La vie n'est pas une statistique

Commission Bouchard-Taylor : un bilan et la suite


Des propos surtout modérés ou pluralistes et une faible minorité de propos ouvertement racistes ou xénophobes. Voilà en somme le portrait statistique sans surprise dévoilé hier par la commission Bouchard-Taylor qui, pour faire taire les critiques, a compilé dans de petites cases aux contours un peu trop flous la part laissée aux propos hostiles ou blessants dans ses forums de citoyens.


Le coprésident Charles Taylor croit que ce que l'on retiendra surtout de cette «riche expérience de démocratie à la québécoise», c'est «l'appui massif aux immigrants» et «le désir très largement répandu d'instituer entre tous les Québécois des rapports de bonne entente». Malgré tout le respect que j'ai pour M. Taylor, permettez-moi d'en douter.
Si un de vos voisins vous insulte un jour sur six, disons toujours le samedi, il y a de bonnes chances que vous vous en rappeliez. Même si durant les cinq autres jours, lui ou d'autres vous envoient des fleurs et des mots d'amour. Il se peut même que ce sixième jour soit plus déterminant dans vos relations de bon voisinage que les cinq autres.
Je ne pense pas que la société québécoise soit plus raciste qu'une autre. Là n'est pas mon propos. D'ailleurs, je ne comprends pas pourquoi la Commission a choisi de ne considérer dans cette étude que les interventions de citoyens d'ascendance canadienne-française (identifiés vaguement d'après leur accent, leur nom de famille et la façon dont ils se décrivaient eux-mêmes, ce qui est encore plus absurde). Le fait d'être d'origine étrangère n'immunise pas contre le racisme. Plusieurs interventions entendues dans le cadre des forums de citoyens nous ont montré qu'il n'y a pas de frontières entre le «Nous» et le «Eux» dans ce domaine. Ne pas en tenir compte dans cette étude relève d'une vision plutôt manichéenne de la société, qui place les «méchants» Québécois «de souche» d'un côté et les «pauvres» immigrants-ou-autre-spécimens-avec-un-accent-et-un-nom-bizarre de l'autre.
La société québécoise n'est pas plus raciste qu'une autre, disais-je. Mais le fait d'avoir donné le crachoir à des gens ouvertement racistes ou bourrés de préjugés jour après jour, en direct à la télé, peut entraîner des conséquences sociales qu'il ne faudrait pas sous-estimer. Et ce, même si on a déterminé que seulement un propos sur six exprimé dans les forums de citoyens était soit ouvertement xénophobe ou raciste, soit blessant ou reflétant des stéréotypes.
Un sur six, d'un point de vue statistique, on peut dire que c'est peu. Mais en réalité, c'est énorme. Un sur six, c'est amplement suffisant pour donner de la légitimité à des discours hostiles. Amplement suffisant aussi pour laisser des traces dans la mémoire de ceux qui se sont sentis blessés par ces propos.
La vie n'est pas une statistique. L'existence même de la commission Bouchard-Taylor le prouve. On y a beaucoup parlé d'islam et d'islamisme. Le fait que les musulmans d'ici ne constituent que 1,4% de la population et que la majorité d'entre eux n'ont jamais demandé un accommodement de leur vie et ne veulent rien savoir de l'islamisme a pesé bien peu dans la balance émotive du débat. Ce qui est statistiquement négligeable est devenu dans l'imaginaire collectif très important. Le poids symbolique l'a emporté sur le poids réel.
Il en est de même avec ces statistiques publiées sur le faible taux d'interventions racistes à la commission. Même si les propos sensés étaient plus nombreux que les dérapages, ce que l'on retiendra surtout, une fois les micros fermés, ce sont les dérapages. Et au sixième jour, les efforts de bon voisinage devront être redoublés.
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