Il faut se méfier des sondages effectués au lendemain d'un congrès à l'investiture. Pendant des jours, il monopolise la presque totalité de l'espace médiatique. Un parti qui n'arrive pas à en tirer bénéfice a un gros problème.
Jusqu'à la semaine dernière, peu importe qui deviendrait chef du Parti libéral du Canada, les conservateurs conservaient l'avance dans les sondages. Les libéraux faisaient un peu meilleure figure dans l'hypothèse où Bob Rae serait élu, mais Stephen Harper demeurait le premier choix des Canadiens pour diriger le pays.
Le sondage effectué par Strategic Counsel pour le compte du Globe and Mail et du réseau CTV, dans les heures qui ont suivi la victoire-surprise de Stéphane, indique un revirement de taille. Soudainement, le PLC se retrouve six points devant le PC. Si des élections avaient eu lieu hier, M. Dion serait aujourd'hui premier ministre.
À l'entendre s'adresser au caucus de ses députés, le nouveau chef semblait déjà en campagne électorale. Pour sa première, mais brève confrontation avec Stephen Harper, à la Chambre des communes, il a semblé très à l'aise et même habile, même si personne n'a sorti l'artillerie lourde.
Avant de déboucher le champagne, les libéraux devraient cependant attendre que la poussière du congrès retombe. Il y a encore très loin de la coupe aux lèvres. Les péquistes peuvent témoigner qu'il faut se méfier de l'euphorie du moment. Dans les six mois qui ont suivi l'élection d'André Boisclair, les intentions de vote du PQ ont baissé de dix points.
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Les partisans de M. Dion s'empresseront de souligner une autre donnée du sondage de Strategic Counsel à ceux qui le présentent comme un boulet au Québec. À la question de savoir s'il constitue un bon choix pour le PLC, 62 % des personnes interrogées au Québec ont répondu que oui, soit 7 % de plus que dans l'ensemble du Canada.
Encore faudrait-il savoir qui sont exactement ceux qui se réjouissent de son élection. L'exploit réalisé par M. Dion lui vaudra sans doute le respect de plusieurs qui ne lui trouvaient que des défauts, mais le taux de réponse positive est si élevé que de nombreux souverainistes ont manifestement applaudi à sa victoire. Ce n'est peut-être pas pour des raisons de nature à rassurer les fédéralistes. Si on lui a téléphoné, Bernard Landry, qui y voit un véritable cadeau du ciel, a certainement répondu oui.
La réplique de M. Dion n'a pas tardé: «M. Landry va peut-être apprendre de ses erreurs. Il passe son temps à dire ça depuis que je suis en politique.» Il est vrai que M. Landry est bien placé pour savoir qu'il peut être un adversaire très coriace. En 1997, les deux hommes avaient eu un intéressant échange épistolaire sur les exemples de sécession dans l'histoire récente, et l'ancien premier ministre en avait eu plein les bras. À Ottawa, Gilles Duceppe a été nettement plus prudent, se gardant bien de sous-estimer son nouvel adversaire.
Le sondage de Strategic Counsel indique clairement que la hausse des intentions de vote en faveur du PLC est essentiellement le fait de l'Ontario et que le NPD est celui qui en pâtit le plus. Au Québec, le vote du Bloc québécois ne semble pas en souffrir le moindrement.
Entre les valeurs de droite des conservateurs et le fédéralisme intransigeant de M. Dion, les nationalistes «mous» pourraient se retrouver devant un sérieux dilemme. Dans ces conditions, retourner au Bloc leur apparaîtra peut-être comme la meilleure solution.
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Durant la course au leadership, M. Dion était visiblement irrité de se voir entraîné sur le terrain constitutionnel, grâce aux bons soins de Michael Ignatieff, mais cela était un simple avant-goût de ce qui l'attend au cours des prochains mois.
Le nouveau chef du PLC est certainement le premier à savoir que ses adversaires ne le laisseront pas faire tranquillement campagne sur l'environnement ou l'Afghanistan. Hier, à la Chambre des communes, lui-même en a surpris plus d'un en attaquant sur un tout autre front.
Son élection ne peut qu'encourager M. Harper à poursuivre sur la voie du «fédéralisme d'ouverture», qui aurait déjà présenté moins d'intérêt s'il avait dû faire face à Michael Ignatieff.
Même s'il s'est rallié du bout des lèvres à la motion sur la reconnaissance de la nation québécoise, M. Dion n'avait pas d'objection fondamentale, dans la mesure où il n'était pas question de rouvrir le dossier constitutionnel.
Il a toujours pensé que Pierre Elliott Trudeau avait commis une erreur en torpillant l'accord du lac Meech. Il est plus difficile de comprendre expliquer pourquoi l'échec de Meech fait de lui un fédéraliste inconditionnel, alors qu'il était plutôt sympathique au projet souverainiste jusque-là, mais cela fait partie de la bizarrerie du personnage.
M. Dion n'a cependant jamais caché son opposition à tout ce qui pourrait modifier l'équilibre de la fédération au profit des provinces. Plus encore que Stephen Harper, il a abondamment documenté, au fil des discours qu'il a prononcés un peu partout dans le monde, sa vision du fédéralisme canadien, qu'il considère déjà comme le plus décentralisé au monde.
Le premier ministre Charest s'est réjoui de sa volonté de renforcer la péréquation, mais M. Dion nie aussi bien l'existence du déséquilibre fiscal que la nécessité d'encadrer le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral, comme M. Harper se propose de le faire.
Lors des dernières élections, le seul mot d'ordre qu'avait donné M. Charest était de ne pas voter pour le Bloc québécois. La prochaine fois, il préférera peut-être ne rien dire du tout.
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mdavid@ledevoir.com
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