À partir d'un texte de mars 1996 où je la comparais à Maurice Richard, je crois avoir été le premier à écrire sur Céline Dion comme phénomène identitaire québécois -- on me l'a assez reproché dans le monde universitaire... Jusqu'à son remariage de carnaval à Las Vegas et son installation au Caesar's Palace, je l'aimais beaucoup comme artiste et comme personnalité.
Par la suite, son énorme succès commercial à l'américaine sembla enterrer l'artiste au profit d'une sirupeuse «Celine» dont le personnage public sombrait dans la mièvrerie. Malgré sa fascinante prestation à Larry King Live lors de la tragédie de La Nouvelle-Orléans, je restais réservé à l'égard d'une star faisant maintenant l'objet de toutes les complaisances et de toutes les flatteries, de la part de gens qui levaient autrefois le nez sur elle.
Quelle surprise ce fut donc que de se retrouver séduit à nouveau par cette femme décidément hors du commun! Le déclic fut l'impressionnant vidéodisque de son spectacle à Las Vegas, montrant le travail, la discipline et la sensibilité qui sont à la base de l'excellence d'une artiste objectivement magnifique. Il fallait la suivre à la trace sur YouTube dans la campagne de promotion de son dernier disque -- États-Unis, France, Italie, Allemagne, Grande-Bretagne -- pour comprendre que l'on a affaire à un personnage beaucoup plus affirmé qu'auparavant, une Céline Dion nouvelle, quelque part transformée.
Nouvelle Céline
Ce qu'elle représente au Québec sur le plan identitaire n'est pourtant pas seulement positif, comme nous le verrons plus loin, pour des raisons qui tiennent moins au couple Dion-Angélil qu'aux Québécois eux-mêmes. Quand il est question de leur «Céline», ces derniers ont tendance à abdiquer tout sens critique, s'en tenant à des louanges sans nuances hors de propos pour une personnalité de cette force.
N'ayons donc pas peur de rappeler qu'en dépit de son grand succès populaire et commercial, Céline Dion n'est pas encore pleinement reconnue comme artiste aux États-Unis. Une certaine élite culturelle là-bas a tendance à snober ses interprétations jugées caricaturales, sans réelle émotion, à dévaluer des chansons que l'on estime commerciales et formatées. C'est presque devenu un sport national pour certains de se moquer d'une Céline Dion qui serait devenue la suprême incarnation du mauvais goût à la Las Vegas.
C'est évidemment injuste. A joué contre la Québécoise le fait que ses textes anglais étaient moins raffinés que leurs équivalents français, les élites de langue maternelle anglaise étant davantage sensibles à cette réalité. Le fait que la chanteuse n'était pas américaine a également eu un impact négatif. De façon révélatrice, la vision condescendante que certains Américains ont de Céline Dion rappelle l'attitude du milieu culturel québécois à son égard jusqu'au milieu des années 90. Comme ce fut le cas chez nous, cela devrait changer dans l'année qui commence, alors que la chanteuse effectuera la plus grande tournée mondiale de l'histoire: une centaine de villes dans vingt-cinq pays, répartis sur cinq continents.
Star planétaire
Changée, mûrie, sexy, Céline Dion semble avoir trouvé professionnellement sa voie à l'aube de la quarantaine. Elle dispose enfin d'un matériel en anglais à sa mesure, après 700 représentations à Las Vegas qui l'ont transformée en bête de scène aguerrie, sans véritable concurrence sur une planète s'apprêtant à la redécouvrir. De l'Afrique à l'Europe en passant par l'Asie, l'Océanie et l'Amérique, les astres paraissent alignés pour que la chanteuse québécoise soit vraiment la plus grande, incarnant un nouveau type de star planétaire qui n'est pas une énième vedette américaine connue internationalement. Tout particulièrement populaire à l'extérieur des États-Unis, elle rend compte à sa façon de la mondialisation des marchés et de l'interpénétration des identités.
Sur le plan culturel québécois, le succès en anglais de Céline Dion constitue en partie l'envers d'une assimilation qui ne laisse pas de comporter des aspects douloureux. Trop de gens semblent oublier que cette percée est intervenue pour l'essentiel après que la chanteuse eut atteint les sommets en français, ici et en Europe: la langue des Beatles correspondait chez elle à une volonté de réussite au niveau mondial. Or, il est de plus en plus évident qu'au Québec cela en a autorisé certains à troquer sans raison le français pour l'anglais, d'une façon inutile et médiocre qui a peu à voir avec la quête d'excellence du couple Dion-Angélil.
On n'a qu'à faire le tour des karaokés de la Belle Province pour constater que l'anglais n'y est pas toujours synonyme de dépassement. Sans compter, à l'autre extrémité du spectre, une certaine élite branchée dépendante du public francophone mais dont la plupart des points de références culturels sont aujourd'hui anglophones. Dans ces milieux, on ne parle plus que de band, de show, de stage ou de tune, dévalorisant de façon systématiquement les prestations en français et sciant de façon assez sotte la branche sur laquelle on est assis.
Touche québécoise
On rappelle souvent qu'à l'instar de ses compatriotes québécois, Céline Dion est restée étonnamment gentille et sans prétention, à travers les méandres de son étonnant parcours planétaire. Mais il y a surtout la rigueur, la discipline, l'excellence dont le couple Dion-Angélil a fait preuve sans relâche depuis vingt-cinq ans.
Il y a enfin ce respect du public francophone, qui s'est encore récemment manifesté dans un vidéodisque du spectacle de Las Vegas spécifiquement adapté au marché québécois. On peut penser que, dans la même situation, plusieurs Québécois auraient jugé que la version internationale du spectacle suffisait amplement. À quoi bon une édition québécoise, quand on se donne collectivement comme priorité de tous devenir bilingues et de bien comprendre l'anglais?
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Christian Dufour, Politicologue et chercheur à l'École nationale d'administration publique
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