Enfin de l'oxygène!

Cela fait du bien de voir des fédéralistes non seulement parler de leur amour pour le Québec, mais aussi le prouver

"Reconquérir le Canada"



La phrase peut-être la plus importante de Reconquérir le Canada, ce livre regroupant les textes de 14 politiciens, militants et intellectuels fédéralistes québécois, apparaît à la toute fin du volume, sous la plume d'André Pratte: "Cet ouvrage en est un d'amour du Québec et d'espoir pour son avenir." Cela fait du bien de voir des fédéralistes non seulement parler de leur amour pour le Québec, mais aussi le prouver, dans un livre nous redonnant sur le plan intellectuel un peu de cet oxygène qui nous fait défaut depuis l'échec de l'accord du lac Meech, il y a 18 ans.
Cinq contributions se démarquent par leur qualité, axées sur le rappel du principe de réalité et apportant quelque chose d'important au débat. Dans un texte excellent quant à la forme et au fond, le constitutionnaliste Jean Leclair s'attaque à la désinformation véhiculée par ces intellectuels incapables de reconnaître les succès québécois des dernières années en matière intergouvernementale canadienne, de voir qu'en dépit du rapatriement de 1982 et de ce qui en découle de négatif pour le Québec, le Canada reste un État fédéral décentralisé, loin de l'épouvantail quasi unitaire trop souvent décrit.
Dans un texte clair et nuancé, l'ancienne ambassadrice Marie-Bernard Meunier rappelle les expériences allemande et européenne du fédéralisme, réfléchissant de façon lucide sur ce mode de division de la souveraineté et rappelant que le problème du Québec a plus à voir avec le "le besoin débilitant d'être aimé" qu'avec le fédéralisme. S'il y a un fil conducteur dans le livre, c'est d'ailleurs l'explication de ce qu'est le fédéralisme et le rappel de son intérêt pour le Québec. Un autre thème qui revient est qu'il ne suffit pas de défendre les intérêts du Québec au sein du Canada, mais qu'il faut être également capable de tenir compte de ceux de l'ensemble du pays.
Un autre texte étonnant, tenant compte des fonctions importantes récemment occupées par ses auteurs au sein du Parti libéral du Canada, est celui de Hervé Rivest et de Fabrice Rivault. De façon révélatrice, il s'intitule "La nation québécoise - de la reconnaissance informelle à l'enchâssement constitutionnel". Loin de la vulgate trudeauiste, il s'agit d'une tentative libérale de s'approprier une partie du mérite de la reconnaissance de la nation québécoise par Stephen Harper, jointe à un plaidoyer pour l'incorporation de cette reconnaissance dans la Constitution canadienne. Les auteurs adhèrent à cette opinion, malheureusement de plus en plus répandue au Québec, que la reconnaissance de la nation québécoise rend caduque la société distincte, en dépit du fait que seule cette dernière peut servir de pierre d'assise à la claire prédominance du français au Québec, dans un système canadien basé sur l'égalité des droits individuels.
Intellectuel de qualité
Alors que les textes de personnages officiels sont souvent soporifiques, le ministre québécois des Affaires intergouvernementales canadiennes et intellectuel de qualité, Benoît Pelletier, réussit à intéresser en faisant ressortir que le bilan et la stratégie de son gouvernement en ce domaine ne sont pas aussi négatifs qu'on le dit. Et il y a la contribution d'André Pratte sans qui ce livre-charnière n'aurait jamais vu le jour, un texte qui a du souffle, qui a du chien - on sent l'exaspération -, décapante critique d'une histoire québécoise génératrice selon son auteur d'une culture politique victimaire et isolationniste.
L'entreprise n'est évidemment pas sans faille. On s'étonne de voir présenté comme un projet PLC, PLQ, PC, ADQ ce qui apparaît de toute évidence comme un ouvrage d'inspiration libérale. Des huit contributions ouvertement associées à un parti, six sont libérales et proviennent de personnages crédibles et influents. En comparaison, les textes d'un ancien candidat conservateur et d'un ancien candidat adéquiste peu connus sont pauvres, plus particulièrement celui de l'adéquiste, leur principale utilité semblant de servir de caution à un exercice se voulant non partisan. La lecture du livre fait ressortir que l'adversaire est au moins autant Mario Dumont que les souverainistes, le principal reproche fait au chef de l'opposition officielle étant de s'intéresser au Canada dans une perspective essentiellement utilitaire, comme la majorité des Québécois. Si l'on peut comprendre que l'étiquette libérale n'est pas populaire depuis le scandale des commandites et la promotion de Stéphane Dion, on aurait apprécié plus de transparence quant à cette tentative de renouvellement de la pensée fédéraliste libérale québécoise.
Un autre problème est lié à ces contributions qui, tout en prônant une acceptation plus grande de l'appartenance au Canada, invitent les Québécois à attacher moins d'importance à ces sources de pouvoir pour eux au sein du pays que représentent la théorie des deux peuples fondateurs et la dualité canadienne. Ce serait par exemple de bonnes cartes à jouer lors d'une éventuelle renégociation du Sénat. On s'étonne de voir Patrice Ryan dévaloriser le mythe (sic) des deux peuples fondateurs cher à son père Claude. Le soi-disant réalisme le dispute ici à l'abdication sans contrepartie des leviers de pouvoir dont on dispose et à l'incompréhension de la dynamique politique canadienne. De même, un idéalisme réfractaire aux rapports de force indissociables de la politique et du fédéralisme, affaiblit la contribution d'un autre auteur de la jeune génération, Mathieu Laberge.
Si l'on peut comprendre une certaine exaspération face au manque d'attachement des Québécois à l'égard d'un Canada dont ils font partie, l'amour ne se commande pas et la politique ne saurait se confondre avec la morale ou les bons sentiments. Partout et depuis toujours, elle repose sur la reconnaissance des intérêts objectifs des individus et des groupes, en relation avec ceux des autres. La force du livre apparaît davantage résider dans un rappel bien senti aux Québécois de ce qui est dans leur intérêt, en particulier les avantages du fédéralisme, que l'oubli de ces intérêts dans un factice amour du Canada.
***
Dufour, Christian
L'auteur est politologue à l'ENAP.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé