Boisclair ne veut pas de crucifix à l'Assemblée nationale

Charest et le chef du PQ taxent en choeur Dumont de démagogie

Tolérance des Québécois / Sondage sur le racisme des Québécois



Québec -- Le débat sur les «accommodements raisonnables» et sur la place du religieux dans l'espace public a encore gagné en intensité hier dans l'atmosphère préélectorale qui a saisi la classe politique. D'une part, le chef péquiste André Boisclair, dans une défense de la «laïcité québécoise», a affirmé que le crucifix n'a plus sa place à l'Assemblée nationale. D'autre part, le premier ministre Jean Charest -- tout comme M. Boisclair -- a accusé l'homme par qui l'affaire a éclaté, le chef adéquiste Mario Dumont, de «démagogie».
Estimant que le débat «dérapait» aux mains «de sondeurs et de démagogues», M. Boisclair a accordé plusieurs entrevues hier sur cette question, qui a fait l'objet d'un nombre incalculable de «dossiers» et «d'émissions spéciales» dans les médias ces derniers jours. Vantant ce qu'il a qualifié de «modèle québécois d'intégration» («Nos banlieues ne brûlent pas», a-t-il noté en référence aux troubles survenue en France de 2005), M. Boisclair a dénoncé de façon virulente les «faussetés» et les «approximations» qui, selon lui, ont été entendues ces derniers jours. Il s'étonne du tollé qu'a soulevé l'accommodement raisonnable, un concept balisé par les tribunaux qui est «rarement invoqué» et dont il n'était même pas question dans les quelques «incidents malheureux» qui ont été «montés en épingles» à l'automne. Du reste, il faudrait selon lui reconnaître que notre société réserve une place spéciale aux signes religieux chrétiens: «Ce que je remarque, c'est que nous nous accommodons bien entre nous. Jamais je n'ai vu des gens remettre en cause le fait qu'il y avait un crucifix en haut de la tête du président de l'Assemblée nationale, même s'il y a des juifs et une députée d'origine musulmane dans notre Assemblée nationale.» À ses yeux, ce signe «n'a pas sa place là». Une déclaration qu'il a tout de suite cherché à relativiser en disant qu'elle était toute «personnelle» et n'engageait pas son parti. «Je ne veux pas aller plus loin dans ce débat-là. J'ai été franc et honnête. [...] Ce n'est pas le parti qui parle. C'est une conviction personnelle.» M. Boisclair a toutefois souligné que cette conviction rejoignait celle de René Lévesque qui, le premier, avait autorisé ses ministres qui le souhaitaient à prêter serment sur leur honneur et non sur la Bible. «Moi, je prête serment sur mon honneur», a-t-il précisé, ajoutant qu'il s'agissait là ses convictions religieuses à lui, «d'ordre privé».
(Notons que c'est aussi le Parti québécois qui a mis fin à la tradition de la prière d'ouverture de séance à l'Assemblée nationale. Le changement avait été fait en 1973, mais la tradition de la prière a été maintenue jusqu'au 15 décembre 1976, où le président Clément Richard avait demandé pour la première fois un moment de recueillement. Le chef créditiste Camil Samson avait alors protesté et déposé une motion réclamant le retour de la prière. Le 8 juin 1977, celle-ci a fait l'objet du dernier vote libre à avoir été tenu à Québec. La motion avait été battue: 37 péquistes avaient voté contre, 31 députés -- 22 libéraux, un unioniste, un créditiste et un péquiste -- avaient voté pour. Il y avait eu dix abstentions: neuf péquistes et un libéral.)
Aux yeux de M. Boisclair, le «contexte incendiaire» actuel n'est pas le meilleur pour tenir le débat sur le crucifix. Mais il est clair pour lui que «les symboles religieux n'ont pas leur place dans l'espace public». Il confie avoir été déçu lorsque les juifs hassidims ont été autorisés à installer un érouv -- un fil de fer servant à délimiter un espace de déplacements permis les jours de sabbat -- à Outremont.
