Jouer le jeu

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On a joué le destin d'une nation à la loterie référendaire, sans se demander si elle était truquée d'avance.


Après la signature de l’entente tripartite qui avait scellé l’alliance entre le PQ, l’ADQ et le Bloc québécois, le 12 juin 1995, Jacques Parizeau avait le sourire du chat qui vient d’avaler un canari. Après des semaines de négociations serrées, il avait finalement accepté d’inclure dans la question référendaire un « partenariat » auquel il ne croyait pas, mais il savait bien qu’en sa qualité de premier ministre, c’est lui qui aurait le dernier mot au lendemain d’un Oui. Rirait bien qui rirait le dernier.


« Une forme de partenariat a autant de chances de se produire qu’une balle de neige de subsister en enfer », a-t-il expliqué huit ans plus tard à son biographe Pierre Duchesne. « Pour étoffer le partenariat, je suis prêt à donner n’importe quoi à la condition que l’on respecte en tout temps, dans tous les textes, cette idée que si les négociations échouent, on y va quand même. »


Le texte de l’entente prévoyait en effet de « faire » la souveraineté, mais simplement de « proposer » un partenariat au reste du Canada. Le « comité d’orientation et de surveillance des négociations » qui était également prévu n’aurait pas pu faire grand-chose si M. Parizeau avait décrété que les négociations ne menaient nulle part. Lucien Bouchard et Mario Dumont n’étaient évidemment pas dupes, comme ils l’expliquent clairement dans l’entrevue qu’ils ont accordée au Devoir à l’occasion du 25e anniversaire du référendum, mais ils ont joué le jeu.


Le « négociateur en chef » savait très bien que son mandat serait défini par le premier ministre et que ce dernier n’aurait pas été très patient. Il reconnaît également que jamais Ottawa, sans parler du reste du Canada, n’aurait accepté le partenariat tel que proposé. M. Dumont était tout aussi conscient que cela risquait de mener à la souveraineté tout court et il y était disposé.


Parce que M. Bouchard n’a pas voulu tenir un autre référendum une fois devenu premier ministre et que le chef de l’ADQ a ensuite renvoyé le dossier constitutionnel dans les limbes, certains semblent aujourd’hui convaincus qu’ils ne voulaient pas réellement aller jusqu’au bout en 1995. On peut certainement déplorer les choix qu’ils ont faits par la suite, mais rien dans leur comportement durant la campagne référendaire ne justifie ces soupçons.


Ils ne sont responsables en rien du cafouillage des études Le Hir, qui a empoisonné le débat sur la question à l’Assemblée nationale, ni du départ difficile de la tournée du Oui sous la direction de M. Parizeau. Le chef du Bloc, retenu à la Chambre des communes, était presque totalement absent durant cette période, et celui de l’ADQ n’était guère plus visible. En réalité, il y avait sans doute plus de friction dans le camp du Non.


En rétrospective, il paraît même remarquable que leurs divergences de vues avec M. Parizeau, qu’ils ne tenaient ni l’un l’autre en grande affection, n’aient pas causé davantage de problèmes dans le quotidien de la campagne. À les entendre, leur relation avec l’ancien premier ministre n’a jamais été aussi harmonieuse que durant ces quelques semaines.


À aucun moment durant l’entrevue, ils n’ont cherché à lui imputer la responsabilité de la défaite. M. Dumont reconnaît que lui-même a mis des années à réaliser que la vente des Nordiques à quelques mois du référendum avait été une erreur, alors que M. Bouchard semblait plutôt chercher des excuses à M. Parizeau.


Il y a toutefois un dossier sur lequel ils n’ont pas réussi à s’entendre et qui a pu influer sur le résultat final. MM. Bouchard et Dumont racontent comment ils ont vainement tenté d’amener M. Parizeau à renoncer à sa promesse d’intégrer tous les fonctionnaires fédéraux domiciliés au Québec à la fonction publique du futur État. Non seulement cette promesse contredisait l’argument selon lequel l’élimination du dédoublement des juridictions permettrait de réaliser des économies, mais bon nombre de fonctionnaires provinciaux ont sans doute voté pour le non parce qu’ils craignaient les effets négatifs de cette invasion sur leur propre carrière.


Même après avoir entendu sa malheureuse déclaration de la soirée du 30 octobre, M. Bouchard assure qu’il ne croyait pas à la démission de M. Parizeau. Aujourd’hui encore, ni lui ni Mario Dumont ne peuvent concevoir qu’on puisse trouver indigne de gouverner une simple province. S’il y a une chose qu’ils ne lui ont manifestement pas pardonnée, c’est de ne pas avoir pensé à ceux qui allaient devoir prendre la relève, quand il a laissé libre cours à son amertume.


Certes, la défaite du Oui a affaibli le rapport de force du Québec par rapport au reste du Canada, mais la quasi-rupture du pays aurait quand même pu forcer une reprise du dialogue constitutionnel. Au lieu de quoi le Québec est devenu une sorte de pestiféré dont il n’était plus question d’écouter les revendications. MM. Bouchard et Dumont avaient accepté de jouer le jeu de M. Parizeau pour le référendum. Cette partie a été perdue, mais il est parti en sabotant la suivante. Aucun gouvernement n’a osé risquer un nouveau bras de fer depuis.




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