Sécessionisme aux USA

J’ai été invité à cette conférence à titre de géographe et auteur et j’ai présenté un exposé sur le Québec et le Canada

Tribune libre 2008


Les 14 et 15 novembre 2008 se tenait à l’hôtel Radisson de Manchester, New Hampshire, la Troisième Convention Annuelle sur la Sécession. Cette convention, organisée par le Middlebury Institute de New York, sous la direction de son directeur Kirkpatrick Sale, réunissait des délégués de New York, du New Jersey, New Hampshire, Vermont, Maine, Oregon, Texas, Alaska et Hawaï, aussi de la Nouvelle Écosse. L’Union des États du Sud était également représentée. Elle tiendra son propre congrès annuel au mois de décembre dans le Tennessee.

Chaque délégué a fait un exposé qui ne laissait aucun doute sur la crédibilité chancelante du gouvernement fédéral des États-Unis. Depuis plusieurs années, Washington est sévèrement critiqué pour son inaptitude à apprécier les contextes et les situations qui se présentent, à déterminer des objectifs praticables et réalisables et à les atteindre avec une économie de moyens. Les gaspillages gigantesques, on parle de chiffres astronomiques dépassant le $Trillion, échappent au contrôle des dirigeants et des bureaucrates de Washington. La politique étrangère américaine est critiquée, trouvée inadéquate, fondée sur des événements dépassés depuis longtemps. Ces problèmes d’une ampleur que personne ne peut résoudre, trouvent leur source dans le prométhéisme, l’inertie et l’entropie d’un pouvoir excessivement démesuré, incapable de composer adéquatement et faire preuve de flexibilité dans un monde qui change rapidement.
L’inertie et l’entropie engendrent une corruption sans nom. Le gaspillage des ressources disponibles est maintenant hors de contrôle. Les événements récents en Géorgie, alors que Washington a bêtement fait admettre ce pays dans l’OTAN et qui en a profité pour régler ses comptes avec la Russie, ont fait craindre aux États-Unis la possibilité d’une guerre avec Moscou, ce que personne ne veut.
En 1950, sous le président Harry Truman, alors qu’éclata la guerre de Corée, le général Mac Arthur s’était autorisé un débarquement en Corée du Nord. Il fut immédiatement démis de ses fonctions et pénalisé par un licenciement de l’armée américaine. Les Américains ne veulent pas de guerre avec la Russie. On ne peut en dire autant des oligarques qui ne cherchent qu’à piller les richesses naturelles des autres, y compris celles de la Russie.
Conscients de ce qui leur arrive, les Américains ne voient aucune solution immédiate aux problèmes actuels. Primo vivere, il faut d’abord vivre. Les solutions ne viendront pas tout de suite. Pour le moment, il faut laisser à Washington l’inertie qui va précipiter sa chute. À long terme, il faut prévoir des prises en charge des pouvoirs économiques et politiques de Washington par les 51 États de l’Union américaine. Ces transferts auront pour conséquence de rapprocher du peuple des pouvoirs qui s’en sont éloignés. Heureusement, il existe dans la Constitution américaine des mécanismes souples qui permettent des transferts de pouvoirs de Washington vers les États, dont plusieurs sont déjà fait accompli. Entre autres, la Californie s’est déclarée État Nation, mais il reste beaucoup de travail à faire. Les délégués sont conscients des dangers que représentent de telles passations de pouvoirs, dont le chaos et la guerre civile, ce que tous veulent éviter. Dans l’ensemble, les Américains entendent faire preuve de maturité.
La force d’inertie qui entraîne Washington est telle que les délégués sont convaincus que le nouveau président Barak Obama ne pourra y changer grand-chose. Ils ont plutôt tendance à croire que le président Obama est déjà au service de l’Establishment de Chicago et qu’il y restera. Nous connaissons cette situation depuis que P.E. Trudeau a fini par admettre que pendant les 16 ans qu’il a passés comme premier ministre du Canada, il n’a travaillé que pour servir les intérêts de l’Establishment de Bay Street, au détriment du Québec.
Dans de telles conjectures aux États-Unis, il appartient donc aux États de se préparer à prendre individuellement la relève et assumer tous les pouvoirs d’un État, y compris le commerce extérieur, la diplomatie et la défense.
