Jean Charest a prononcé son troisième discours inaugural et le premier discours d’un gouvernement minoritaire depuis 1878. Ce discours comme il l’annonçait lui-même se démarque nettement de la tradition. Il faut d’abord remarquer que le Premier ministre a fait preuve de concision puisque son allocution est deux fois plus courte que les deux précédentes : 4790 mots comparativement à 9169 dans celle du 4 juin 2003 et à 11932 dans celle du 14 mars 2006. Il s’agit donc d’un discours minceur qui présente un menu législatif peu substantiel.
Autre dérogation de forme, le premier ministre a utilisé la tribune de l’Assemblée nationale pour s’adresser directement aux Québécois et non à leurs représentants. Il a expliqué cette initiative ainsi : « Monsieur le Président, j’ai envie moi aussi, comme l’ont fait nos concitoyens, de bousculer les habitudes. Je vais prendre aujourd’hui la liberté de m’adresser directement aux Québécois. Après tout, nous sommes ici chez eux, dans leur maison .» Par ce geste, il a voulu montrer que dans une situation de gouvernement minoritaire, il soumettait son programme législatif directement au jugement des Québécois et non pas aux députés des partis d’opposition qui pourraient être tentés de le renverser. Par ce procédé discursif, il a transformé en quelque sorte le discours inaugural en discours pré-électoral.
L’emploi des pronoms personnels et des adjectifs possessifs correspondants est révélateur de cette stratégie de communication.
Fréquence d’emplois par 1000 mots
année je nous vous
9 mai 2007 - 19,36 - 37,9 - 9,78
14 mars 2006 - 7,9 - 40,7 - 1,3
4 juin 2003 - 6,8 - 47,1 - 1,5
Le discours de 2007 se caractérise donc par un fort sur-emploi de la première personne du singulier et de la deuxième personne du pluriel ce qui indique une situation d’interlocution (je vous parle). L’usage du « vous » désigne ici les Québécois et non pas les membres de l’Assemblée nationale comme le supposerait la situation d’énonciation.
L’architecture de ce discours est aussi différente des précédents parce qu’il accorde beaucoup d’espace à des considérations personnelles et normatives. Le premier ministre personnalise ses propos en se référant à sa famille et à ses parents. Il explique son choix de faire le saut en politique québécoise en se comparant à Jean Lesage qui avait suivi la même trajectoire que lui et avait fait progresser le Québec en croyant au fédéralisme.
Il développe aussi un discours de proximité en racontant qu’il a assisté aux funérailles d’une dame de 91 ans pour mieux faire sentir qu’il a compris les problèmes des personnes âgées. Dans la même veine, il frôle le populisme en donnant le nom d’Anastasia à une loi sur le contrôle des armes à feu. Il glorifie le bilan de son gouvernement en rappelant les réalisations passées : « Notre bulletin est bon dit-il ». Il vante les mérites du Parti libéral qui a traversé les deux derniers siècles et qui a apporté « les libertés, le progrès et les lumières de la modernité.» Il tente ainsi implicitement de discréditer les autres partis qui, dit-il, « ne sont pas interchangeables.»
Il joue aussi sur la fierté des Québécois en énumérant les succès des Québécois sur la scène internationale « Chacun de vous participe au prodige québécois, il y a dans tous ces succès une partie de vous ». Sur la question de l’identité, il plaide pour la tolérance et les rapprochements interculturels tout en rappelant les nécessités de l’intégration. Il exploite le thème de l’unité de la nation pour inciter les élus de tous les partis à travailler avec le gouvernement. Il tente implicitement de menotter l’opposition en la rendant à l’avance responsable par ses éventuelles contestations de la division de la société québécoise.
Le discours est plus centré sur des objectifs que sur des mesures concrètes ou des projets de loi précis. Il est d’ailleurs symptomatique de constater que ce discours ne contient aucun chiffre ce qui est aussi une nouveauté chez J. Charest qui aime bien émailler ses déclarations de références chiffrées. On y retrouve des promesses électorales faites à la fois par les libéraux et les adéquistes comme la baisse des impôts, la priorité à la santé par l’ouverture de cliniques privées, le bulletin chiffré, la consultation publique sur les besoins des aînés, la hausse des frais de scolarité, la création d’une bourse du carbone. Il s’est même laissé aller à des accents lyriques au chapitre de l’aide à la famille : « Si nous aidons les Québécois qui le veulent à illuminer leur foyer avec la joie de l’enfance, alors nous serons un peuple heureux ».
L’essentiel du message contenu dans le discours inaugural est de dire aux Québécois « Je vous ai compris », « Je partage vos inquiétudes», « Nous sommes le seul parti qui peut assurer la prospérité des Québécois.» Si d’aventure, les autres partis s’ingénient à entraver la bonne marche des travaux parlementaires, c’est parce qu’ils feront passer l’intérêt de leur parti avant l’intérêt de la nation. Il pousse l’audace jusqu’à laisser entendre qu’en dehors du Parti libéral, il n’y a pas de réussite possible pour le Québec.
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