Les crimes de guerre de l’envahisseur anglo-saxon

Un vent étranger souffla alors sur la Nouvelle France 

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Chronique de Marie-Hélène Morot-Sir

Durant plus d’un siècle les Anglais avaient cherché à s’emparer de la Nouvelle France et avaient tenté en vain, de mille manières violentes de se l’approprier.


     C’est alors que le moment d’arriver à leur but se profila vraiment. Une guerre éclata bien à propos en Europe, favorisant par contrecoup, parfaitement bien leur projet. La guerre de Sept Ans, opposa la Prusse de Frédéric II, alliée des Anglais, à une coalition soutenant l’Autriche, réunissant par le jeu des alliances, Russes, Français, Suédois et Polonais.


     Cela permit aux dirigeants de Londres de transporter immédiatement ce conflit européen également sur le sol de l’Amérique septentrionale, afin croyaient-ils, d’avoir toute légitimité pour attaquer cette fois, pour de bon, la Nouvelle France.    


     Tout avait commencé au mois de juin 1759 !     


     Personne n’oublierait ce jour où la flotte de l’amiral anglais Sanders, amenant les troupes du général Wolfe, avait remonté le fleuve, effrayant terriblement les habitants.


     Ils avaient observé avec inquiétude les navires ennemis depuis les villages bordant le Saint Laurent. Cette flotte puissante comprenait près de douze mille hommes, tandis que les navires avançaient sur le fleuve, un panorama magnifique se déroulait sous les yeux des soldats. Le capitaine John Knox écrira dans son carnet : « … nous jouissions de l’aspect le plus agréable de cette contrée, de tous ces aspects charmants, nous apercevions depuis le pont des bateaux les moulins à vent ou à eau, les villages, les églises, les petites chapelles, les maisons coquettes et pimpantes entourées de jolies haies verdoyantes… »   


      L'armée s'établit alors à l'île d'Orléans.


      Depuis cet endroit stratégique les Anglais allaient pouvoir bombarder à leur gré la ville de Québec, située sur le cap diamant, juste en face. Ils n’hésiteraient pas à faire un carnage et à la transformer en un amas de cendres fumantes et un monceau de ruines.


     Le général anglais James Wolfe fit rapidement placarder des affiches sur les portes des églises de cette île :


     — Le peuple, les laboureurs, colons et paysans, les femmes, les enfants, et les ministres sacrés seront protégés et épargnés. Ils pourront jouir au milieu de la guerre de toutes les douceurs de la paix, s’ils ne participent pas à la résistance contre l’occupant anglais.


      Les rares habitants qui firent confiance à la parole de Wolfe en payèrent pourtant le prix fort.


     Trois hommes furent scalpés et une maison, où s'étaient réfugiés des femmes et des enfants, fut impitoyablement incendiée et les malheureux furent brûlés vifs à l’intérieur, sans aucune possibilité de s’échapper !


     Cet épisode agressif d’une incroyable violence, aussi surprenant qu’effroyable fut suivi, sur les ordres du général James Wolf, du saccage épouvantable de toute la côte Sud du fleuve, par un détachement de mille hommes, soldats et rangers, détachement commandé par le major Georges Scott. Toutes ces monstrueuses et inhumaines exactions, furent ordonnées dans le seul but de terroriser la population canadienne française.


     James Wolf en choisissant d’envoyer Scott avec les Rogers ‘Rangers savait qu’il pouvait compter sur cet ancien commandant des troupes du Massachusetts et de William Shirley, le gouverneur de cette colonie britannique.  Initialement cette compagnie de la colonie du New Hampshire fondée et dirigée par le major Robert Rogers, un ancien corsaire anglo-saxon, avait été créée uniquement pour pouvoir affronter les Canadiens français et leurs alliés amérindiens.


     Les soldats anglais étaient en effet, totalement démunis et effrayés devant ces Français, ils ne savaient comment faire face à leur manière de combattre dans les bois et encore moins de quelle manière y répliquer.


