Centralisation

La phase terminale

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Chaque crise est une occasion pour le fédéral de centraliser un peu plus ses pouvoirs


Le premier ministre Legault estime que Justin Trudeau joue avec le feu en cherchant à imposer des « normes nationales » aux provinces dans la gestion des soins aux personnes âgées. Il a peut-être raison, mais la question est de savoir lequel risque le plus de se brûler.


À Ottawa, on a manifestement vu dans la pandémie une occasion d’utiliser son pouvoir de donner pour empiéter une fois de plus sur les champs de compétence des provinces, en misant sur l’indignation de la population, horrifiée par ce qui est survenu au printemps dernier, notamment au Québec, où le drame des CHSLD a été un objet de honte.


Les provinces pourraient légitimement plaider que la baisse de la participation fédérale au financement des soins de santé les a privées, au cours des dernières années, de dizaines de millions qui auraient pu être consacrés aux personnes âgées. La population n’a cependant aucun goût pour ces chicanes,elle veut simplement que les choses s’améliorent.


Le constitutionnaliste André Binette, résolument indépendantiste, a publié récemment un petit ouvrage de 70 pages intitulé Le Canada, le Québec et la pandémie, dans lequel il explique comment la gestion de la pandémie par le gouvernement Trudeau s’inscrit dans la dynamique naturelle du fédéralisme canadien et jusqu’où cela pourrait aller si les choses devaient encore s’aggraver au point qu’il en viendrait à invoquer la Loi sur les mesures d’urgence.


La nouvelle offensive d’Ottawa lui fait dire que « le Canada arrive à un [...] tournant qui pourrait être l’affaissement définitif de l’autonomie provinciale au moment où, paradoxalement, se trouve à Québec un gouvernement qui s’en fait le champion ». À l’en croire, le fédéralisme canadien entrerait dans sa « phase terminale », d’où émergera un État plus ou moins unitaire, entraînant à terme la disparition du Québec.


  

Certes, le Québec en a vu d’autres depuis la Conquête. Rien n’indique que Justin Trudeau ira jusqu’à invoquer une loi qui ne rappellerait que trop celle que son père a utilisée en octobre 1970, mais le gouffre financier que son gouvernement persiste à creuser pour lutter contre les effets de la pandémie fait craindre des lendemains pénibles pour les provinces. Un jour ou l’autre, Ottawa devra trouver une façon de rembourser tous ces milliards, et la diminution des paiements fédéraux aux provinces, notamment pour financer les soins de santé, fera encore une fois partie de la solution.


« Il pourra à nouveau provoquer l’austérité au Québec dans les services à la population afin de tenir la nation québécoise en laisse et de la conditionner au défaitisme. Le but sera de convaincre une nouvelle génération de Québécoises et de Québécois qu’on n’est pas capables et que, hors du Canada, point de salut », écrit M. Binette. Sans surprise, il voit dans l’indépendance le seul moyen de libérer le Québec de la dépendance financière structurelle dans laquelle il se trouve par rapport à Ottawa.


Que Justin Trudeau soit aussi machiavélique que le croit M. Binette ou qu’il soit simplement forcé de répondre à la pression des agences de notation financière, cette austérité risque fort de devenir une réalité incontournable, quel que soit le parti au pouvoir à Ottawa. Le gouvernement Legault peut raisonnablement espérer y échapper avant l’élection québécoise d’octobre 2022, mais elle deviendra à terme incontournable.


  

Frédéric Bastien, historien et candidat à la chefferie du PQ, proposait de forcer la tenue d’une nouvelle série de négociations constitutionnelles en se prévalant de l’obligation de négocier que la Cour suprême a créée en 1998 dans son Renvoi sur la sécession du Québec. Un gouvernement péquiste n’aurait cependant aucune crédibilité s’il prétendait vouloir renouveler le fédéralisme, et on peut douter que M. Legault ose ouvrir lui-même cette boîte de Pandore. Il y a belle lurette qu’on n’a pas entendu parler de son « nouveau projet pour les nationalistes du Québec ».


Dans son ouvrage, M. Binette voit plutôt l’Alberta s’en charger. On peut d’ailleurs penser que les compressions budgétaires annoncées par le gouvernement de Jason Kenney, qui se traduiront par la suppression de 11 000 emplois dans le réseau de la santé en Alberta et par le recours au secteur privé pour leur sous-traitance, renforceront les Albertains dans le sentiment qu’ils sont les grandes victimes de la péréquation, dont M. Kenney entend faire l’objet d’un référendum en octobre 2021 et dont l’abolition ou une modification significative nécessiterait une réouverture de la Constitution.


Le Québec, peu importe qui le dirigerait, ne pourrait pas assister passivement à des négociations pour satisfaire la seule Alberta. Il présenterait lui aussi des demandes qui seraient sans doute plus substantielles que celles auxquelles voulait répondre l’accord du lac Meech. « Le Canada aura-t-il le discernement d’apprendre de ses erreurs et le gouvernement du Québec élu en 2022 sera-t-il à la hauteur de tels événements ? » demande M. Binette. Ce sont là d’excellentes questions.




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