Le crucifix de l'Assemblée nationale

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La présence d'un crucifix au-dessus du siège du président de l'Assemblée nationale a suscité un débat sur l'à-propos d'un symbole religieux dans un endroit aussi stratégique du Salon bleu du Parlement. Comment concilier la laïcité de l'État avec une représentation religieuse qui peut laisser penser que la religion catholique doit guider les débats et les décisions de l'Assemblée?
Il est révélateur de se pencher sur les circonstances qui ont entouré la décision du gouvernement du Québec de donner à ce symbole une place aussi importante.
C'est le gouvernement de l'Union nationale de Maurice Duplessis qui a décidé d'apposer le crucifix au-dessus du trône du président de la Chambre à la première session du gouvernement qui venait tout juste d'être élu, en octobre 1936. Il a aussi été posé au Salon rouge au-dessus du siège du président du Conseil législatif (salle maintenant réservée aux délibérations des comités de l'Assemblée nationale; le crucifix n'y apparaît plus).
Cette décision de Duplessis n'est pas fortuite; elle est réfléchie et correspond au désir du nouveau gouvernement d'effectuer un virage dans les relations entre l'Église et l'État québécois. Duplessis veut montrer qu'il se distingue des gouvernements libéraux antérieurs en étant davantage à l'écoute des principes catholiques.
Peu de symboles religieux au Parlement
L'Hôtel du Parlement, dont la construction date du milieu des années 1880, contient très peu de symboles religieux même si sa décoration est destinée à rappeler l'histoire et l'identité du Québec. L'architecte responsable de sa construction et de sa décoration, Eugène-Étienne Taché, n'en a pas prévu, si on excepte trois statues de missionnaires parmi les 30 statues qui devaient orner la façade du Parlement.
Au début du siècle, les gouvernements libéraux se limitent à la réalisation des statues des missionnaires Marquette et Brébeuf, privilégiant plutôt celles des militaires, des explorateurs et des hommes politiques responsables de l'avènement de la démocratie. L'ensemble de l'ornementation intérieure et extérieure du Parlement vise à mettre en évidence les origines françaises du Québec, les conquêtes démocratiques de 1791 et 1848 et l'attachement au système politique britannique de monarchie constitutionnelle.
C'est ainsi que les armoiries de la Grande-Bretagne surplombent ostensiblement le trône du président de la Chambre (bien plus en évidence que le crucifix). Dans ce haut lieu de la vie politique, les gouvernements veulent mettre en relief l'attachement des Québécois aux valeurs démocratiques.
À notre connaissance, il n'a jamais été question pour les gouvernements dirigés par les libéraux, élus sans interruption de 1897 à 1936, d'ajouter des éléments religieux à la décoration du Parlement. Ces gouvernements entretenaient des relations souvent tendues avec le pouvoir clérical, et une aile radicale à l'intérieur du Parti libéral se faisait fort de rappeler la séparation des rôles de l'Église et de l'État.
La crise
Au début des années 1930, la crise économique ébranle le Parti libéral, tout comme les valeurs démocratiques de la société québécoise. Les critiques fusent contre les politiciens et le système parlementaire. L'Union nationale, née en 1935, veut incarner un renouveau politique avec un programme imprégné des valeurs de droite alors à la mode: antisocialisme virulent, dénonciation des abus du capitalisme, corporatisme, agriculturisme et nationalisme centré sur le Québec. Son programme, qui découle du Programme de restauration sociale (1933-34), prend racine dans l'enseignement de la hiérarchie et des intellectuels catholiques pour qui la crise devient l'occasion d'étendre l'autorité de l'Église sur le pouvoir politique.
Et Duplessis, une fois au pouvoir, s'empresse de répondre aux doléances des autorités religieuses en élargissant son influence dans le domaine de l'éducation et en faisant voter la fameuse loi du cadenas en 1937, destinée à réprimer la propagande communiste.
L'union de Duplessis
On doit comprendre sa décision d'ajouter le crucifix au Salon bleu à la lumière d'un autre geste symbolique révélateur des rapports que Duplessis veut entretenir avec l'Église. Il survient à l'occasion du grandiose congrès eucharistique tenu à Québec en juin 1938.
Devant un parterre de délégués pontificaux, de prêtres et d'évêques et en présence d'une foule considérable, Duplessis présente au cardinal Villeneuve, archevêque de Québec, un anneau comme symbole d'attachement du Québec à la religion
catholique. Il lui glisse l'anneau en disant préférer aux principes de liberté, d'égalité et de fraternité proclamés par la Révolution française ceux découlant de l'Évangile: foi, charité et espérance. Il termine par une profession de foi en Dieu et en la religion catholique.
Le cardinal, qui n'est pas long à comprendre la signification du geste, répond: «Je reconnais dans cet anneau le symbole de l'union chez nous de l'autorité civile et de l'autorité religieuse.» Duplessis veut ainsi se distinguer des gouvernements libéraux antérieurs et manifester les nouveaux rapports qu'il désire entretenir avec le pouvoir religieux.
Pendant les 19 ans où elle a dirigé les destinées de la province, l'Union nationale de Duplessis a été à l'écoute de l'enseignement de l'Église, notamment dans les domaines importants de compétence partagée que sont l'éducation, la santé et les services sociaux. Contrairement aux gouvernements libéraux qui avaient légiféré depuis le début du siècle pour étendre le rôle de l'État dans ces secteurs, celui de l'Union nationale se charge au contraire d'élargir l'emprise cléricale. Pendant les années 50, il résiste à toute réforme du système d'éducation et de santé.
Pour Duplessis, donc, le crucifix placé au-dessus du siège du président de l'Assemblée représentait bien davantage qu'un symbole du passé religieux du Québec: il était le symbole de la nouvelle alliance qui unissait l'Église et l'État.
Jacques Rouillard, Professeur au département d'histoire de l'Université de Montréal


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