     Ils ne connaissaient qu’une seule façon de faire la guerre, celle à l’européenne, n’ayant pas été formés à cette « petite guerre » d’embuscade si performante et rapide qui les terrorisait, à laquelle, en revanche, les Canadiens français, l’ayant apprise des Amérindiens, s’étaient si bien adaptés, qu’elle était devenue leur manière particulièrement efficace de combattre.


     En effet malgré le nombre dix fois supérieur des régiments anglais, la maîtrise et la suprématie des attaques franco amérindiennes étaient stupéfiantes !


      Tous avaient essuyé de cinglantes défaites comme le général Braddock à la Monongahela en 1755 ou Abercombry à Ticonderoga le 8 juillet 1758, pour n’évoquer que ces deux attaques anglaises-là. Ainsi à chaque fois ils avaient dû se replier sous le nombre impressionnant de leurs soldats tués et des quantités toujours plus nombreuses de leurs blessés.


     Cette compagnie des Rangers avait été finalement ajoutée à l’armée britannique, lors des attaques suivantes des Anglais, en Nouvelle France.


     Cette unité des colonies de Nouvelle Angleterre était la seule capable d’arriver à se mesurer ainsi aux Canadiens français et aux Amérindiens, mais aussi de franchir comme eux de grandes distances à travers la neige et les glaces de l’hiver.


     À la différence des Canadiens français ils se permettaient de scalper sauvagement, dès qu’ils le pouvaient, des soldats français et des miliciens canadiens, alors que ces derniers avaient toujours refusé d’utiliser cette pratique ancestrale, mais néanmoins fort barbare, des Amérindiens. Ils empêchaient d’ailleurs, dès qu’ils le pouvaient, leurs alliés amérindiens de s’emparer des scalps des Anglais, tout en sachant combien cette tradition était importante pour tout guerrier, quelle que soit sa tribu d’origine, tous étant particulièrement désireux de rapporter ces scalps. Cela non seulement allait démontrer leur bravoure, mais encore leur apporterait, croyaient-ils, la force vitale de la personne scalpée.


     Ils les attachaient à leur ceinture ou aux rebords de leurs canots en remontant les rivières, puis une fois rentrés dans leur bourgade ils les fixaient tout autour de l’entrée de leur wigwam ou de leur tipi.


      À la différence des Amérindiens, les Rangers avaient copié cette pratique, non pour prouver une quelconque bravoure, et encore moins pour suivre une quelconque idéologie, mais dans le seul but d’épouvanter le camp adverse, en affichant une barbarie aussi affligeante qu’inutile.


     Ainsi les troupes anglaises furent accompagnées par ces « Rogers ‘Rangers » ces miliciens anglo-saxons si cruels et sanguinaires, que certains officiers anglais répugnaient à leur confier des missions. Un officier anglais les décrivit comme des « chiens galeux, lâches et méprisables ».


     Le général anglais Wolfe était là pour prendre ce pays, il n’allait pas tergiverser avec ces habitants français récalcitrants, il les ferait plier, et cela d’autant plus que l’amiral Sanders l’avait pressé d’agir, les eaux du fleuve se couvriraient rapidement de glace, et cela dès la mi-octobre, il faudrait donc que tout soit réglé au plus tard, à cette date.


     En effet dans le cas contraire, il leur faudrait absolument repartir, de crainte de rester prisonniers devant Québec, au milieu de ce fleuve gelé, où les canons de la ville ne donneraient pas cher de leurs vaisseaux.


     Les Anglais en avaient déjà fait la dure expérience en 1690, lors de l’attaque anglaise de la flotte de l’amiral Phips.


     Wolfe bombarda alors la ville de Québec tout l’été, il tenta deux attaques importantes avant le mois de septembre, mais ses troupes furent toutes les fois largement repoussées. Malgré ces décevantes et pénibles défaites, les Anglais s’acharnèrent à continuer à bombarder la ville, et cela jour et nuit pendant des semaines, la réduisant en un gigantesque tas de ruines des plus lugubres.


     Il a été évalué plus tard, à plus de quinze mille le nombre de bombes lancées contre Québec. Le sort réservé aux campagnes avoisinantes ne fut guère plus reluisant.


