Le mirage constitutionnel

De nouveaux verrous rendent presque impossible toute réouverture de la Constitution, selon une étude

Constitution québécoise


Est-il aujourd'hui vraiment imaginable de rouvrir la Constitution canadienne, comme le souhaitent Mario Dumont et Benoit Pelletier ?

Québec -- Laisser entendre qu'un jour «le fruit sera mûr», qu'il sera possible alors de rouvrir la Constitution canadienne et de «corriger l'erreur de 1982», comme l'ont affirmé récemment le chef de l'ADQ Mario Dumont et le ministre libéral Benoît Pelletier, c'est se leurrer. Le fruit ne sera jamais mûr.
Voilà la conclusion à laquelle en est venu Patrick Taillon, un jeune chercheur de 29 ans qui deviendra, à compter de janvier 2008, professeur en droit à l'Université Laval. Nulle surprise, diront certains, de voir cet ancien président du Comité national des jeunes du Parti québécois défendre une telle position. D'autant plus qu'il publie son travail pour le compte d'un nouveau think tank affilié au Mouvement national des Québécois, l'Institut de recherche sur le Québec, dont le comité scientifique est composé de l'ancien ministre Joseph Facal, du sociologue Jacques Beauchemin et de l'historien Éric Bédard. Mais ici, insiste-t-il au téléphone, c'est le chercheur Taillon qui parle. Et qui se concentre sur «des faits juridiques assez indiscutables» dans une intéressante étude de 50 pages intitulée Les obstacles juridiques à une réforme du fédéralisme (disponible sur Internet au www.irq.qc.ca).
On a constaté, pendant les années Meech (1987 à 1990) et Charlottetown (1992), que la Constitution du Canada était difficile à modifier. Or le précédent du référendum de Charlottetown, mais aussi de nouvelles lois et conventions constitutionnelles ont rendu cette modification encore plus complexe, soutient Patrick Taillon, qui se réfère dans son texte aux travaux de nombreux constitutionnalistes, dont... Benoît Pelletier.
Mille ans
Il faut dire que ce caractère quasi inchangeable de 1982 se trouvait dans ses gènes. Dans un fameux texte où il avait condamné le «gâchis» du Lac-Meech (La Presse, 27 mai 1987), Pierre Elliott Trudeau, craignant que la Constitution ne soit modifiée, avait avoué son dessein: «Depuis 1982, le Canada avait sa constitution, incluant une Charte qui liait aussi bien les provinces que le fédéral. Désormais, la fortune favorisait le gouvernement canadien; il n'avait plus rien de très urgent à demander aux provinces: ce sont elles qui étaient devenues demanderesses. [...] Même un front uni des dix provinces ne pouvait pas obliger le gouvernement canadien à bouger: en assurant un équilibre créateur entre les provinces et le gouvernement central, la fédération allait pouvoir durer mille ans!» (Ce «mille ans» a fait couler beaucoup d'encre à l'époque: le politologue Pierre Fournier, dans Autopsie du Lac Meech (VLB), y avait vu une terrible allusion à la prétention d'Hitler, dont le Reich était censé avoir cette durée de vie. Trudeau, dans un entretien à Radio-Canada, avait précisé qu'il s'agissait d'une «blague», ajoutant que bien d'autres personnages historiques avaient dit cela, «bien avant» le chef nazi.)
Trudeau a beau prétendre qu'il plaisantait, il demeure que, pour Patrick Taillon, les «formules d'amendement» de la Constitution de 1982 sont «construites pour mener à des désaccords». On les connaît: ce sont celles dites du «7/50», c'est-à-dire où la modification constitutionnelle doit être approuvée par sept provinces représentant 50 % de la population. Pour plusieurs sujets, l'unanimité des provinces et du Parlement fédéral (y compris une résolution du Sénat) est carrément exigée. Il faut «présumer de la mauvaise foi de ceux qui ont conçu ces formules», lance M. Taillon. Citant le juriste André Tremblay, il écrit: «Il est quelque peu étrange de constater que la procédure établie par la Loi constitutionnelle de 1982 est elle-même plus rigide que celle qui a conduit à son adoption.»
