Le 30 septembre dernier, André Pratte publiait un texte dans Le Devoir dans lequel il affirme que le fédéralisme ne nous enferme pas dans le statu quo. Pour lui, le fait que l’on puisse difficilement modifier la Constitution constitue une bonne chose. C’est un gage de stabilité, et cela protégerait nos droits fondamentaux. Ses contorsions intellectuelles à l’appui de telles choses laissent pantois.
De façon incroyable, l’ancien éditorialiste de La Presse trouve le moyen de ne pas mentionner une seule fois le fait que le Canada anglais nous a imposé la Loi constitutionnelle de 1982. Puisque celle-ci décrit comment modifier la Constitution, ce qui est précisément le sujet de M. Pratte, cet oubli est sidérant. De deux choses l’une. Soit il fait montre d’ignorance, soit il fait preuve de malhonnêteté intellectuelle.
Il faut comprendre qu’entre 1867 et 1982, la Constitution a été modifiée 37 fois, plus que celles de bien d’autres démocraties. Ces changements étaient souvent mineurs, mais parfois importants, notamment en ce qui touche le partage des pouvoirs. Dans ce cas précis, les modifications ont toujours été faites avec l’assentiment du Québec et elles ont permis par moments de faire des gains importants. Pensons ici au changement constitutionnel de 1964, qui a rendu possible la création de la Caisse de dépôt et placement par le gouvernement de Jean Lesage.
C’est à partir du rapatriement et avec l’isolement constitutionnel de la minorité nationale québécoise que les choses se sont gâtées. Entre autres, la charte des droits a donné aux juges fédéraux le pouvoir d’invalider nos lois dans nos champs exclusifs de compétence. La formule de modification nous prive de notre droit de veto. Le but de la constitution de 1982 est de saper les bases de notre existence nationale en nous imposant le bilinguisme, pour angliciser le Québec, et le multiculturalisme, pour nier notre statut de peuple fondateur.
Deux accords, Meech et Charlottetown, ont été négociés pour corriger les choses, en 1990 et en 1992, mais ont ultimement échoué. À deux reprises, la majorité canadienne anglaise s’est opposée à une clause dite de « société distincte » qui visait à reconnaître dans la loi suprême l’existence de la minorité nationale québécoise.
Tous ces épisodes ont rendu la question constitutionnelle toxique au Canada, car ils ont favorisé la tenue du référendum de 1995, dont les résultats ont été très serrés. Voilà pourquoi la Constitution est devenue difficile à modifier. Depuis le rapatriement, seuls des changements mineurs ont été possibles, et ce, uniquement quand ils ne requéraient l’assentiment que d’une seule province et d’Ottawa. Forcer une réouverture du dossier pour satisfaire le Québec ne serait pas une mince tâche tant le Canada anglais refuse de nous reconnaître comme un peuple.
Pour M. Pratte, cette difficulté n’empêche pas les gains. Il cite par exemple la reconnaissance symbolique de la nation québécoise par la Chambre des communes. Que cette revendication aussi importante ait été réduite à un tel traitement, une résolution parlementaire sans conséquence comme on en voit des dizaines par semaine, montre à quel point le Canada anglais est braqué contre nous.
La disparition de notre nation
Celui qui est désormais chroniqueur au National Post cite aussi les ententes administratives entre Ottawa et Québec pour montrer que nous avons fait des gains. Or, celles-ci n’ont aucune valeur juridique, et Ottawa ne les respecte pas toujours. C’est le cas pour l’immigration, un exemple que Pratte utilise. Ottawa sélectionne désormais plus de 90 % des migrants qui arrivent sur notre territoire. De plus, les francophones sont discriminés dans l’octroi de visas.
En haussant l’immigration à des niveaux inégalés, et en contournant le Québec, Justin Trudeau veut faire du Canada un pays prétendument postnational. En fait, nous resterons un État où les immigrants s’assimilent à la nation canadienne anglaise, et, en fin de compte, la nation québécoise disparaîtra.
Cette situation est le résultat direct de l’immobilisme constitutionnel qui nous prive des pouvoirs nécessaires pour protéger notre culture.
L’ancien éditorialiste de La Presse a parfaitement le droit d’être fédéraliste. Comme Québécois, cependant, il devrait dénoncer le statu quo au lieu de s’en réjouir et faire ainsi le jeu des ennemis politiques de sa nation.