Le crucifix

Tolérance des Québécois / Sondage sur le racisme des Québécois


Il est de commune renommée que Lucien Bouchard n'a pas l'humeur très égale. À Ottawa comme à Québec, il a fait des colères mémorables.
Selon un de ses anciens ministres, une de ses pires crises est survenue quand André Boisclair a voulu entraîner le Conseil des ministres dans un débat sur la présence du crucifix à l'Assemblée nationale.
Hors de lui, M. Bouchard a coupé court à toute discussion, lançant à son jeune ministre qu'il ne serait pas un nouveau Joseph d'Arimathie, ce disciple de Jésus qui avait obtenu de Pilate l'autorisation d'ensevelir son corps après la crucifixion.
Il faut reconnaître que le nouveau chef du PQ a de la suite dans les idées. Se réclamant de la «laïcité québécoise», il a réitéré la semaine dernière dans une entrevue au Devoir que le crucifix «n'a pas sa place là».
De toute évidence, il a réalisé avoir commis une gaffe. Il s'est donc empressé d'ajouter qu'il n'exprimait pas la politique officielle de son parti, mais simplement une «conviction personnelle». Peine perdue, cette histoire s'est retrouvée en première page.
Pour une fois que M. Boisclair donne franchement son opinion, faut-il encore lui tomber dessus? D'ailleurs, d'autres députés péquistes partagent son opinion. Si ce n'est pas la position du PQ, son chef pourrait-il préciser quelle est cette position? Que le crucifix est simplement un objet encombrant?
Il est remarquable que ce soit une députée libérale de confession musulmane, Fatima Houda-Pepin, qui, au nom de l'identité québécoise, ait manifesté l'opposition la plus vive à son retrait.
«Quand un symbole d'amour devient un symbole de division, je conçois qu'on doive l'enlever», a objecté le député péquiste de Saint-Hyacinthe, Léandre Dion, qui est pourtant un fervent catholique.
Encore faudrait-il se demander ce qui serait le plus divisif: laisser le crucifix là où il est ou l'enlever? Qui, au juste, réclame sa disparition? De plus en plus de Québécois de toutes origines y voient davantage une référence culturelle qu'un symbole religieux.
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Le contexte qui a fait opter la France pour une laïcité intransigeante n'est pas celui du Québec. Il ne faudrait pas conclure de quelques égarements en matière d'accommodement que la société québécoise est menacée de désintégration sous la pression des intégrismes.
Le mieux est l'ennemi du bien, dit-on. Aussi bien à l'Assemblée nationale qu'à l'Hôtel de Ville de Montréal, on en est arrivé à un équilibre que rien ne justifie de briser. Au cours de la période de «recueillement» qui précède les délibérations, chacun peut chercher son inspiration où bon lui semble, peu importe ce qui est accroché au mur.
M. Boisclair était sans doute bien intentionné, mais la meilleure façon de provoquer dans la population une réaction négative contre l'accommodement raisonnable est précisément de la priver, au nom de principes abstraits, de symboles dont la présence ne nuit à personne, qu'il s'agisse d'un crucifix ou d'un arbre de Noël.
À la veille d'une campagne électorale, on peut se demander si le moment était bien choisi pour lancer un débat comme celui-là. Pour reprendre le pouvoir, le PQ doit absolument récupérer des circonscriptions qu'il a perdues en région. Sortir le bon Dieu du Parlement n'est certainement pas être une priorité pour ces électeurs.
Il y a peu de chances que le crucifix devienne un grand enjeu de la prochaine campagne, mais certains candidats libéraux ou adéquistes se feront certainement un devoir de rappeler les déclarations du chef péquiste à ceux qu'elles pourraient indisposer.
Certains de ses députés auraient voulu que M. Boisclair s'implique davantage dans le débat sur l'accommodement raisonnable, plutôt que de laisser toute la glace à Mario Dumont, mais il a refusé.
Déjà, à l'époque où il n'était que simple député, il dénonçait ce qu'il percevait comme de l'intolérance, y compris au sein de son propre parti, quitte à en payer le prix. En 1993, il s'était attiré les foudres de Jacques Parizeau lui-même, qui s'était senti visé.
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Au moment où, grâce aux bons soins des recherchistes libéraux, les médias faisaient apparaître de troublantes contradictions entre les positions antérieures de l'ADQ sur l'accommodement raisonnable et les récentes interventions de son chef, la prise de position de M. Boisclair constitue une heureuse position pour M. Dumont.
En 1999, l'ADQ avait encore des ambitions du côté de Montréal et semblait prête à tous les accommodements dans les écoles, y compris l'introduction de cours de religion distincts pour chaque confession et le réaménagement du calendrier scolaire pour éviter les conflits avec les fêtes religieuses juives, musulmanes ou autres. Aujourd'hui, M. Dumont dénonce plutôt ces accommodements comme un véritable danger pour l'identité québécoise.
Il est certainement choquant de voir un chef de parti ajuster ses principes à ses intérêts politiques du moment, mais le crime de lèse-crucifix risque d'être jugé encore plus grave.
Les libéraux, qui espèrent voir les électeurs péquistes plus conservateurs passer à l'ADQ, sont évidemment ravis, mais ils commencent à se demander si tout cela n'est pas un peu trop beau pour durer.
Ils n'ont pas oublié le coup qu'ils avaient eux-mêmes fait au PQ en 1998. Au moment où la crise du verglas lui avait fait retrouver la popularité de ses débuts, Lucien Bouchard avait été pris complètement au dépourvu par la démission de Daniel Johnson. S'il fallait qu'André Boisclair...
Il y a cependant une différence de taille. En 1994, M. Johnson avait perdu honorablement, mais il avait perdu quand même. Il n'y a aucun exemple d'un chef de parti qui ait jeté l'éponge sans avoir tenté sa chance au moins une fois.
mdavid@ledevoir.com


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