Outre la taille excessive de l’État fédéral américain, d’autres facteurs militent en faveur de gouvernement d’États aux pouvoirs élargis. En premier, le niveau d’instruction de plus en plus élevé de la population américaine. Les gens très instruits tolèrent mal les bureaucraties lointaines, abstraites et coupées du réel. Ils veulent se prendre en charge et se gouverner eux-mêmes, en demeurant proches de la réalité, causale dans laquelle s’impliquent les gens ordinaires comme ceux qu’on rencontre tous les jours.
Deuxième facteur : la miniaturisation de l’industrie, qui tend à disperser les nouvelles entreprises dans les régions qui les prennent sous leur contrôle. Troisième facteur : l’Internet, qui va bientôt éliminer les grands journaux et la plupart des revues à grand tirages. Avec  l’introduction récente du Web 2, les pouvoirs économiques et politiques vont devenir accessibles pour une majorité de gens. Le monde à venir est appelé à s’horizontaliser. Les grandes pyramides des temps impériaux sont appelées à disparaître. Ces facteurs tendent à disperser les activités économiques vers les régions. De plus en plus, la politique et l’économie sont appelées à devenir des phénomènes locaux.
Avec leur niveau d’instruction très élevé, une majorité d’Américains sont conscients des enjeux. Cela à la Convention de Manchester. Ils sont conscients que de tels changements, devenus impératifs pour tout le monde, ne peuvent survenir qu’au terme d’une minutieuse préparation. Cependant, les délégués craignent que la situation actuelle ne dégénère soudainement en catastrophe, de sorte que les États seront obligés de prendre la relève plus tôt qu’ils ne s’y attendent.
Un exposé particulièrement remarqué a été celui de Robert Steele, auteur de plusieurs ouvrages sur le renseignement ouvert, tendance nouvelle qui va de pair avec les nouvelles communications. Ancien marine converti en officier de renseignement, Robert Steele s’est rendu compte du gaspillage colossal des agences de renseignement américaines, dont la CIA, trop généreusement subventionnées, et qui ne rapportent rien ou presque rien de valable en matière de renseignement, se limitant au niveau de l’anecdotique et de l’événementiel, dans l’ignorance des principes stratégiques d’appréciation des contextes et des situations qui se présentent. La corruption a pénétré ces agences d’une manière endémique, la plupart des membres devenant des agents doubles afin d’augmenter leurs pouvoirs et leurs bénéfices. Les chefs d’État le savent et leur accordent peu de crédibilité, ce qui est grave car un chef d’État doit être minutieusement informé et avec compétence s’il lui faut prendre des décisions qui affectent tout le pays. Les services de renseignements ne font que peupler les romans et les films d’espionnage et n’ont aucun rapport avec la réalité. C’est une situation intolérable qui coûte des centaines de milliards payés par l’État.
En conséquence, Robert Steele a mis au point une méthode du renseignement ouvert, proche des gens ordinaires et dans laquelle une foule d’individus peuvent s’impliquer adéquatement sans recourir aux héros de James Bond ou autres bouffons du genre.
Il faut signaler à l’appui des thèses de Robert Steele que le renseignement ouvert était pratiqué pendant la Révolution française, par Joseph Fouché, qui accueillait personnellement les informateurs et leur donnait une somme d’argent mesurée selon l’importance ou la qualité de l’information. Ni vu ni entendu. Ajoutons que le Vatican utilise depuis longtemps une méthode analogue qui a fait ses preuves. Toute personne qui veut informer l’Église sur quelque sujet que ce soit peut le faire par le moyen d’un document de quelques pages, sans nom ni signature, qui sera examiné par le Saint Office. Les Jésuites ont pour leur part une méthode de renseignement dont l’efficacité a fait ses preuves depuis plusieurs siècles. La méthode est simple : chaque Jésuite en mission doit soigneusement informer la Société de ses activités, incluant une description détaillée du milieu dans lequel il est engagé, sa géographie, son climat, ses habitants, les coutumes et les pratiques en vigueur, les problèmes matériels, sociaux, intellectuels et religieux auxquels il est confronté, etc. Cette pratique a été instituée dès les débuts par le fondateur, Ignace de Loyola, et s’est maintenue depuis.