     Diligentés par James Wolf, les soldats anglais accompagnés des Rogers ‘Rangers n’avaient donc pas lésiné ! 


     Ces troupes dirigées par George Scott et Joseph Goreham débarquèrent simultanément à Kamouraska et à la rivière du Sud (Montmagny) dans le seul but de ravager toutes les fermes de la Côte-du-Sud.


      Pendant toute cette période tragique, les habitants de cette Côte Sud et principalement les habitantes, puisque tous les hommes en état de porter les armes ayant rejoint la milice, étaient rassemblés à Québec pour défendre la ville, ont résisté avec les enfants et les vieillards, dans la mesure de leurs moyens, multipliant les embuscades sur le chemin des incendiaires.


     Les habitantes se défendaient courageusement, harcelant les troupes anglaises autant qu'elles le pouvaient. Cachées dans les bois, ces femmes ouvraient le feu sur les soldats anglais envoyés pour les exterminer tous, aussi épouvantées qu’elles puissent être, ces courageuses canadiennes étaient déterminées à se défendre et à défendre leur famille.


     Bien souvent au cours de ces journées terribles, elles étaient rejointes dans les bois par leurs amis amérindiens de différentes tribus, ces derniers ne supportant pas plus que les Canadiens d’endurer ces attaques anglaises épouvantables, ravageant leur pays et leurs vies.


     L’une de ces habitantes canadiennes, Charlotte Ouellet, avait pris les armes avec d'autres femmes audacieuses et déterminées, dans de nombreux villages, comme à Sainte-Anne-de-la-Pocatière, où déguisées en soldats, elles firent feu sur les troupes anglaises. Dans la région de l'Islet, les Rangers de Scott parvinrent à faire six prisonnières parmi ces résistantes.


     Les quelques Canadiens encore présents dans la région, faisaient partie de détachements laissés sur la Côte Sud pour s’opposer « aux descentes des Anglais », participèrent activement avec elles, mais sans grands moyens pour se défendre, face à ces soldats surarmés et ces rangers surentraînés.


     Le seigneur Jean-Baptiste Couillard et son fils, le jeune abbé Joseph Couillard, défendirent héroïquement le village mais malgré tout leur courage, submergés par le nombre des attaquants, le 14 septembre 1759, ils furent tués tous les deux.


     Tous ces habitants éloignés de Québec, avaient entendu parler de la bataille sur les Plaines d’Abraham, mais n’ayant plus eu d‘information précise depuis, ils ignoraient ce qui s’était ensuite passé là-bas.  Lorsque les nouvelles de la chute de Québec arrivèrent, femmes, enfants et vieillards purent enfin quitter leurs abris dans les forêts où ils avaient passé l’été, pour rejoindre leurs villages, néanmoins l’angoisse les étreignait à l’avance, redoutant tout ce qu’ils allaient trouver... En effet depuis leurs cachettes au plus profond des bois, les cris effroyables des villageois qui n’avaient pas réussi à s’enfuir, étaient parvenus jusqu’à eux.


     À l’emplacement de leurs maisons, seuls des tas informes de ruines noirâtres, d’où s’échappaient encore des fumerolles des incendies, les accueillirent, la désolation était totale.


     Il ne restait plus rien ! 


     Les soldats anglais et les recrues de cette compagnie spéciale des Rogers’ Rangers avaient commis un nombre incalculable d'atrocités.


     Ils s’étaient acharnés à piller et à brûler toutes les fermes, à violer les femmes qui n’avaient pas eu le temps de s’échapper, puis à les tuer en les jetant dans les maisons en flamme avec leurs jeunes enfants. Ils avaient consciencieusement brûlé toutes les récoltes, et s’étaient ensuite acharnés sur les animaux des habitants, qu’ils avaient ou tué ou volé, laissant la désolation et le malheur derrière eux.


     Un soldat anglais ayant participé à ces opérations de terreur notera plus tard avec fierté dans son journal :


      — Nous avons brûlé et détruit jusqu'à quatorze cents belles fermes le long de la rive, car, pendant le siège, nous étions les maîtres de leur pays, et nous envoyions presque continuellement des groupes pour ravager la campagne, si bien que cela leur prendra un demi-siècle pour réparer les dégâts. 


