Le Québec sous surveillance

Tolérance des Québécois / Sondage sur le racisme des Québécois


[Déjà avec le sondage sur le racisme paru dans Le Journal de Montréal en 2007->rub353], le Québec apparaissait comme une société raciste. Ce sondage était fautif et aberrant, sur toute la ligne, et nous l'avons déjà critiqué. Voilà que l'on en remet: il y aurait un monde de différence entre le Québec et le reste du Canada en ce qui concerne les rapports avec la communauté juive ([La Presse, 24 février 2008->12007]).

Selon le sondage commandé par l'Association des études canadiennes (AEC) et effectué par Léger Marketing, [l'«antisémitisme est plus présent au Québec qu'ailleurs au Canada»->12008]. Il en attribue la faute à la commission Bouchard-Taylor et au fait que «le concept d'imposition n'est pas le même au Québec que dans le reste du Canada» (une interprétation quelque peu tirée par les cheveux). Pour sa part, le [B'nai Brith rend la politique québécoise de l'interculturalisme responsable de cette situation->9879], «ce modèle étant bien moins chaleureux que le multiculturalisme canadien».
Arrêtons-nous d'abord à l'argument du B'nai Brith sur la supériorité du multiculturalisme canadien. Notons que, dans d'autres sondages pancanadiens, le Québec est sous haute surveillance sur cette question. Il constitue plus souvent qu'à son tour un cas privilégié de comparaison à une «moyenne canadienne». Par exemple, le Centre de recherche et d'information sur le Canada, le Globe and Mail et les Archives de recherche sur l'opinion publique canadienne publiaient un sondage en 2003 sur le multiculturalisme et concluaient que «54 % des Canadiens déclarent que le multiculturalisme les rend très fiers d'être Canadiens».
Le Québec était la seule province sur laquelle les auteurs se penchaient, pour affirmer au passage que «les Québécois accusaient un certain retard» dans l'«ouverture au pluralisme» (Andrew Parkin et Matthew Mendelsohn, 2003, p. 15).
Or le multiculturalisme peut renvoyer à un simple fait démographique, à une politique publique ou à un projet philosophique de remise en question des conceptions traditionnelles, unitaires et homogénéïsantes de l'État nation. Que voulaient mesurer Parkin et Mendelsohn quand ils parlaient de multiculturalisme? Que veut comparer le B'nai Brith? Or il faut clarifier impérativement: le débat au Québec porte sur deux politiques publiques de deux ordres de gouvernements distincts.
Le multiculturalisme fédéral vise à renforcer le sentiment d'appartenance au Canada et à valoriser la citoyenneté canadienne. L'interculturalisme québécois vise à renforcer le sentiment d'appartenance à la nation pluraliste québécoise, à l'ensemble du peuple québécois. Et si cela ne suffit pas pour clarifier, pourquoi ne pas invoquer les nombreuses critiques provenant des intellectuels du Canada anglais, de gauche et de droite, à l'égard de la politique fédérale du multiculturalisme, critiques qui foisonnent depuis 1971?
Les résultats du sondage sur les rapports interculturels commandé par l'Association des études canadiennes, en 2008, sont-ils dus à l'impact de la Commission Bouchard-Taylor? On ne peut négliger les effets pervers des audiences télévisées sur l'opinion publique sur la reproduction, voire l'aggravation de préjugés, comme l'ont reconnu haut et fort plusieurs citoyens.
Cependant, d'autres pistes d'interprétation peuvent être explorées. Nous déplorons d'abord le peu de renseignements sur la méthodologie du sondage. Les questions posées, tant dans leur contenu que dans le choix du public sondé, ne mettent en lumière qu'une petite partie des rapports entre les communautés juives et l'ensemble des Québécois. On reconnaît qu'il y a moins d'incidents antisémites au Québec qu'ailleurs au Canada, mais on estime qu'il y a plus de préjugés. Il faudrait aussi se questionner sur la définition d'un préjugé antisémite (ex: toute critique d'Israël est-elle une manifestation d'antisémitisme?). De plus, faut-il mesurer l'antisémitisme selon les actes posés ou selon la perception que l'on a des préjugés?
Dans les interprétations données par l'AEC sur la relation entre contacts et préjugés, on ne souligne nulle part le rôle de certains facteurs structurants propres à la situation du Québec au sein de la fédération canadienne, facteurs qui compliquent l'intégration des minorités en général: la dualité linguistique, la forte polarisation politique sur la question nationale, le rôle du réseau des écoles juives dans le manque de contacts, le Québec étant la seule province qui finance les écoles privées ethnoconfessionnelles; le fait que les Hassidim, ultra-orthodoxes sont beaucoup plus nombreux et concentrés au Québec qu'ailleurs au Canada; qu'ils représentent un segment visible concentré surtout dans le secteur francophone d'Outremont; la conception qu'ont les Hassidim de leurs rapports avec la société québécoise et l'impact du choix de vivre coupés du reste de la société sur les relations entre l'ensemble des communautés juives et le reste de la population du Québec; le silence relatif des intellectuels juifs sur les demandes «déraisonnables» d'ajustement, etc.
Faut-il également rappeler que la «complétude institutionnelle» des minorités ethnoculturelles du Québec est plus accentuée qu'ailleurs au Canada, selon plusieurs études?
Enfin, quel est l'intérêt de publier un sondage sur les rapports interculturels et les attitudes des Québécois (de quels Québécois parle-t-on d'ailleurs?....) à l'égard de la «communauté juive, quelque temps avant le lancement du rapport de la commission Bouchard-Taylor (attendu au printemps) et le dépôt d'un plan d'action contre le racisme du gouvernement du Québec (attendu également pour la fin mars)?
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Micheline Labelle, Professeure au département de sociologie à l'UQAM


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