Il faudra du temps pour analyser à fond le résultat des dernières élections. Je soumets quand même, à l’invitation de La Presse, certains éléments d’explication et quelques considérations d’avenir pour le Parti québécois.
Cette élection a été celle de la colère et du ressentiment. Il fallait sanctionner l’un des plus mauvais gouvernements de notre histoire qui générait presque depuis ses débuts des niveaux d’impopularité records. Une série de promesses grossièrement violées, des tensions sociales généralisées, une économie nationale stagnante et des régions en détresse, sont à la base de cet exceptionnel mécontentement. Sans l’appui traditionnel de la plupart de nos compatriotes anglophones et allophones, le parti de Jean Lesage serait marginalisé. De plus nous avons aujourd’hui l’Assemblée nationale la moins fédéraliste de tous les temps.
Normalement un tel ras-le-bol survient à la fin d’un deuxième mandat et l’électorat se tourne naturellement vers l’Opposition officielle qui a eu huit ans pour expier ses fautes et se préparer. Ce modèle classique n’a pas joué cette fois-ci. En 2003 le Parti québécois, avec un taux de satisfaction de plus de 50 %, a perdu le pouvoir essentiellement à cause des fusions municipales : on parle de la perte de plus de vingt circonscriptions. Or, les mêmes électeurs qui avaient puni les fusionnistes en 2003, ayant été profondément déçus des procédés des défusionnistes ont puni les deux cette fois et presque toutes les circonscriptions visées sont passées à l’ADQ.
Autonomie mal définie
Le climat général ci-haut décrit ne porte pas aux grands élans collectifs. On déteste le gouvernement le plus fédéraliste de l’histoire mais on n’est plus enragé par l’immédiat qu’engagé dans l’avenir, même si la souveraineté jouit toujours d’un puissant appui. C’est dans ce contexte que Mario Dumont, qui n’est pas fédéraliste, propose une autonomie mal définie, mais qui ressemble à une option mitoyenne et d’attente. Par des appels populistes attrayants aux jeunes familles et aux aînés, il séduit aussi bien des gens. Sauf dans les régions ressources restées massivement fidèles au parti qui les comprend le mieux depuis toujours et qui est le plus apte à intervenir pour contrer leur détresse économique.
Au contexte de frustration générale créé par Jean Charest s’est soudainement ajoutée l’affaire dite des accommodements raisonnables. Cette question soulève dans tous les pays d’immigration des réflexes conservateurs viscéraux. Mario Dumont a rapidement capitalisé sur ce sentiment répandu et sensé que les immigrants doivent d’abord s’intégrer. André Boisclair en a parlé aussi et mieux encore mais Dumont par son approche plus carrée s’était déjà positionné comme le porte-parole identitaire en cette matière.
Enfin, il est indéniable que les trois chefs, comme tous leurs prédécesseurs, sont partiellement responsables du résultat. Pour Jean Charest, il a été aussi mauvais en campagne, sa supposée spécialité que durant son mandat. Mario Dumont a fait une excellente performance et André Boisclair peut-être une meilleure encore. Mais les circonstances ci-haut décrites ont partiellement défavorisé ce dernier et puissamment aidé l’autre. Malgré une adversité que les sondages laissaient présager depuis des mois, André Boisclair a démontré en campagne des qualités moins évidentes auparavant. Il serait à la tête d’un gouvernement minoritaire si nombre de voix souverainistes ne s’étaient dispersées vers des formations marginales qui, d’une façon navrante, ont gardé les libéraux au pouvoir. Ces considérations justifient amplement la décision d’André Boisclair, élu au premier tour d’un congrès démocratique, de rester en poste. Sans compter que, pour l’instant, son parti a beaucoup d’autres choses à faire que de changer de chef.
Approche suicidaire
Pour le Parti québécois, il serait absurde et suicidaire de même songer à tourner le dos ou mettre en veilleuse sa raison d’être : l’indépendance nationale. Il doit continuer cette lutte démocratique partie de la marginalité en 1960 et quasi victorieuse en 1995. Il doit réaffirmer que la seule façon moderne d’y arriver est la consultation référendaire. Aucun chef du PQ n’aurait par ailleurs le droit d’organiser un référendum autre que gagnant. Même Jacques Parizeau avait décidé sagement de ne pas en tenir, en 1989. En 1995, on ne peut rien lui reprocher non plus : il a presque gagné. Mais tout le monde a compris qu’il ne fallait plus jamais risquer d’en perdre un autre. Lucien Bouchard, dont «les conditions gagnantes» furent tant décriées par certains, ne pensait pas autrement. Pour la même raison, en 2003, j’ai parlé «d’assurance morale».
C’est pour cela aussi que j’ai fait mettre les mots « le plus rapidement possible » dans le dernier programme, ce qui a permis à André Boisclair de dire fort judicieusement qu’il ne serait pas un « kamikaze ». Il faut maintenant trouver une synthèse de ces diverses convergences qui établira que le PQ veut de toutes ses forces faire l’indépendance mais ne demandera l’appui du peuple que lorsqu’il sera virtuellement assuré de l’avoir. Il doit se préparer aussi à répondre aux autres attentes de la population par un programme qui englobe autant celles qui requièrent la souveraineté que les autres. Ce faisant, il doit développer une approche aussi rassembleuse qu’à ses débuts en n’oubliant pas que « l’indépendance n’est ni à gauche, ni à droite mais en avant ».
Bernard Landry
L’auteur a été premier ministre du Québec de 2001 à 2003.
Pas de mise en veilleuse
PQ - stratégie revue et corrigée
Bernard Landry116 articles
Ancien premier ministre du Québec, professeur à l'UQAM et professeur associé à l'École polytechnique
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