     Un tragique épisode des plus gratuits et des plus cruels commis par les soldats anglais et ces Rogers ‘Rangers, pour la conquête de la Nouvelle France !


      Les hommes n’avaient toujours pas pu revenir de Québec, ils avaient dû suivre à Montréal les régiments français pour s’y replier avec toute l’armée française, le chevalier de Lévis et le gouverneur de la Nouvelle France, Pierre Rigaud de Vaudreuil. D’autres parmi les miliciens canadiens, ayant été bien tristement tués lors du siège, ne reviendraient jamais. 


      La population des bords du fleuve venait de subir les plus épouvantables horreurs, pourtant l’hiver, le rude hiver de leur pays de glace, allait rapidement arriver, ajoutant un fléau supplémentaire à leur malheur. Alors il avait fallu reconstruire en toute hâte des abris de fortune juste avant la prochaine arrivée de la neige, au moins une simple cabane, à la place des maisons incendiées, sachant le froid intense qui attendait les habitants, encore une chance que le bois ne manquait pas dans le pays !


      Cependant il n’y avait plus rien, plus aucune nourriture, toutes les provisions en prévision de l’hiver, avaient disparu dans les flammes, les soldats avaient mis le feu à toutes leurs cultures. Tous les animaux qui en avaient réchappé, avaient été réquisitionnés par l’armée anglaise.


     Il ne restait plus qu’une immense et sordide désolation dans toutes les campagnes de la Côte Sud.


      Certains durent même passer l’hiver dans le caveau qui leur servait précédemment pour les légumes. Malgré cette situation épouvantable ces femmes réussirent à survivre et à faire survivre autour d’elles, tout au long de l’hiver 59-60 qui suivit ces épouvantables exactions.


     Pourtant leur courage et leur résistance ne purent empêcher bien d’autres décès d’arriver encore, au cours de ce long hiver, où la population manqua de tout ce qui est nécessaire à la simple survie.


     Certaines femmes désespérées, privées de leurs hommes pour les aider à reconstruire, se replièrent avec leurs enfants dans la ville de Québec.


     Elles espéraient y être secourues, alors même que la ville bombardée, complètement ruinée, n’était, elle aussi, que dévastation. Ce nouvel apport de population augmenta encore la misère. Seules les églises, miraculeusement épargnées par les boulets de l’armée anglaise, étaient encore debout.


     Ceux sans abri moururent des suites de ces atrocités au cours de cet hiver glacial. Les carnets de Scott racontent malheureusement trop bien, tout ce qui avait été fait d’ignoble et de dégradant à des êtres humains.


     Ce n’était pas étonnant s’il s’en était suivi à Québec, la terrible famine de l’hiver 1759-60.


     Ce sont en effet les habitants qui subirent les pires effets de ces terribles attaques anglaises, de réelles agressions accompagnées de pillages et d’exactions totalement injustifiées sur les populations sans défense.


     De l'autre côté du fleuve, dans les campagnes autour de Québec, toute la Côte-de-Beaupré et l'île d'Orléans avaient été également saccagées, c’était un paysage poignant, réellement épouvantable, une vision effroyable, pire dantesque, les villageois avaient souffert un martyre.


     Les dix-neuf paroisses du territoire de la côte sud jusqu'à Kamouraska avaient payé cher la rage de l'envahisseur. Aucun village n'avait été épargné, les soldats ayant volé le bétail, incendié les maisons et les bâtiments des fermes, n’avaient rien laissé subsister derrière eux ! La plupart des villages étaient maintenant à reconstruire entièrement.


     La conquête de la ville de Québec avait duré du 26 juin au 18 septembre 1759.


     Tout au long de cet interminable et pénible affrontement, le général Montcalm avait utilisé une stratégie purement défensive, sans aucune véritable initiative contre l'ennemi, aux dires des Canadiens.


