Plusieurs ont dû être surpris d’apprendre que le Québec est l’État nord-américain où le confinement à domicile est le mieux respecté, selon le palmarès établi par Google à partir des données de géolocalisation recueillies dans 131 pays.
Bien entendu, il y a aura toujours des bozos, comme le chef de l’opposition à l’Hôtel de Ville de Montréal, Lionel Perez, qui a eu la brillante idée de fiancer sa fille en pleine pandémie, ou encore ce conseiller municipal de Granby, Éric Duchesneau, qui a décidé d’aller soigner sa déprime au Mexique, alors que tout le monde était plutôt invité à rentrer au pays.
De façon générale, il faut cependant reconnaître que les Québécois se sont pliés avec un bon gré étonnant aux consignes. Nous ne sommes pourtant pas réputés pour notre sens de la discipline et il est agréable de penser que ce côté rebelle est un héritage des coureurs des bois, qui se fichaient bien des ordonnances de l’intendant du roi.
Cette indiscipline se traduirait aussi par une certaine paresse. En 2006, Lucien Bouchard a soulevé un tollé quand il nous a reproché un manque d’ardeur au travail. Des semaines trop courtes, des vacances trop longues, une retraite trop hâtive. Dans un livre publié il y a deux ans, l’actuel ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette, a également déploré « la loi du moindre effort qui prévaut trop souvent dans notre société ».
Si nous respectons si bien la consigne du confinement à domicile, serait-ce que notre penchant pour l’oisiveté nous permet d’apprécier davantage ces vacances forcées ou la crise du coronavirus est-elle en train de faire apparaître un Québécois nouveau ?
Le premier ministre Legault était évidemment ravi du palmarès de Google, qui constitue aussi un témoignage de sa propre réussite. Clairement, il a su mieux que d’autres faire comprendre à la population la gravité de la situation et lui faire accepter rapidement des contraintes dont elle n’avait jamais fait l’expérience.
M. Legault s’est surtout dit « fier des Québécois », qu’il essaie depuis des années de convaincre qu’ils peuvent être « les meilleurs ». René Lévesque avait dit que nous étions « peut-être quelque chose comme un grand peuple », mais M. Legault est le premier à évoquer aussi régulièrement la fierté québécoise et à tenter de la stimuler.
Certes, c’est principalement en termes de création de richesse qu’il propose de mesurer nos progrès, mais la performance n’est pas simplement une affaire d’économie. La solidarité est également un facteur de réussite collective et la crise actuelle offre de toute évidence une occasion de la développer.
Il ne faut sans doute pas exagérer ce qu’il en restera une fois que la vie aura repris son cours normal et que le naturel sera revenu au galop. Malgré la belle démonstration de discipline qu’ils ont donnée, les Québécois ne se transformeront pas en Allemands de l’Amérique du Nord.
De la même façon, leur redécouverte des vertus de l’État-providence ne les jettera pas dans les bras de Québec solidaire. L’égalité face à la maladie favorise l’entraide, mais la situation économique difficile qui prévaudra après la pandémie risque plutôt de favoriser une attitude de chacun pour soi, alors que le filet social sera durement éprouvé par la détérioration des finances publiques.
Ici comme ailleurs, la « démondialisation » aura pour effet de renforcer le sentiment national, mais la position des Québécois sur la question constitutionnelle ne changera pas nécessairement pour autant. À leurs yeux, M. Legault aura certainement éclipsé Justin Trudeau, mais le souvenir de sa présence rassurante ne fera pas oublier les sommes énormes que le gouvernement fédéral aura investies pour assurer un minimum de sécurité financière aux travailleurs et aux entreprises menacés de ruine.
Tout en se sentant plus Québécois que Canadiens, plusieurs ont toujours eu l’étonnante conviction que deux gouvernements valent mieux qu’un et elle risque moins d’être affaiblie que renforcée. M. Legault a placé Doug Ford dans l’embarras en le remerciant d’avoir envoyé de l’équipement médical au Québec, mais on en aura quand même retiré l’impression que l’Ontario peut finalement être un ami.
À plus long terme, un réflexe de « Québec d’abord » pourrait néanmoins se développer en réaction à la dépendance envers les marchés étrangers mise en lumière par la crise et qui ne se limite pas à l’approvisionnement en matériel médical. On ne tentera sans doute pas de faire pousser des oranges en Estrie, mais le « panier bleu » proposé par le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, pourrait marquer le début d’une réelle volonté de relative autosuffisance. Et, comme chacun sait, l’appétit vient en mangeant.