La Presse et le lancer de soulier

La Presse se fait grondeuse et moralisatrice. On ne discute pas, on exécute.

Tribune libre 2008


Le monde entier en rigole encore. Même aux États-Unis, pays de la
présidence impériale, on discute ferme, sourire en coin, du bien fondé du
geste d'un journaliste irakien à l'endroit du président de la puissance
occupante de son pays.
Le monde entier? Pas tout à fait. Ici, au village, ce 23 décembre 2008, La
Presse se fait grondeuse et moralisatrice. On ne discute pas, on exécute.
En éditorial, Mario Roy donne le ton, ironisant sur le fait que l'aile
parlementaire de Québec Solidaire au grand complet a participé quelques
jours auparavant à une manifestation contre la guerre en Irak, y allant
d'un très symbolique lancer de soulier sur une effigie du président
sortant.
Étrangement, les quatre lettres aux lecteurs de la pages 29 (quatre sur
quatre: la totale!) condamnent cette participation. Un premier lecteur de
St-Jean explique que cette mascarade stupide et surtout inutile n'a
aucunement sa place dans notre système démocratique. Bon, on a compris que
toutes les manifestations de la liberté d'expression doivent être
intelligentes et surtout utiles. Sinon, gare à l'interdiction. Imaginez la
scène. Vous demandez aux autorités votre permis de manifester en cochant la
case appropriée: oui, votre objectif est intelligent et votre démarche
utile.
Le second lecteur, de Westmount, sermonne les électeurs de Mercier dont le
député pose des gestes à la Gorbatchev et s'inquiète plein de sollicitude:
Amir avait-il l'aval de Mme David ?
Le troisième souligne que quiconque lance ses souliers sur une effigie
risque de récidiver lors de la période de questions à l'Assemblée
Nationale. C'est bien connu: qui a bu, boira et qui a lancé un soulier
risque fort de projeter son pupitre. Heureusement, il ne propose pas
d'arrestation préventive du délinquant. Préventive? Comme la guerre de Bush
en Irak, vous vous souvenez ?
La quatrième lettre est celle d'un partisan déçu. Il exprime son accord
avec quelques idées du député mais déplore vivement ce geste d'élève dans
une cour d'école. Accord de contenu, désaccord de posture: ça se discute.
Mais au fait, dans quel manuel trouve t-on la description de la posture
idéale d'un député militant ou pour être plus précis d'un militant par
ailleurs député? Ça serait triste que les nécessaires fonctions de
représentation du député inhibent les réflexes du militant. Quoiqu'il en
soit, le principal intéressé a clairement expliqué son geste: il l'a fait
au nom de ceux et celles qui en ont sans doute envie mais pas l'opportunité
de le faire.
Contrairement à Mario Dumont pendant qu'il siégeait seul à l'Assemblée
Nationale, le nouveau député de la gauche ne bénéficiera pas d'une très
longue période d'état de grâce de la part des grands média. Cette période
où un nouvel élu dispose d'un certain capital de sympathie, de cette chance
au coureur. Serait-elle même déjà terminée? Les puissants de ce monde,
confrontés à leur crise, ici comme ailleurs sont nerveux. Très nerveux.
François Cyr
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --
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L'industrie de la chaussure
Mario Roy
La Presse 23 décembre 2008
L'accélération du temps est une des caractéristiques de ce début de millénaire. Sachant cela, on est tout de même renversé de voir à quelle vitesse la séquence (de six secondes!) du lancer de la chaussure vers George W. Bush est entrée dans la culture commerciale et sur le marché médiatique de la Révolte consommée, pour reprendre le titre du génial essai de Joseph Heath et Andrew Potter, traitant de la rentabilisation des gestes «rebelles».
L'événement est survenu à Bagdad, il y a neuf jours: en conférence de presse, deux souliers ont été lancés vers le président américain par le journaliste d'une télévision arabe.
Depuis, quelques entrepreneurs ont fait fortune en investissant dans l'affaire. Le vidéoclip et ses produits dérivés ont obtenu des dizaines de millions de «hits» sur le web. Les six secondes qui ont apporté la gloire au correspondant d'Al-Bagdadia ont fourni la matière première à de nombreuses manifestations anti-Bush un peu partout dans le monde.
Pour bien comprendre ce coup fumant, il est d'abord nécessaire de se rappeler que sa signification politique est nulle.
Bush est en effet déjà entreposé dans le garde-meubles de l'Histoire, à tout jamais hors d'état de nuire. Le monde entier le déteste - avec quelque raison. En particulier les Irakiens, qui peuvent à juste titre plaider que le changement de régime qui leur a été imposé les a fait horriblement souffrir... même si, à n'en pas douter, ils sont conscients aussi qu'au bon vieux temps de Saddam, personne n'aurait osé caresser le fantasme de lancer ses godasses à la tête du dictateur!
***
Voyons donc la véritable nature du phénomène.
Le fabricant turc de la paire de chaussures vedettes, la firme Baydan Ayakkabicilik San. & Tic., croule sous les commandes (300 000 en sept jours) de son modèle 271, qu'il a rebaptisé le «Bye Bye Bush». Il a embauché des consultants pour monter une campagne publicitaire destinée aux consommateurs cibles en Irak, en Iran, en Syrie et en Égypte.
Sans même parler de la télé conventionnelle, le vidéoclip du lancer de la chaussure a été vu 12 millions de fois sur le web, devenant numéro un au palmarès du Viral Video Chart.
De nombreux jeux interactifs, consistant à lancer une chaussure à George W. Bush, sont apparus sur le web. Bush Game a permis aux internautes de lancer 50 millions de chaussures. Au moment où vous lirez ces lignes, Sock and Awe en sera à 51 ou 52 millions! Après seulement quatre jours en ligne, Sockandawe.com a d'ailleurs été acheté par la firme britannique Fubra Limited.
Enfin, on l'a dit, l'événement a relancé le produit moribond (du fait qu'il est un peu archaïque, comme les automobiles des trois géants de Detroit!) de la manifestation anti-Bush. À ce point de vue, l'un des plus francs succès a été remporté à Montréal, où on aura noté la présence de l'aile parlementaire de Québec solidaire au grand complet.
En cette période de crise économique, tout cela est bienvenu.


