Loi 78

Liberté d’étudier et liberté de travailler

Crise sociale - JJC le gouvernement par le chaos



La protection de la liberté des étudiants d’accéder à leurs cours a d’abord été cautionnée par des injonctions. Devant leur insuccès, la loi d’exception 78 a pris le relais avec des amendes salées pour tous ceux qui entraveraient la liberté d’éducation.
Il y a un rapprochement intéressant à dresser entre l’évocation de la liberté d’éducation avancée par le gouvernement à l’appui du projet de loi 78 et la liberté de travail longtemps évoquée pour permettre l’embauche de briseurs de grève. Dans le cas de conflits relevant du Code du travail, cette embauche est interdite depuis 1977 avec l’adoption de la loi 45 sous le gouvernement du Parti québécois. Voyons dans quelle circonstance cette loi a été adoptée.
Le premier ministre Jean Charest évoque le droit fondamental des étudiants d’avoir accès aux établissements d’enseignement au nom de la liberté d’éducation. Ceux qui veulent étudier, précisait-il, « ont le droit de le faire dans un environnement sécuritaire sans se faire barrer la porte » tandis que ceux qui refusent de rentrer en classe « ont toujours le droit de manifester sans violence ». Pour le ministre des Finances Raymond Bachand, l’adoption de la loi représente « une journée de liberté » « parce qu’est affirmé le droit d’étudier en liberté, sans être bousculé, sans être violenté ».
Les étudiants au carré vert auraient donc individuellement le droit de poursuivre leurs cours tandis que les étudiants au carré rouge devraient se contenter de manifester leur désaccord, sans plus. Leur piquet de grève bloquant l’accès aux cours devient une atteinte injustifiée à la liberté des étudiants de recevoir leur éducation.
Les carrés rouges, qui respectent une décision prise démocratiquement en assemblée générale, appellent à la solidarité et comprennent bien que la reprise des cours signifie l’échec de leur boycottage. Il suffit qu’une faible minorité d’étudiants retournent en salle de classe pour que les cours soient dispensés. Leurs grèves deviennent alors inefficaces, un geste purement symbolique.

Reconnus depuis les années 1960
La protection de la liberté des étudiants d’accéder à leurs cours a d’abord été cautionnée par des injonctions. Devant leur insuccès, la loi d’exception 78 a pris le relais avec des amendes salées pour tous ceux qui entraveraient la liberté d’éducation. Deux valeurs issues de principes démocratiques s’affrontent : le respect de décisions rendues par des assemblées syndicales et la liberté individuelle des étudiants d’accéder à leurs cours.
Les syndicats étudiants ne sont pas régis par le Code du travail, mais ils sont reconnus comme des organisations légitimes représentant les étudiants par le gouvernement et les institutions d’enseignement depuis les années 1960. La loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants permet même la cotisation à la source et leur action s’apparente à celle des syndicats de travailleurs salariés.
Il y a un beau parallèle à tracer entre les grèves décidées en assemblée générale par les travailleurs salariés et la liberté de travail longtemps évoquée par les employeurs, les gouvernements et les tribunaux pour permettre aux briseurs de grève de rentrer au travail. Comment les lois régissant les relations du travail ont-elles concilié la liberté de travail avec le droit collectif des travailleurs de faire grève ?
Pendant longtemps, même si le droit de grève a été très souvent exercé, il est demeuré, selon la loi, une disposition ne restreignant pas la liberté des travailleurs de vaquer à leur tâche et celui des employeurs de remplacer des grévistes par des scabs. La liberté de travail l’emportait sur le droit de grève qui se limitait à la symbolique de faire du piquetage devant l’entreprise.
Dans plusieurs cas de conflits où des briseurs de grève sont embauchés, il y a eu intimidation, violence, intervention de la police, arrestations, injonctions, etc. On comprend les grévistes de ne pas apprécier le fait que leur emploi soit menacé par des travailleurs qui ne respectent pas la solidarité syndicale. Leur moyen de pression devient alors inefficace et leur grève, un échec à plus ou moins long terme.