     Cette inaction de Montcalm les avait fortement indignés, ils voyaient leur pays attaqué de toutes parts, de dures exactions anglaises avoir lieu contre tous les habitants, pendant ce temps, ce général venu de France pour les défendre contre l’ennemi d’Angleterre, semblait rester là, à attendre.


     Un homme au fort pessimisme et surtout au défaitisme, comme le prouve ce message, qu'il écrivit au chevalier de Lévis auquel il s’était confié :


       — La Nouvelle France est perdue si la paix n'arrive pas, je ne vois rien qui puisse la sauver.  


     De son côté, le général anglais James Wolfe n’était encore arrivé à rien de conséquent, alors que le mois de septembre était déjà bien entamé, Québec était en ruines, mais Québec tenait, Québec ne se rendait pas ! Il lui fallait tenter quelque chose coûte que coûte.


     Alors soudain il y eut cette idée judicieuse d’escalader la falaise à l’endroit de l’anse au Foulon, pour pouvoir atteindre la ville.


     Plusieurs facteurs positifs s’ajoutèrent les uns aux autres faisant basculer l'avantage nettement du côté anglais, ainsi cette absence providentielle de la surveillance habituelle, ou même ce remplacement inattendu du commandant du Foulon, par le capitaine Louis Duchambon de Vergor, « le plus mauvais soldat de la colonie... ».


     Non seulement, il avait permis à soixante et dix miliciens canadiens de quitter leur poste, pour aller récolter leurs moissons, ce qui désorganisa la défense de cette partie supérieure du passage au-dessus du Saint Laurent, en ne laissant plus qu’une poignée de soldats, mais en plus il dormait lui-même tranquillement lorsqu’il s’était fait prendre par les ennemis !


     D’autres faits encore, aussi conséquents et tragiques que ceux-là, permirent aux soldats anglais, à leurs canons et à leurs munitions d’arriver en haut de la falaise, sans que rien ni personne n’ait pu s’en apercevoir et les empêcher de se positionner sur les plaines d’Abraham.


     Le destin, ou seulement la chance, continua à les favoriser avec cet autre facteur inespéré pour eux, et pas des moindres :


     Le général français, Montcalm, décida sur un coup de tête, d’attaquer sans attendre ni les renforts canadiens ni ceux des autres régiments français, alors que rien pourtant ne l’obligeait à le faire si rapidement.


      À cette précipitation inutile se rajouta une faute grave de Montcalm ; Il ne sut pas profiter de la configuration du terrain pour placer des pelotons canadiens dans les bouquets des bois, ces derniers par leur adresse à tirer « surpassent toutes les troupes de l’univers ».


     Voilà comment tous ces évènements favorables à l’ennemi s’enchaînèrent, puis, en s’ajoutant les uns aux autres, amenèrent à cette bataille de bien triste renom, qui sur les plaines d’Abraham décida du sort de la ville de Québec, en trente petites minutes à peine. Jamais une bataille n’avait été perdue aussi rapidement !


     Le jour de la capitulation de Québec, le capitaine John Knox avait été envoyé pour prendre possession de la ville.


     Vue de l'extérieur, la capitale de la Nouvelle-France avait toujours l'air indestructible. Mais une fois qu'il eut franchi les portes de la ville, il n'en revint pas. Aucune maison n'avait été épargnée par les obus et les pots à feu anglais. La dévastation était totale, la partie basse de la ville n'était plus qu'un amas impressionnant de ruines, parmi lesquelles rôdaient des femmes et des enfants au visage hagard, à la recherche de nourriture. Dans la haute ville, aucune maison n'était indemne, leurs murs totalement transpercés de trous béants.


     Parmi les civils demeurés dans la ville il y avait environ deux mille trois cents femmes, enfants et vieillards.


     Ils avaient tout perdu !


     Les hommes étaient toujours absents, soit ils étaient avec les régiments de l'armée française qui étaient au loin au moment de la bataille des plaines, soit ils s’étaient repliés à Montréal avec le reste de l’armée. Les religieuses ursulines soignèrent avec tout leur dévouement, mais comme elles le pouvaient, dans ce paysage totalement désolé manquant de bandages et de médicaments, les mille malades et blessés qui se présentaient à l’hôpital, qu'ils soient Français, Canadiens, Amérindiens ou Anglo-saxons.