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5 commentaires

  • Christian Montmarquette Répondre

    3 janvier 2009

    Avec la masse de bêtises politiques à laquelle nous devons faire face régulièrement de nos jours...
    On va finir par manquer d'gougounes...
    À mon avis, Israël en aurait besoin d'une couple de paires...
    Références :
    Israël est l'agresseur
    Rachad Antonius- La Presse :
    http://www.cyberpresse.ca/opinions/forums/200901/01/01-814290-israel-est-lagresseur.php
    Résistance Palestine :
    http://www.robertbibeau.ca/palestine.html
    PAJU : Palestinien et Juifs unis :
    http://www.pajumontreal.org/paju_fr/?/
    _______________________
    Christian Montmarquette
    Québec solidaire
    -QS-

  • Archives de Vigile Répondre

    29 décembre 2008

    La Presse se fait grondeuse et moralisatrice, en effet, et il nous faut voir à travers elle le visage mécontent de son propriétaire, Paul Desmarais, grand supporter de la pensée néolibérale qui a guidé les politiques funestes de l'administration Bush. La bouche amère de Paul Desmarais, qui a peur du socialisme, réprimande, à travers son médium qu'est La Presse, tous les Québécois qui auraient envie d'appuyer le geste de M. Khadir. Les yeux furibonds du magnat lancent des éclairs qui, espère-t-il, nous fera tenir tranquilles.
    Je suis très heureuse que M. Khadir ait mécontenté M. Desmarais, et j'espère qu'il le fera encore et encore.

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    27 décembre 2008

    Il va falloir, je pense, que notre ami Amir, prenne bien conscience du fait qu'il n'est plus un jeune étudiant de CÉGEP participant à des manifestations anti-Américaines, mais un député à notre Assemblée nationale. Et qu'il se comporte en conséquence.
    Je me permettrais un petit rappel: Amir a déjà affirmé, et plusieurs fois, que le 11 septembre 2001 était une sorte d'immense coup monté; que c'était le gouvernement américain qui avait fait exploser le World Trade center, avec ses tours jumelles...

  • Archives de Vigile Répondre

    25 décembre 2008

    Je pense que plusieurs québécois auraient préféré que Khadir lance une balle de baseball ou une rondelle de hockey pour inaugurer un match de sport professionnel plutôt que de lancer un soulier sur une image en appui au journaliste Muntazer Al-Zaidi.
    "Bloquer l'Empire" par un geste iconoclaste dans la rue ou se conformer à l'image du député traditionnel d'un parti qui attend son tour gentiment pour prendre la parole, parole qui deviendra lettre morte proprement rangée sur une tablette une fois la guerre de conquête et d'occupation (ou qui sait, cela pourrait être un génocide...) réalisée ?
    On part de loin et la route sera longue pour un Québec solidaire contre l'impérialisme et la bêtise des régimes pseudo-démocratiques...
    Le geste de Khadir peut rendre certains inconfortables mais il a le mérite de faire réfléchir à comment nous pouvons (devons?) faire la politique autrement.

  • Archives de Vigile Répondre

    23 décembre 2008

    OUI, une fois encore la Presse partisane et propagandiste a frappé.
    En supposant que ce soit bien vrai que seul les activistes partisans canadianisateurs se soient donnés la peine de réagir pour tancer et enfoncer le bon Amir Khadir stipendié en page éditoriale la veille, le message est clair. Il nous faut nous aussi prendre la plume et contrer cet activisme vigilant qui nous fait face.
    Vous l'avez fait ici. Excellent ! Nous reste à le faire dans les pages mêmes des canadianisateurs et sur leur propre terrain. Dans cette absence, nous n'aurons le choix que de nous en prendre à notre propre incurie.