Briseurs de grève
L’histoire des relations de travail au Québec est parsemée de conflits qui ont dégénéré en violence après l’embauche de briseurs de grève. Des conflits célèbres, souvent illégaux, sous l’administration de Maurice Duplessis comme les grèves de l’amiante de 1949, de Louiseville en 1952 ou de Murdochville en 1957 résultent de la présence de briseurs de grève.
Au début des années 1970, période de grande militance (392 arrêts de travail en 1974 et 1975 ; 58 en 2011), de longues grèves illégales assorties d’injonctions par les tribunaux ont perturbé fortement le climat social au Québec : grèves à la Commission de transport de Montréal (1974), chez Firestone de Joliette (1973-1974), parmi les travailleurs de la construction à Montréal (1975). Et surtout le débrayage de 20 mois à la United Aircraft (Pratt et Whitney) de Longueuil (1974-1975) marqué par des congédiements, du vandalisme, des menaces à l’égard des briseurs de grève, une occupation de l’usine vidée par la Sûreté du Québec, tabassage de grévistes, etc. Les lois du travail et les tribunaux protégeaient toujours la liberté de travail et celle des employeurs d’embaucher des briseurs de grève. À l’époque comme de nos jours, plusieurs commentateurs et éditorialistes réclamaient le respect de la loi et l’ordre.

Situation déplorable
Mais, en 1974, devant l’avalanche d’injonctions demandées pour outrages au tribunal, le juge en chef de la Cour supérieure, Jules Deschênes, estimait que les recours aux tribunaux n’étaient pas une façon de régler les conflits sociaux en écrasant « une masse de citoyens par l’amende et la prison ».
Évaluant que la désobéissance civile généralisée dévaluait le pouvoir judiciaire, il invitait le pouvoir politique à l’imagination pour « inventer de moyens nouveaux » pour régler les conflits. En juin 1975, le ministre de la Justice, Jérôme Choquette, qualifiait la situation sociale de « déplorable » et précisait que son ministère avait pris « des mesures pour faire triompher l’ordre et la loi, seules garanties valables de la jouissance des libertés individuelles ».
La violence engendrée par l’embauche de briseurs de grève déterminait, en 1975, le Parti québécois sous la direction de René Lévesque à intégrer à son programme l’interdiction de briseurs de grève. C’était un pari risqué, car l’opinion publique en avait soupé des grèves à répétition, surtout dans le secteur public. Mais le climat social tendu donnait aussi une impression de chaos ce qui a favorisé l’élection du Parti québécois, l’année suivante, avec une forte majorité. Tenant promesse, il adoptait, en 1977, la loi 45 qui comprenait l’interdiction de briseurs de grève.

Espace de droit social
Depuis ce temps, c’en est fini au Québec des empoignades et de la violence sur les piquets de grève. Cette mesure a renforcé le pouvoir syndical tout en contribuant à assurer une meilleure paix sociale.
Depuis la légalisation du syndicalisme en 1872, la législation du travail a institué un espace de droit social dans un système juridique fondé sur la liberté individuelle, l’égalité des individus et la protection de la propriété privée. La liberté de travail a été graduellement érodée par de nouvelles lois pendant des périodes où les conflits syndicaux, largement illégaux, se sont multipliés, notamment en 1942-1944, en 1963-1965 et en 1974-1976.
Limites du recours à la loi
Pour éviter le dérapage social, le législateur a même permis en 1977 que les décisions démocratiques prises en assemblée syndicale puissent limiter sérieusement la liberté de travail et le droit d’embauche des employeurs.
La loi antibriseurs de grève ne s’applique pas aux étudiants, ce qui a donné lieu aux débordements sur les piquets de grève et à l’adoption de la loi 78. À mon avis, il sera fort difficile de faire respecter le retour normal des étudiants dans leurs salles de classe. Les carrés rouges useront de leur imagination pour l’empêcher ; ils n’en ont pas manqué jusqu’ici. Plutôt qu’une loi excessive qui s’attaque aux droits d’association, d’expression et de manifestation, vaut beaucoup mieux une entente négociée.
Aujourd’hui comme hier, le recours à la loi et l’ordre a des limites pour régler les conflits sociaux d’envergure. Comme le recommandait le juge Deschênes en 1974, le pouvoir politique doit « trouver les remèdes appropriés » pour régler ces conflits qui dévalorisent trois piliers de notre société démocratique : l’autorité politique, le pouvoir judiciaire et le système de maintien de l’ordre. Et les remèdes sont encore plus nécessaires lorsque ces conflits concernent les jeunes qui formeront la société de demain.


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