     John Knox écrit dans son journal du 20 septembre 1759 : « … Le ravage est inconcevable. Les maisons restées debout sont toutes plus ou moins perforées par nos obus. Les parties de la ville les moins endommagées sont les rues qui conduisent aux portes Saint-Jean, Saint-Louis et du Palais ; elles portent cependant les marques de la destruction presque générale. »


     Durant les mois suivant cette inconcevable bataille des plaines, le chevalier de Lévis ne s’était pas laissé décourager par ce qui venait de se passer, et encore moins laissé abattre par cette défaite, bien au contraire. Il fit partager son enthousiasme tout autour de lui, il était absolument persuadé que le Roi de France ne les abandonnerait pas, il allait leur envoyer tous les secours nécessaires.


     Avec l’accord et l’aide du gouverneur Pierre Rigaud de Vaudreuil à Montréal, il avait alors immédiatement rassemblé l’armée des miliciens canadiens, avec à leurs côtés leurs amis et alliés amérindiens, ainsi que tous les régiments français des troupes de la marine, arrivés de France avec le général Montcalm, donnant ainsi la possibilité à tout ce regroupement des troupes canadiennes françaises d’être fin prêtes au printemps, afin de pouvoir attaquer les troupes britanniques de James Murray, repliées à présent  dans Québec.


     Tout au long de l'hiver, les détachements canadiens tinrent la garnison de Murray étroitement investie, la privant de ravitaillements du côté de la campagne, et lançant de sauvages attaques contre les avant-postes britanniques.


     Mais les pires ennemis des Britanniques furent le froid mordant de ce pays, et le scorbut. Au printemps, la garnison de Murray était tombée de 7 500 à 4 000 hommes valides. Aucun espoir ne pouvait sans doute expliquer une plus longue résistance, certes, mais François de Lévis lui-même insistait pour sauver l'honneur des armes françaises, en ne cessant pas le combat.


À suivre…



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Marie-Hélène Morot-Sir151 articles

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Auteur de livres historiques : 1608-2008 Quatre cents hivers, autant d’étés ; Le lys, la rose et la feuille d’érable ; Au cœur de la Nouvelle France - tome I - De Champlain à la grand paix de Montréal ; Au cœur de la Nouvelle France - tome II - Des bords du Saint Laurent au golfe du Mexique ; Au cœur de la Nouvelle France - tome III - Les Amérindiens, ce peuple libre autrefois, qu'est-il devenu? ; Le Canada de A à Z au temps de la Nouvelle France ; De lettres en lettres, année 1912 ; De lettres en lettres, année 1925 ; Un vent étranger souffla sur le Nistakinan août 2018. "Les Femmes à l'ombre del'Histoire" janvier 2020   lien vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=evnVbdtlyYA

 

 

 





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3 commentaires

  • Carole Jean Répondre

    2 octobre 2021

    « Durant plus d’un siècle les Anglais avaient cherché à s’emparer de la Nouvelle France. » En effet, en 1755 avec la déportation des Acadiens et en 1759 avec l’invasion de Québec, les anglais ont réussi leur coup, c.-à-d. un vol à mains armées de la Nouvelle France. Même si les guerres d’agression étaient courantes à cette époque, il n’en demeure pas moins que les anglais se sont rendus coupables d’un crime contre l’humanité. Le gouvernement canadien, en partie successeur du gouvernement britannique au Canada, —en partie car le Canada conserve la Reine britannique en tant que chef d’État, — continue de considérer le Québec comme une colonie intérieure, soumise aux dictats et aux désaveux de sa Cour Suprême.


  • Henri Marineau Répondre

    30 septembre 2021

    Un petit bijou historique... Merci, madame!


    • Marie-Hélène Morot-Sir Répondre

      1 octobre 2021

      Merci infiniment Monsieur Marineau de votre message enthousiasmant, si encourageant.
      Marie-Hélène MOROT-SIR