L'entrevue

Revenir à Lévesque

L'historien Robert Comeau découvre, dans un enregistrement inédit de 1964, une leçon pour les nationalistes d'aujourd'hui

PQ - stratégie revue et corrigée



Québec -- Pour un historien, retrouver un document du passé que l'on croyait perdu depuis longtemps est peut-être une des plus belles surprises. Récemment, Robert Comeau, maintenant à la retraite de l'UQAM où il a enseigné l'histoire pendant 30 ans, a fait ce genre de découverte.
Un ami lui a en effet remis un enregistrement d'un discours inédit de René Lévesque sur le nationalisme, datant de 1964. Le document, qu'il avait eu en sa possession, mais qui «avait mystérieusement disparu de [sa] bibliothèque» il y a plus de 30 ans, lui est cher à plusieurs égards. Sur le plan historique d'abord. Ensuite, c'est lui-même, avec quelques autres étudiants du collège Sainte-Marie, qui avait, en 1964, invité Lévesque à prendre la parole à la salle du Gésu, dans le cadre de la Semaine du nationalisme québécois de leur collège. Comeau, qui a été membre du FLQ «quelques mois» en 1970, croyait avoir perdu le précieux ruban «lors d'une perquisition de la police».
Mai 1964: le FLQ s'était manifesté pour la première fois l'année précédente. À l'époque, Comeau, qui a 19 ans, milite pour le Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN). «C'est moi qui l'avait invité. Quelques semaines plus tôt, je lui avais écrit pour lui demander de quitter le Parti libéral et de rejoindre le RIN! Il m'avait répondu qu'il ne quitterait pas le PLQ, mais qu'il acceptait avec plaisir notre invitation de venir nous parler. Je ne l'avais pas convaincu!» À l'époque, Lévesque était déjà en délicatesse avec son parti (dont il sera chassé en 1967). On l'accusait déjà d'être «crypto-séparatiste», ce qui n'était du reste pas totalement faux!
L'enregistrement du 9 mai 1964, qui tient sur deux CD, est d'une qualité remarquable. Lévesque y expose son interprétation de la «transition galopante» -- le vocable Révolution tranquille n'est pas encore répandu -- que connaissait le Québec. «Une année d'aujourd'hui vaut quatre de celles que j'ai vécues quand j'étais petit gars», affirme-t-il. Selon lui, le Québec est une nation, c'est clair. Pour appuyer son dire, il cite les grands: l'historien Arnold Toynbee et le sociologue Raymond Aron, qui s'étaient tous deux «intéressés à nous». Il parle pendant presque deux heures et consacre de longues minutes à sa conception du nationalisme.
Le lendemain, se souvient Robert Comeau, «la manchette de The Gazette accusait Lévesque d'avoir dit "pas nécessairement la violence, mais la violence si nécessaire", ce qui était totalement erroné». Au contraire, Lévesque expliquait la nécessité «qu' un parti souverainiste légal soit créé si on voulait éviter la violence».
Évidemment, en 1964, le ministre libéral n'est pas encore ouvertement souverainiste. Mais il a des phrases très lévesquiennes -- délicieusement tortueuses -- comme celle-ci: «J'ai l'impression que ça ne peut pas attendre très longtemps avant qu'il y ait un dessein qui se fasse pour pas mal de générations à venir dans le destin de ce peuple qui s'appelle les Canadiens français.»
Il confie être troublé jusque dans son sommeil par le destin du Québec: «J'ai toujours été un gars qui avait le sommeil facile. Mais je vous avouerai que, depuis quelque temps, il m'arrive d'avoir des difficultés à m'endormir le soir parce qu'il y a beaucoup de choses parmi ces problèmes, qui se classent plus ou moins sous la rubrique de votre semaine, qui sont préoccupants à un point.»
Nationalisme
Justement, aujourd'hui, l'intérêt du discours tient surtout à ces passages très passionnés sur le nationalisme, croit Robert Comeau, car ils n'ont pas tellement pris de rides.
S'inspirant du Grand Larousse, Lévesque proposait une définition du nationalisme. D'abord, «c'est une préférence marquée pour son groupe national». Ensuite, «c'est un climat de revendications, dans lequel vivent des nations qui sont ou se sentent assujetties».
Disant approuver ces «deux morceaux» de la définition, Lévesque statue: «Je suis nationaliste.» Il insiste alors: il ne s'agit pas d'être «contre quelqu'un: on est pour soi d'abord». Et Lévesque d'ajouter qu'il ne pourrait accepter que ce «nationalisme devienne racisme, fanatisme, contre quelqu'un». Être «écrabouillé», les Canadiens français savent ce que c'est, souligne-t-il alors, «ils y ont goûté», dit-il «même s'il ne faut pas exagérer». Autrement dit, «autant c'est vomissant, quand on le fait à nos minorités, autant ce serait vomissant et inacceptable si on faisait la même chose». Ne fais pas aux autres ce que...
Par ailleurs, la survivance, c'est bel et bien fini, clamait Lévesque: «Tout ce qui était impliqué de réalité dans le mot survivance, de réalités plus ou moins chambranlantes, toujours nerveusement en face de dangers que, parfois, on exagérait, mais qui de toute façon existaient. Tout ce qui était impliqué là-dedans, à mon humble avis, c'est fini. En autant que cette nation -- dont nous faisons partie, qui existe, et qui sécrète son nationalisme en ce moment, je crois bien, comme jamais auparavant et surtout plus positivement que jamais auparavant -- en autant que cette nation-là est concernée, sa vie est acquise.»
À réécouter Lévesque, Robert Comeau a été surpris. D'une part, par le fait que les souverainistes contemporains, André Boisclair en tête, «n'ont rien inventé» quant au nationalisme qui ne doit pas être contre «l'autre».
Mais il se demande si, à d'autres égards, les souverainistes n'ont pas «quitté» complètement les idées de René Lévesque. «Lui, disait ouvertement qu'il fallait être nationaliste et éventuellement faire la souveraineté, pour assurer le développement à une majorité de Québécois francophones, de Canadiens français, comme il le disait à l'époque», note Comeau. D'autres -- on pense au sociologue Jacques Beauchemin -- le disent et le répètent depuis longtemps, notamment dans le Bulletin d'histoire politique, revue dont Comeau est un des fondateurs: les souverainistes ont développé une mauvaise conscience qui a peut-être en partie sapé les fondements de leur projet.
«Depuis la gaffe de Jacques Parizeau» au sujet de «l'argent et des votes ethniques», les péquistes sont «honteux», dit Robert Comeau. «Ils ont voulu se blanchir en disant qu'ils n'étaient pas nationalistes, qu'il fallait abandonner les mots "majorité francophone", en ne parlant plus des racines historiques de ce projet», dit-il. Ce nationalisme éthéré, désincarné a peut-être poussé bien des nationalistes québécois vers l'ADQ, aux dernières élections, elle dont le patriotisme semblait peut-être plus incarné. «Au fond, le PQ devrait revenir aux idées de René Lévesque», conclut Robert Comeau qui était à la fois un Québécois enraciné et un nationaliste.


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