La communauté juive et les Québécois: entre ignorance et préjugés

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Tolérance des Québécois / Sondage sur le racisme des Québécois

Mordecai Richler (Photo PC)

Laura-Julie Perreault - Elle a donné au Québec les Leonard Cohen et les Henry Morgentaler, tout autant que les épiceries Steinberg, les bagels qui font l'orgueil de Montréal et la meilleure viande fumée à l'ouest de la Pologne.


Mais malgré sa contribution à la culture, à l'économie et à l'histoire du Québec depuis 250 ans, la communauté juive de la province semble encore méconnue et victime d'opinions défavorables. C'est du moins ce que donne à croire un nouveau sondage Léger Marketing, dont La Presse a obtenu les résultats en exclusivité.
Un nouveau sondage démontre que les Québécois ont presque deux fois moins de contacts avec les membres de la communauté juive que le reste des Canadiens et qu'ils entretiennent davantage de préjugés à leur égard. Mais la plupart des craintes fondent comme neige au soleil quand les deux groupes se côtoient.
Ces constats se dégagent d'un sondage téléphonique effectué auprès de 1501 Canadiens entre le 6 et le 11 février dernier par Léger Marketing pour le compte de l'Association des études canadiennes, dans le cadre d'une étude plus vaste sur l'état des relations interculturelles au Canada.
Au Québec, l'échantillon était de 513 personnes qui ont répondu à 60 questions dont une douzaine portant sur le racisme et l'antisémitisme. De ce groupe, seulement 28% ont dit avoir été en contact avec des membres de la communauté juive au cours du mois de janvier. Dans le reste du pays, c'était le cas d'un répondant sur deux.
Ce premier écart statistique se répète à maintes reprises dans les résultats de l'étude obtenue par La Presse, notamment au chapitre des opinions qu'ont les répondants des membres de la communauté juive.
Alors que 74% des Canadiens hors Québec s'accordent pour dire que «les Juifs ont fait une contribution importante à la société», ce pourcentage chute à 41% au Québec.
Même fossé dans la perception de l'intégration de la communauté juive: 72% des répondants du Canada hors Québec estiment que les Juifs veulent pleinement participer à la société. Au Québec, seulement 34% partagent cette opinion.
Les perceptions sont tout aussi divergentes sur la volonté des «Juifs d'imposer leurs coutumes et leurs traditions aux autres». Si 41% des Québécois interrogés sont de cet avis, ils ne sont que 11% à affirmer la même chose à l'extérieur de la province.
Bouchard-Taylor: Un débat mal mené
Jack Jedwab, qui a rédigé les questions du sondage et commandé l'enquête, conclut que l'antisémitisme est plus présent au Québec qu'ailleurs dans le pays. Et le directeur général de l'Association des études canadiennes désigne d'emblée un coupable. «En termes d'actes antisémites commis, ce n'est ni mieux ni pire au Québec qu'ailleurs; mais dans l'attitude, c'est pire, et je l'attribue au débat sur les accommodements raisonnables et à la commission Bouchard-Taylor qui ont permis aux gens d'exprimer des sentiments négatifs à l'égard de certaines minorités sans subir de conséquences», avance-t-il.
Des individus ont colporté pendant des semaines de fausses informations sur la certification casher avant d'être rappelés à l'ordre par les commissaires Gérard Bouchard et Charles Taylor. «C'était une erreur monumentale et les résultats du sondage montrent que le débat a été mal mené», estime Jack Jedwab, en précisant que les communautés musulmanes et sikhes n'ont pas été épargnées dans le processus.
Professeur de sociologie à l'Université du Québec à Montréal, Rachad Antonius croit lui aussi que le débat sur les accommodements raisonnables a accentué les préjugés. Beaucoup de Québécois ont appliqué quelques demandes fortement médiatisées de la communauté hassidique ultra-orthodoxe d'Outremont à l'ensemble des 93 000 Québécois de religion juive. «Le racisme naît toujours de la généralisation», croit celui qui est aussi directeur adjoint du Centre de recherche sur l'immigration, l'ethnicité et la citoyenneté.
S'il qualifie les données du sondage de «préoccupantes», Rachad Antonius croit cependant qu'elles sont trop partielles pour conclure que le Québec est en pleine flambée d'antisémitisme. «Il manque des morceaux importants, notamment à l'égard de l'intégration économique de la communauté, son accès au pouvoir et la santé de ses institutions.» Dans ces trois dossiers, la communauté juive québécoise est citée en exemple à travers l'Amérique du Nord.
Ultra-orthodoxes très minoritaires
Co-coordonnateur des études juives canadiennes à l'Université d'Ottawa, Pierre Anctil estime que c'est surtout du côté du manque de contacts entre les Québécois francophones et les Québécois de religion juive qu'il faut regarder pour expliquer les écarts d'opinion. Un long processus historique se cache derrière ces deux solitudes.
Dès 1903, les enfants juifs se sont vu interdire l'accès aux écoles francophones catholiques et ont été envoyés dans les écoles anglo-protestantes. Après la Deuxième Guerre mondiale, les Juifs montréalais ont quitté en grand nombre l'est de Montréal pour s'installer dans l'ouest de l'île, notamment à Côte-Saint-Luc et à Hampstead. Les hassidim d'Outremont sont parmi les seuls à vivre en nombre significatif au sein d'une majorité francophone.
«Il y a un manque de contact et quand il y a contact, c'est avec une communauté très visible. Sinon, les Québécois francophones n'ont pas les clés pour faire la distinction entre les Juifs et les anglophones», croit Pierre Anctil. Les Québécois ont tendance à ignorer qu'un cinquième de la population juive québécoise, les séfarades, sont francophones. Et que les ultra-orthodoxes ne forment que 12% de la grande communauté juive.
Les résultats du sondage de l'Association des études canadiennes suggèrent d'ailleurs que la cohabitation dissipe presque tous les préjugés. Les Québécois qui ont répondu avoir eu des contacts avec des Juifs au cours du mois de janvier ont davantage tendance à croire que ces derniers forment une minorité vulnérable, qu'ils veulent participer pleinement à la société et qu'ils y ont fait une contribution importante.
Cependant, qu'ils aient ou non l'habitude de fréquenter la communauté juive, un peu plus de quatre Québécois sur 10 croient que «les Juifs veulent imposer leurs coutumes et leurs traditions aux autres».
Jack Jedwab offre une explication. «Le concept d'imposition n'est pas le même au Québec que dans le reste du Canada. On l'a vu dans le débat sur le voile islamique. Au Québec, beaucoup de gens croient qu'on essaie d'imposer le voile parce qu'il est porté dans l'espace public. Au Canada anglais, imposer voudrait dire obliger les non-musulmans à le porter», soutient M. Jedwab, tout en ajoutant qu'il trouve l'interprétation québécoise erronée. «Et c'est particulièrement étrange pour la communauté juive, à qui le prosélytisme est interdit.»
L'Association des études canadiennes publiera sous peu quatre autres volets de son étude sur l'état des relations interculturelles au Canada.


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