage linguistique québécois que celui de la langue dans laquelle on chante les comptines dans les CPE.
Étant donné que 96% des CPE offrent déjà leurs services en français, on comprend mal l'urgence d'obliger une poignée d'enfants d'immigrés, qui de toute façon fréquenteront l'école française, à aller dès le berceau dans un CPE francophone. Ce serait dépenser beaucoup d'énergie pour bien peu de résultats. Pauline Marois, qui a fini par désavouer lundi ses députés séduits par cette idée, semble l'avoir vite compris.
Si la question de la langue au collégial apparaît certainement moins futile que celle de la francisation des bébés, il serait exagéré de dire que l'avenir de langue française repose sur les épaules des cégépiens allophones. Les statistiques récentes montrent que la proportion d'allophones qui choisit de fréquenter le cégep français a tout de même augmenté légèrement depuis cinq ans, passant de 43% en 2001 à 47% à 2006. Une progression lente, mais constante. Cela dit, ce serait aussi faire preuve d'angélisme que de nier la force d'attraction de l'anglais. On a beau retourner les statistiques dans tous les sens, voir le verre à moitié plein ou à moitié vide, il reste que, bon an, mal an depuis 10 ans, un élève allophone sur deux fait le choix du cégep anglais - un choix qui a un impact à long terme sur la langue de travail. Dans une société minoritaire francophone, c'est loin d'être anodin.
La question est maintenant de savoir pourquoi un nombre important de collégiens font le choix du cégep anglais. En 2001, la commission Larose sur l'avenir de la langue française disait être convaincue que c'est le désir d'améliorer la connaissance de l'anglais qui pousse les jeunes à fréquenter les cégeps anglais. Et on ne parle pas ici que des élèves allophones. Quelque 4% des élèves de langue maternelle française choisissent aussi d'aller au collégial anglais (ce qui représentait plus de 6000 élèves en 2006). Un choix qui peut sembler tout à fait légitime compte tenu du fait que le système scolaire francophone québécois ne permet pas en ce moment à ses élèves d'en sortir avec une maîtrise adéquate de l'anglais. (Et que dire de la maîtrise du français)
Plaidant en faveur du libre choix, la commission Larose qualifiait de «mesure draconienne» la proposition d'étendre au collégial les obligations de la loi 101. On craignait une «dérive potentielle», estimant que «le débat est mal engagé lorsqu'il fait reposer surtout sur l'attitude d'une minorité d'étudiants au collégial, fils et filles de nouveaux arrivants pour la plupart, le sort du français au Québec.» Soit. La réflexion est encore plus pertinente six ans plus tard. On a eu assez du débat mal engagé sur les accommodements raisonnables. On n'a certainement pas besoin d'en ajouter en faisant le procès de jeunes qui aspirent à améliorer leur connaissance de l'anglais.
Que faire, alors? Dans son essai Nous, Jean-François Lisée propose une mesure moins draconienne que celle d'imposer la loi 101 au collégial, mais potentiellement tout aussi compliquée et controversée. Il s'agirait de fusionner les réseaux francophone et anglophone des cégeps de manière à avoir des cégeps nouveaux où les trois quarts de l'enseignement seraient prodigués en français, le quart en anglais. Voilà qui empêcherait, croit-il, une proportion importante de nos élites d'être formées dans un milieu anglophone. On se retrouverait ainsi, espère-t-il, avec une population étudiante vraiment bilingue à la sortie du cégep, tout en faisant un pas important pour la prédominance du français.
Je suis loin d'être sûre que cette solution laborieuse soit viable. Cela dit, elle a le mérite de proposer autre chose que le statu quo. Car on aurait tort de penser qu'il n'y a pas aussi «dérive potentielle» quand 50% de jeunes issus de l'immigration non francophone choisissent de poursuivre leur vie en anglais. On aurait tort de ne pas entendre le message qu'ils nous lancent.
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