***
J’ai été invité à cette conférence à titre de géographe et auteur et j’ai présenté un exposé sur le Québec et le Canada. La limite de temps imposé ne dépassait pas 15 minutes par délégué. On m’accorda une heure sans interruption. Avec la grande carte du Québec préparée par mon collègue Léonce Naud, j’ai expliqué comment la géographie et le climat n’ont permis à personne dans l’espace québécois ni dans l’espace continental canadien d’accéder à l’indépendance en 156 ans seulement, comme ce fut le cas des États-Unis. Le pouvoir est complètement dans ses communications et le Québec comme le Reste du Canada sont simplement trop recouverts d’obstacles qui ont retardé, retardent et vont continuer de retarder le développement économique et politique.
Au Québec, l’espace œkoumène représente moins de 1% de la surface totale. Le milieu québécois est demeuré longtemps un milieu de survie, n’offrant que les possibilités réduites d’une seule récolte par année, alors que sur le territoire américain, on peut facilement obtenir deux et trois récoltes par année. Les populations s’agglomèrent là où il y a quelque chose à manger. Cet axiome est central en géopolitique. Les populations s’agglomèrent là où les communications sont géographiquement faciles. Ceci explique que la population des États-Unis a maintenant atteint 300 millions d’habitants alors que celle de tout le Canada demeure inférieure à la Californie qui a maintenant 37 millions d’habitants et que celle du Québec est encore loin du neuf millions d’habitants de la Suède, qui est un pays nordique, froid et peu peuplé. De plus au Québec, le golfe Saint Laurent est fermé par les glaces huit mois par année, réchauffement climatique ou pas. Dans la saison navigable, le Golfe demeure une des mers les plus dangereuses du monde à la navigation. La preuve : il y a plus de 4000 épaves dans les fonds du Golfe, dont deux flottes de guerre anglaises envoyées capturer Québec.
J’ai soumis un exposé détaillé de la colonisation du Québec par les Normands, Picards, Bretons, Angevins, Poitevins et Aquitains et j’ai développé sur leurs misères mais aussi leurs sacrifices et leurs actes, alors qu’ils devaient défricher, développer et mettre en valeur un des domaines les plus durs et les plus ingrats de toute la terre. De plus, ils devaient fournir les contingents de Voyageurs nécessaires pour la traite de fourrures. Finalement, ils devaient prendre les armes et appuyer l’armée française dans ses guerres coloniales.
Les colons devaient accomplir l’impossible mais lorsque les Anglais entrèrent dans Québec de 1759 à 1763 et par la suite, les colons se retrouvèrent en position de force devant les nouveaux « maîtres », de qui ils obtinrent une foule de «concessions » qui ne sont pas accordées aux peuples « vaincus ». C’est dans ce contexte que les colons de Nouvelle France laissés seuls sur place par le traité de Paris de 1763, sont devenus un peuple, puis une nation et ont fondé au Québec les assises de leur propre État.
J’ai également exposé une de mes thèses sur l’importance du canal Érié, ouvert en 1825, aux États-Unis, et ses conséquences sur le Québec, le Canada anglais, notamment l’Ontario et l’État de New York. Cette thèse est reconnue par l’Erie Canal Society de Syracuse, dans l’État de New York.
J’ai développé une autre thèse sur la construction des chemins de fer dans l’espace continental canadien et la centralisation des pouvoirs à Ottawa, capitale artificielle d’un rejeton de l’Empire Britannique, qui ne s’affranchit que très lentement.
Finalement, j’ai expliqué comment le Québec a été reconnu nation par le Parlement d’Ottawa le 29 novembre 2006. Il reste maintenant au Québec à se faire reconnaître comme État.
La Convention a chaudement applaudi cette dernière explication.
J’ai alors été invité par M.Kirkpatrick Sale, Directeur du Middlebury Institute de New York, à écrire et expédier un article de fond par mois, portant sur un thème géopolitique de mon choix.
La Convention a été suivie par un banquet auquel ma femme Shirley et moi étions invités. Nous avons été très bien accueillis et plusieurs délégués, en premier celui de l’Alaska, très intéressé par mes propos sur le Québec, ont manifesté le désir de poursuivre les communications et les échanges.
Nous sommes revenus au Québec le lendemain, dimanche 16 novembre 2008, afin de participer aux célébrations familiales entourant le 75e anniversaire de naissance de ma sœur Monique. En empruntant l’autoroute 89 jusqu’à la frontière à Iberville, il ne faut que cinq heures pour atteindre Montréal.
René Marcel Sauvé, géographe