Ainsi, le Canada fait partie des pays où la Constitution est le plus blindée contre le changement. «C'est une tragédie pour le Québec, qui a ses revendications. Mais c'est aussi malsain pour la démocratie canadienne, où les questions du Sénat et de la monarchie, par exemple, sont bloquées dès que soulevées, pour des raisons de procédure», s'indigne-t-il.
Pourtant, d'autres pays formant des «fédérations plurinationales» comme le Canada, «prenons la Suisse ou la Belgique», modifient leur Constitution beaucoup plus facilement. En Suisse, on peut le faire par le truchement d'un référendum d'initiative populaire. La Constitution des États-Unis, cependant, est assez protégée, souligne-t-il. Depuis 1787, il n'y a eu que 27 amendements. Le plus récent date de 1992. Et il n'y en avait eu aucun depuis 1972.
Mais revenons au Canada. M. Taillon souligne qu'avec les années, au moins trois autres catégories de verrous se sont ajoutées à ceux qui s'y trouvaient à l'origine.
D'abord, il y a la question des référendums sur des modifications constitutionnelles. Celui du 26 octobre 1992 sur l'accord de Charlottetown a constitué une sorte de précédent. Un fait est moins connu: plusieurs provinces ont adopté des lois dans les années de l'après-Meech pour s'assurer «qu'aucun amendement constitutionnel ne soit approuvé sans que les électeurs soient préalablement consultés par référendum». Patrick Taillon cite le cas de la Colombie-Britannique qui, en 1990, a adopté deux lois, dont une, le Constitutional Approval Amendment Act, qui contraint «le gouvernement de la province à tenir un référendum avant de soumettre à l'Assemblée législative une résolution ayant pour objet une modification constitutionnelle». Deux ans plus tard, l'Alberta adopta une loi presque semblable. La Saskatchewan avait aussi participé à ce «mouvement en faveur du référendum constitutionnel obligatoire». Le 21 octobre 1991, 79,3 % des électeurs avaient répondu oui à la question: «Toute proposition de changement à la Constitution canadienne devrait-elle être approuvée, par référendum ou plébiscite, par les résidants de la Saskatchewan?» Patrick Taillon estime que les lois provinciales sur le référendum obligatoire risquent de produire un «effet domino» sur l'ensemble du processus. «Ainsi, du référendum obligatoire dans certaines provinces seulement on passe au référendum politiquement nécessaire dans toutes les provinces», affirme-t-il.
Autre nouveau verrou: la Loi sur les modifications constitutionnelles de 1996, adoptée après le traumatisme du 30 octobre 1995. Cette loi, c'était le «plan A» de Stéphane Dion. Elle reconnaît la «société distincte» québécoise, mais sans la constitutionnaliser, évidemment. Aussi, elle ajoute à la procédure existante une formule des «veto régionaux», qui, sous couvert de satisfaire le Québec, ajoute une autre couche de complexité à la procédure de modification. M. Taillon cite les constitutionnalistes Henri Brun et Guy Tremblay, qui présentent cette nouvelle mesure comme une «camisole de force».
Enfin, sans représenter un fait «purement juridique», il faut mentionner, dit Patrick Taillon, l'ajout de nouveaux participants au processus de modification constitutionnelle: les Premières Nations. Ces dernières ayant participé au processus de 1992 et ayant approuvé l'entente, une convention constitutionnelle semble avoir été créée.
En somme, il semble aussi difficile de modifier la Constitution canadienne que de faire la souveraineté du Québec, fait remarquer le juriste. Les deux processus ont en tout cas des ressemblances frappantes: négociations, référendum. «Au moins, la démarche souverainiste débute d'abord par un référendum au Québec, pour ensuite conduire à des négociations constitutionnelles avec le reste du Canada», soutient-il.


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