Périclès - L'homme politique selon nos voeux !

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Dans le contexte du Débat des chefs, Vigile propose de méditer sur ce modèle antique de "leadership politique": la Grande individualité ! (Texte publié sur Vigile en 1998)

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Périclès accomplit la démocratie athénienne. En même temps, il la dirige, il en est le chef - faut-il dire le « tyran » ? (les Athéniens le disent) longtemps incontesté. Il est, selon Thucydide, le « premier des Athéniens ». Il réunit en sa personne quatre « vertus » qui, liées l'une à l'autre, définissent le grand homme d'Etat.

Il a l'intelligence, c'est-à-dire la faculté d'analyser une situation politique, de prévoir exactement l'événement et d'y répondre par un acte.

Il a l'éloquence qui range à son avis, qui fait participer à son action le peuple entier. Chaque fois qu'il parle devant l'Assemblée du peuple, on dirait qu'il dépose à ses pieds sa couronne de chef, pour ne la remettre sur sa tête que du consentement de tous. C'est qu'il porte, dit-on, la foudre sur la langue.

Et, troisième vertu, le patriotisme le plus pur - rien jamais ne passe pour, lui avant l'intérêt de la communauté des citoyens, avant l'honneur de la cité d'Athènes.

Enfin, il a le désintéressement le plus absolu. A quoi serviraient en effet les deux premiers dons - le pouvoir de distinguer l'intérêt public et la faculté d'en convaincre le peuple - s'il n'était tout entier dévoué à son pays et inaccessible à la corruption ?

Ainsi le grand historien a dressé, avec ce portrait de Périclès au seuil de son ouvrage, une image de l'homme d'Etat qui domine de haut les figures des autres hommes politiques qu'il lui oppose et qui, chacune, manquent de l'un de ces dons essentiels par lesquels se caractérise tout grand chef. Non seulement Périclès domine, chez Thucydide, les autres hommes politiques - si intelligents, éloquents ou patriotes ou honnêtes qu'ils puissent être - mais il a une intelligence si parfaite d'Athènes et de sa grandeur, de la puissance qu'il appartient à son peuple de saisir, en ce moment historique ou jamais, qu'il sut faire l'union de ce peuple toujours divisé contre lui-même, en lui proposant un but qui le dépassât, un but commun à toutes les cités déchirées de la Grèce.

Périclès en effet parle parfois chez Thucydide un langage panhellénique, en homme qui s'est proposé de rassembler enfin le peuple grec entier, sous l'hégémonie de la cité la plus digne à tous égards de le commander. Trente ans durant il a façonné la cité d'Athènes pour en faire « l'école de la Grèce » (entendons d'après le contexte, l'école politique de la Grèce). Il a voulu faire de sa cité le centre actif et brillant du monde hellénique, persuadé que la maîtrise qu'elle allait, sous sa direction, affirmer dans les arts plastiques saurait exprimer l'amour de la vie qui brûlait au coeur de tous les Grecs. Mais il a voulu surtout faire d'Athènes le coeur ardent de la vie politique grecque tout entière, un coeur que rien ne fait battre plus fort que l'amour de la liberté traduit en actes. Périclès prononce, chez Thucydide, cette phrase où retentit magnifiquement cet amour commun à tous les Grecs : « Convaincus que le bonheur est dans la liberté et la liberté dans le courage, regardez en face les dangers de la guerre. » Cette phrase, malgré les apparences, Périclès ne l'adresse pas seulement aux Athéniens : elle atteint tous les Grecs, toutes les cités helléniques dans un sentiment profond qui les définit tous ensemble face au reste des hommes, et qui les définit à ce même niveau de sacrifice suprême fait au bonheur l'amour de la liberté. Elle fait plus qu'exprimer un sentiment, elle exige un acte, fondé sur la plus grecque des vertus - un acte de courage.

Si Périclès conçut - ce qui sera établi plus loin - de réunir dans le giron d'Athènes, cité-mère, la Grèce éparse des autres cités et s'il échoua dans ce dessein, c'est en partie parce que, avant qu'il le pût réaliser, la mort la plus imprévisible à cette intelligence faite pour prévoir - la mort par la peste - l'atteignit en pleine action, en pleine vigueur, mais c'est aussi parce que les autres Grecs appelèrent d'un nom différent le patriotisme athénien de Périclès qui prétendait les unir - ils l'appelaient l'impérialisme d'Athènes.

Tels furent Périclès et son destin, selon Thucydide.

André Bonnard, Civilisation grecque. De l'Iliade au Parthénon, Lauzanne, La Guilde du Livre, 1954, pp. 272-274.


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