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René Marcel Sauvé217 articles

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J. René Marcel Sauvé, géographe spécialisé en géopolitique et en polémologie, a fait ses études de base à l’institut de géographie de l’Université de Montréal. En même temps, il entreprit dans l’armée canadienne une carrière de 28 ans qui le conduisit en Europe, en Afrique occidentale et au Moyen-Orient. Poursuivant études et carrière, il s’inscrivit au département d’histoire de l’Université de Londres et fit des études au Collège Métropolitain de Saint-Albans. Il fréquenta aussi l’Université de Vienne et le Geschwitzer Scholl Institut Für Politische Wissenschaft à Munich. Il est l'auteur de [{Géopolitique et avenir du Québec et Québec, carrefour des empires}->http://www.quebeclibre.net/spip.php?article248].





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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    25 novembre 2008


    Méfiez-vous. Sous les apparences de "bonhomie", plus de
    cinquante ans de militantisme vont finir par produire leurs
    effets. Je prêche la nécessaire connaissance des continuités
    pour changer les effets pervers de ceux et celles qui veulent
    tout tout de suite, qui n'hésitent pas dans le choix de
    moyens délétères pour atteindre leurs fins. Ils finissent par
    tour perdre. Sans doute, je ne suis qu'un viellard mais je
    connais le sens, la signification, la portée et la dynamique
    de mes interventions et mes écrits. Je n'y attends aucun
    succès à court terme mais j'espère en voir les effets à plus
    long terme et j'espère être là pour le voir.
    Et j'espére aussi que vous serez là. Je ne veux pas compter
    les jours sur votre tombeau. À mon âqe, on est entouré de
    disparus et disparues. Seule la Foi nous fait vivre. Si
    mes ineterventions et mes écrits ne sont pas stratégiques,
    c'est parce que, vieux instructeur et vieux prof, j'entends
    ménager mes élèves et les inciter à poursuire. Rome ne s'est
    pas fait en un jour.
    JRMS

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    25 novembre 2008

    Monsieur Sauvé,
    Vos écrits sont toujours touchants. Depuis que je vous ai vu à Québec, le 1er Juillet dernier, grimper sur un table à pic-nic, en face de l’infâme monument Wolfe, pour vous adresser à notre dérisoire groupe de résistants à drapeaux, sous l’œil torve des YelloStripes, je trouve plus de familiarité que de stratégie militaire dans vos interventions. Votre expérience de vie vous a fourni tellement de contacts réels avec la corruption humaine que vous pouvez maintenant en faire le récit de façon presque romanesque. Vos propos peuvent aller aussi loin que vous le suggère votre ressenti, ils ne semblent susciter la méfiance d’aucun organisme de surveillance étranger. À Manchester comme à Québec, les puissances en place vous écoutent comme un témoin oculaire, à qui l’on prête généralement plus de fabulation mnémique que d’influence menaçante. Les délégués des États ont été touchés par la bonhomie du Grand-Père, si chère aux traditions américaines. Vous avez savouré leur cour autant que leur affabilité autour du buffet. Vous avez ajouté à votre album souvenir pour agrémenter vos chaudes réunions familiales.
    Je le reçois ainsi parce que vous me remémorez mes temps universitaires, où la liberté académique interdit toute intervention auprès d’un jeune collègue qui cherche son orientation de rayonnement externe. On l’écoute formuler sa vision en hochant de la tête et on lui tape sur l’épaule en lui souhaitant bonne chance. On attend en silence son échec. Pendant quelques années, j’ai monté des des contacts avec mes homologues mexicains. Ces gens-là rafollent de protocole. M’ont invité à parler à leurs étudiants dans une tournée de 6 facultés équivalentes sur le territoire du pays. Publicité faite d’avance pour un spécialiste que je n’étais pas. Corrigé l’erreur dès mon arrivée : pas de problème, me laissent couvrir le sujet de ma connaissance. Grammaire espagnole encore toute fraîche, communications donc exigentes, me fournissent un interprète au besoin. Présentation aux journalistes dans les chics bureaux du Recteur, articles élogieux, réceptions, logement dans hôtel luxueux. Un séjour à m’ensemencer le cerveau d’un hypothétique mandat de Vice-Décanat aux affaires étrangères
    Comme vous, je rentrais avec mon épouse nanti d’une estime de moi-même décuplée. On pouvait reconnaître publiquement la valeur de mes efforts!… Mais vous, vous étiez en fin de carrière. Moi, en principe, j’allais toucher des sommets. Or, la hiérarchie universitaire, ma faible initiative à me construire un réseau d’influence au préalabe : aucune curiosité de mon milieu pour mes contacts trop solitaires… rentrée presque incognito dans le petit « rat race » d’influences personnelles entre initiés de longue date qui se grattent le dos mutuellement… Ce sont les faiblesses de la tribu. À l’échelle du Québec, se pourrait-il que notre isolement linguistique en Amérique du Nord nous ait confinés à ces habitudes trop familiales? L’aîné trace la ligne et les suivants marchent les yeux sur les talons du précédent? Celui qui a pris des initiatives auprès des maîtres peut développer une hiérarchie de « pecking order » sur les nouveaux venus… La facilité peut nous engourdir dans ce schéma… marcher au pas dans le régiment? Si le « leader » s’est laissé corrompre, s’il est devenu malveillant, l’abattoir peut se trouver au bout…