AU ROYAUME DES ACCOMMODEMENTS

La Grande-Bretagne est reine

Tolérance des Québécois / Sondage sur le racisme des Québécois


par Mali Ilse Paquin -
Karen Jacob est une femme «immensément fière». Tapie dans un minuscule bureau au fond de la lingerie de l’hôpital de Preston, une petite ville à trois heures de train de Londres, elle montre à La Presse l’objet de son orgueil : un uniforme «inter-religieux» pour les patientes, doté d’un niqab (masque couvrant le visage sauf les yeux) et d’un foulard islamique. Une burqa, ni plus ni moins. Une première en Europe.
Karen Jacob, qui gère le service des tissus de l’hôpital, a créé l’ensemble il y a deux ans. A-t-elle fléchi sous la pression de la communauté musulmane de Preston? Pas du tout. Personne n’a déchiré sa chemise en public ni présenté une pétition à l’établissement.
La Britannique de 45 ans s’est mise au travail lorsqu’un médecin lui a fait part des commentaires de quelques clientes. La chemise d’hôpital ne couvrait pas assez les épaules ou les bras à leur goût.
«C’était suffisant pour moi», dit la rousse au teint rose.
Depuis novembre dernier, les femmes qui le désirent peuvent donc être couvertes de la tête aux pieds dans les couloirs de l’hôpital. L’ensemble comporte quatre pièces : les pantalons, la chemise, le voile et le niqab. Ainsi, avec l’option «niqab», seul les yeux et les mains sont à découvert.
Pour Karen Jacob, l’accommodement est raisonnable. «C’est une question de dignité. Cette clientèle vulnérable a le droit de pouvoir se couvrir modestement. Autrement, c’est de la discrimination.»
L’établissement lui a décerné un prix pour son «innovation». Des dizaines d’autres hôpitaux ont emboîté le pas.
Une jeune musulmane portant le niqab nous attendait à l’entrée de l’hôpital Preston, il y a quatre jours. Elle disait qu’elle utiliserait l’uniforme spécial sans hésiter. «Peut-être pas dans la salle d’attente. Mais si le médecin s’avère être un homme, oui, je le porterais», dit celle qui n’a pas voulu s’identifier.
Fous du multiculturalisme
Cette «innovation» a été accueillie dans l’indifférence générale. Il y a longtemps que les accommodements de la sorte ne font plus les manchettes en Grande-Bretagne. À force de s’être plié aux demandes des minorités religieuses, par souci d’équité, le pays de Tony Blair a fait du multiculturalisme un culte en soi.
Difficile de retracer les racines de ce modèle, bien enfouies dans l’histoire britannique. Certains experts remontent à l’invasion des Français, menée par Guillaume le Conquérant, en 1066. D’autres pointent vers la fin des années 40, lorsque les immigrants arrivaient par milliers en paquebots pour aider à rebâtir la Grande-Bretagne, meurtrie par la Deuxième Guerre mondiale.
Les émeutes de Brixton, en 1981, où des jeunes Noirs ont dénoncé les inégalités raciales, ont toutefois marqué un point tournant. Le réveil a été brutal pour les Britanniques, qui ont collectivement embrassé leur nouveau dada : le multiculturalisme.
Depuis, le nombre d’écoles confessionnelles, subventionnées par le gouvernement, a explosé. Les arbitrages religieux sont tolérés.
Les institutions publiques font des pieds et des mains pour accommoder les franges culturelles : salles de prières dans les écoles et les hôpitaux, aucune restriction vestimentaire pour les élèves, mets halal et casher pour les patients.
Même la reine Élisabeth a attribué une salle de prière à une employée musulmane!
Dérapages
Pourtant, la grogne populaire est palpable. Tout d’abord, les Britanniques ont été sous le choc d’apprendre que les auteurs des attentats terroristes du 7 juillet avaient été élevés au pays. Même constat pour les suspects épinglés lors de l’alerte antiterroriste du mois d’août dernier.
Le débat a vraiment éclaté à l’automne lorsqu’une enseignante musulmane, Aishah Azmi, a refusé de retirer son niqab pendant les cours. L’école a suspendu la jeune femme. Le ministre Jack Straw a mis de l’huile sur le feu en affirmant qu’il préférait que les musulmanes de sa circonscription découvrent leurs visages en sa présence. Certains groupes des minorités ethniques ont immédiatement crié à l’islamophobie.
N’empêche, de plus en plus d’experts dénoncent les effets pervers du multiculturalisme : communautés en vase clos, problèmes d’intégration, radicalisation des jeunes. Le réputé président de la Commission pour l’égalité raciale, Trevor Phillips, a prévenu en 2005 que des villes se dirigeaient «comme des somnambules vers la ségrégation».
Même le ton de Tony Blair s’est durci en décembre dernier lors d’un discours portant sur le devoir des immigrants de s’intégrer – un terme qu’il a prononcé 17 fois. «La tolérance est une valeur fondamentale en Grande-Bretagne. Alors conformez-vous ou ne venez pas», a-t-il dit.
Munira Mirza, chercheuse à l’organisme Policy Exchange, croit que le cas de la burqa d’hôpital illustre bien les dérapages du climat «politiquement correct» actuel.
«Tout ça renforce l’idée que les minorités religieuses ont droit à un traitement de faveur, dit la Britannique d’origine pakistanaise. Ça isole les gens. Les politiques multiculturelles mettent l’accent sur ce qui nous différencie plutôt que sur ce qui nous unit. Quand des politiciens n’osent plus s’exprimer sur le voile islamique de peur de créer des émeutes, il y a un problème.»
John Benyon, expert en relations raciales à l’Université de Leicester, croit qu’un retour du pendule est imminent. «Nous sommes allés trop loin pour accommoder les demandes des groupes religieux. Pour ma part, je crois que le port du niqab est inacceptable, surtout avec les menaces terroristes qui planent en ce moment. Nous savons maintenant qu’un des suspects des attentats ratés du 21 juillet 2005 a réussi à quitter le pays sous une burqa!»
La révolution n’est toutefois pas pour demain. Les deux tiers des Britanniques croient toujours que le multiculturalisme est le modèle idéal. Est-il trop tard pour faire marche arrière? «Une fois que le train du multiculturalisme est en marche, il est très difficile de le ralentir», répond Munira Mirza.


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