Dumont démagogue
Interrogé sur ce débat à l'issue du caucus spécial de deux jours de l'aile parlementaire du PLQ (auquel se sont joints des candidats libéraux, donc des non-élus), Jean Charest a reproché au chef adéquiste Mario Dumont hier d'avoir «favorisé la division» dans la société. À son sens, «M. Dumont ne comprend rien au Québec s'il pense que les Québécois font de l'à-plat-ventrisme» à l'endroit des immigrants, une expression que le chef adéquiste a répétée ces derniers jours. «Le mot, c'est de la démagogie, on appelle ça de la démagogie», a laissé tomber M. Charest avec un air dépité.
Le premier ministre a aussi fait remarquer, comme la ministre de l'Immigration cette semaine, que M. Dumont et l'ADQ n'avaient pas cru bon de participer à la commission parlementaire sur le racisme et la discrimination, qui a duré trois semaines à l'automne. Aucun élu de l'ADQ n'a en effet assisté aux travaux et le parti n'a pas déposé de mémoire. «Il va nous dire que son parti était trop petit. C'est drôle, Québec solidaire n'a pas un seul député à l'Assemblée nationale du Québec, ils ont trouvé, eux, le moyen de déposer un mémoire à l'Assemblée nationale», a fait remarquer M. Charest, plus cinglant qu'à son habitude.
Le gouvernement n'a pas attendu que le débat sur la question fasse irruption dans l'actualité avant d'agir, a ajouté le premier ministre. Il a notamment rappelé la motion d'opposition à la création de tribunaux islamiques au Canada, présentée le 25 mai 2005 par la députée Fatima Houda-Pepin et adoptée à l'unanimité. M. Charest a aussi évoqué la création par son gouvernement d'un groupe de travail sur les accommodements raisonnables dans le domaine de l'éducation (lequel déposera son rapport en juin prochain). Il estime que M. Dumont doit des explications aux Québécois: «Pourquoi y voit-il une urgence nationale [et] pourquoi il était silencieux avant, pourquoi il n'a rien dit? Pourquoi, soudainement, un intérêt pour diviser la société québécoise?»
Citoyens ou communautés culturelles?
André Boisclair s'en est aussi pris à Mario Dumont hier. Réagissant à la proposition de M. Dumont de consigner les «valeurs québécoises» dans une constitution du Québec, M. Boisclair s'est lancé: «Il a l'obligation de nous dire s'il veut modifier la Charte québécoise des droits.» Selon M. Boisclair, toutes les valeurs que le chef adéquiste énumère y sont déjà.
Au reste, M. Boisclair croit que la quasi-totalité des arrangements faits avec les minorités sont tout à fait acceptables. «Quand on accorde quelque chose à un groupe ou à un individu, on n'est pas dans un jeu à somme nulle. L'accorder ne m'enlève rien. S'arranger, dans un hôpital, pour respecter les règles juives après un décès, qu'est-ce que ça m'enlève à moi? Rien. Lorsqu'on a accordé le droit de vote aux femmes, on ne l'a pas enlevé aux hommes! On a transformé notre société et on a appris à partager le pouvoir et à mieux vivre ensemble. Et c'est ça, le défi du Québec d'aujourd'hui.»
Par ailleurs, pour M. Boisclair, dans le contexte actuel, il faut valoriser la notion de citoyen. Il rappelle que lorsqu'il était au gouvernement, le ministère responsable de l'immigration avait pour nom «Relations avec les citoyens». Il déplore que, pour des raisons qui tiennent au «clientélisme», les libéraux, à leur retour au pouvoir, se soient «empressés de rebaptiser le ministère des "communautés culturelles", une vision de la société québécoise à [son] avis passéiste, comme si, d'un côté, il y avait des Québécois et, de l'autre, des communautés culturelles». Cela, a-t-il déploré, «contribue bien davantage à élever des barrières entre les gens qu'à les faire disparaître».


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