La commission des boules à mites

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor



En entendant les gens défiler à tour de rôle au confessionnal Bouchard-Taylor, on a parfois l'impression que le rapport dont va accoucher cette commission a en fait déjà été écrit... en 1990.


Nombreux sont ceux qui ont en effet rappelé que le présent exercice visant à définir nos valeurs communes, nos politiques d'intégration et d'immigration avait déjà été fait, d'une certaine façon, il y a 17 ans, sous le gouvernement de Robert Bourassa. Et qu'avait donné ce remue-méninges? Il avait donné un solide énoncé de politique qui s'appelait Au Québec pour bâtir ensemble. C'est dans ce document qu'il a été question pour la première fois d'un «contrat moral» garant d'une intégration réussie. On y identifiait trois traits fondamentaux qui caractérisent le Québec moderne: le français comme la langue commune, la démocratie et le pluralisme.
Dix-sept ans plus tard, cette idée de «contrat moral» dort toujours sur une tablette. Il est donc bien ironique de voir aujourd'hui le Parti libéral déterrer cette proposition qui n'a jamais été appliquée et la brandir comme une solution novatrice. Ironique aussi de voir comment il le fait timidement en hésitant à employer le mot «contrat», qui pourrait sans doute en effrayer certains. Le parti qui se targue d'être «LE» parti de l'inclusion ne voudrait surtout pas se faire accuser lui-même d'exploiter politiquement la question identitaire. Il ne voudrait pas qu'on puisse faire un rapprochement entre cette proposition et le controversé projet de loi sur l'identité du PQ. Il ne voudrait pas non plus que sa proposition soulève le même tollé que celui créé par l'ADQ qui proposait lui aussi, en 1994, un «contrat social» que signeraient les nouveaux arrivants en promettant «de vivre et de prospérer en français» au Québec. Tiens, tiens...
Ce n'est donc pas un «contrat» que le PLQ veut faire signer aux immigrés - même si ce terme est bel et bien employé dans son mémoire - mais une «déclaration de connaissances» des valeurs québécoises, a précisé Christian Ouellet, qui présentait le mémoire du PLQ devant la commission Bouchard-Taylor. Contrat ou pas, en prenant connaissance de cette proposition, certains ont tout de même crié au racisme et accusé le PLQ de sous-entendre que les immigrés étaient des êtres arriérés et immoraux. On a même dit qu'il s'agissait là d'une version édulcorée du code de vie raciste de Hérouxville.
La proposition du PLQ n'est pas raciste, pas plus que ne l'était le controversé projet de loi sur l'identité de Pauline Marois - dont les éléments les plus controversés ne figurent pas d'ailleurs dans le mémoire déposé par le PQ à la commission Bouchard-Taylor. De toute évidence, tout le monde marche sur des oeufs dans cette histoire. Le PLQ présente une version édulcorée de sa propre proposition de contrat moral d'intégration faite en 1990. De son côté, le PQ présente une version édulcorée de son projet de loi sur l'identité, qui apparaissait déjà en soi comme une version édulcorée du livre Nous de Jean-François Lisée. Artisan du projet de loi de Pauline Marois, Lisée va en effet beaucoup plus loin dans son livre en proposant, comme il le rappelait hier encore devant la Commission, que la citoyenneté québécoise des nouveaux arrivants et leur droit de vote soient conditionnels à la réussite d'un examen de français. La médiatisation du conseiller indisposerait certains péquistes qui dénonçaient hier dans Le Devoir, de façon anonyme, la confusion ainsi créée.
Tout le monde marche sur des oeufs, donc, sauf l'ADQ qui ni ne marche ni ne court, mais attend plutôt en silence de récolter les jaunes d'oeufs des autres pour se faire une mayonnaise plus tard, en espérant que ça lève.
Je disais que la proposition de contrat moral n'a rien de raciste. Mais ce n'est pas parce qu'elle n'a rien de raciste qu'elle est utile pour autant. À quoi ça sert de signer ce truc? Cela fera en sorte que les immigrés «ne seront pas surpris en arrivant ici», a expliqué Christian Ouellet. Mais surpris de quoi au juste? Surpris de ne pas avoir de job? Car c'est bien de ça dont il faudrait avertir les nouveaux arrivants. Avant toute chose, il faudrait leur dire que ce n'est pas parce qu'ils parlent français ou qu'on les a sélectionnés en fonction de leurs diplômes que ces mêmes diplômes seront reconnus ici.
Il va de soi que le nouvel arrivant doit savoir dans quelle société il atterrit. Il va de soi qu'il faut qu'il sache que cette société est une société francophone, démocratique et pluraliste. Mais en quoi le fait de signer un contrat ou une déclaration de connaissances ou même une déclaration de compétences transversales changera quoi que ce soit à son intégration? Les témoignages qui se succèdent devant la Commission nous montrent bien que, au-delà de tout ce blabla sur les foulards et les kirpans, ce dont l'immigrant a réellement besoin pour s'intégrer, ce n'est pas d'une déclaration signée, mais d'un travail. D'un contrat, un vrai.
Cela dit, les audiences de la commission Bouchard-Taylor nous ont aussi montré que beaucoup de Québécois sentent le besoin de mieux définir la société, ses valeurs, ses repères. En ce sens, l'idée de se donner un contrat social commun peut être utile dans la mesure où tous sont appelés à y adhérer, et pas juste les nouveaux arrivants. C'est d'ailleurs l'une des propositions faites par l'Institut de Nouveau Monde, hier. Il recommande que la Commission réaffirme les termes du «contrat moral d'intégration» de 1990 et étende l'application de ses principes aux relations entre tous les Québécois. Bref, on demande à la Commission de sortir des boules à mites un rapport oublié sur une tablette il y a 17 ans, en espérant que son propre rapport ne subisse pas le même sort.
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