Le Stéphane Dion que je connais

Le nouveau chef libéral est tout à fait "montrable" au Québec et partout au Canada

S. Dion, chef du PLC



Samedi soir, 4000 délégués libéraux, réunis en congrès à Montréal, ont répondu par une majorité claire à une question claire: voulaient-ils être dirigés par un homme qui , voyageant sans cesse à l'étranger, a souvent été absent de nos grands débats depuis 30 ans? Ou préféraient-ils un homme qui, selon plusieurs, a souvent été trop présent et trop visible? Non sans une certaine inquiétude, ils ont opté à 54% pour ce dernier, Stéphane Dion contre Michael Ignatieff.
Depuis, mes collègues du Québec francophone s'amusent à élaborer des scénarios de catastrophe pour le Parti libéral du Canada, surtout au Québec. Dès samedi soir, une collègue répétait à qui voulait l'entendre que désormais, elle n'avait qu'à se préoccuper de deux formations politiques au Québec, le Parti conservateur et le Bloc québécois. Selon elle, Dion est tellement peu "montrable" au Québec que son parti est voué à l'extinction.
Je m'attends à ce que mes collègues révisent leurs thèses pas tout de suite, ce serait gênant, mais d'ici quelques mois, ou entre le déclenchement et la fin d'une campagne électorale qui risque d'arriver plus tôt qu'on ne le pense. Attendez-vous à des textes du genre "un nouveau Dion" ou "il a tellement appris, et tellement vite!" Lorsque vient le temps de se raviser, il est plus simple de prétendre que le sujet a changé que de dire qu'on n'avait, encore une fois, rien compris dès le départ.
Car le Stéphane Dion que je connais de loin, comme tous mes collègues, mais après l'avoir couvert depuis plus d'une décennie est tout à fait "montrable" au Québec et partout au Canada. Ce Stéphane Dion a diffusé la première de ses "lettres ouvertes" le jour même de son assermentation comme ministre, en janvier 1996, prônant la reconnaissance du caractère distinct du Québec. Ce Stéphane Dion a vite menacé de démissionner du conseil des ministres si Jean Chrétien refusait de permettre aux provinces de gérer la formation de la main-d'oeuvre. Taxé de fermeté à l'égard de tout amendement constitutionnel, il l'a amendé à trois reprises, cette Constitution, dont un amendement pour permettre une réorganisation des commissions scolaires québécoises selon un modèle linguistique plutôt que confessionel. Cet amendement était voulu depuis 30 ans au Québec. Ce que Robert Bourassa n'a jamais osé demander à Brian Mulroney, Lucien Bouchard l'a obtenu de Jean Chrétien et de Stéphane Dion!
Le Stéphane Dion que je connais n'a pas été moins ouvert à reconnaître le Québec comme "nation" que Stephen Harper, bien au contraire: alors que M. Harper refusait de prononcer le mot "nation" jusqu'à ce que le Bloc québécois le prenne au piège par une motion parlementaire le mois passé, Dion a dit dès 2003 qu'il voterait volontiers en faveur d'une telle motion pour peu qu'elle reconnaisse que la nation québécoise fait aussi partie de la nation canadienne, formule éventuellement retenue par Stephen Harper.
Le Stéphane Dion que je connais a des positions sur l'environnement, la place du Canada dans le monde, et la crise permanente au Moyen-Orient beaucoup, mais alors vraiment plus proches de celles du Québécois moyen que Michael Ignatieff ou Stephen Harper. Il n'aurait pas envoyé de troupes canadiennes en Irak, à la différence de ces deux messieurs.
Échanges épistolaires
Il est vrai que M. Dion préfère exprimer son désaccord avec la thèse principale des souverainistes plutôt que de leur donner raison sur le reste. Toutefois, cela n'a pas fait trop mal au PLC sur le plan politique. M. Dion a commencé à écrire ses lettres au péquistes en 1997 et le PLC a gagné des sièges au Québec aux élections suivantes. Il a rédigé sa Loi sur la clarté en 1999 et le PLC a encore progressé au Québec en 2000. Ce n'est pas que les Québécois ont voulu remercier les Chrétien et Dion! Mais ils ont compris, mieux que leurs élites, le sérieux de démarche libérale. Ils n'ont pas paniqué, comme certains éditorialistes souhaitaient qu'ils le fassent.
Ces faits sont publics, connus, évidents même. Ils n'effacent pas les faiblesses aussi évidentes de cet homme: son côté soupe au lait et le peu d'effort qu'il a mis à se concerter avec ces collègues ministres avant de vouloir les diriger. Je n'essaierai pas de prétendre que Stéphane Dion raflera 40 sièges au Québec lors des prochaines élections. Mais M. Dion, à la différence de ses critiques, apprend. Tout ce qu'il a dit en point de presse hier recueillerait l'assentiment de bien des Québécois francophones. Ne l'ayant pas vu venir dans la course à la chefferie, mes collègues s'empressent d'annoncer la fin de son ascension. Le jour où ils réaliseront qu'ils se sont trompés, je m'abstiendrai de leur rappeler leurs pronostics de la fin de semaine. Solidarité professionnelle oblige!
L'auteur est chroniqueur politique à Macleans.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé