Pour sortir du coma idéologique

Trois constats sur le déclin du souverainisme progressiste

PQ - stratégie revue et corrigée

Que s'est-il passé le 26 mars? Cette question centrale pour l'avenir du nationalisme québécois, les militants péquistes seront tentés de l'esquiver en se rabattant sur la seule remise en question du leadership d'André Boisclair, qui s'engagera quant à lui dans la liquidation d'une stratégie référendaire toute désignée pour recevoir le blâme de la défaite. Pourtant, cette déroute historique exigera l'ouverture d'un chantier intellectuel entreprenant, à travers trois grands constats, le bilan du souverainisme post-référendaire tel qu'il s'est élaboré depuis un peu plus d'une décennie et qui aura mené le camp national à une crise peut-être fatale pour l'option dont il est comptable et mandataire.
Premier constat: le sacrifice du nationalisme historique et identitaire aura affaibli profondément le Parti québécois. On commence à connaître l'histoire de cette dénationalisation qui se sera poursuivie jusqu'aux derniers jours de la campagne électorale: pris de panique devant la déclaration de Jacques Parizeau le soir du 30 octobre 1995, les souverainistes auront compensé pendant une décennie dans la surenchère politiquement correcte en javellisant leur définition de l'identité québécoise pour la décentrer complètement de la majorité francophone. Cette métamorphose se présentera comme un passage du «nationalisme ethnique» au «nationalisme civique» par lequel le Québec pourrait racheter sa précédente grande noirceur identitaire. On remplacera l'identité nationale par un construit aussi artificiel que friable tout en criminalisant les dissidents de la religion multiculturelle. Cette déréalisation de la société québécoise entraînera le décrochage de son espace public de toute réalité en substituant à la dure existence politique d'une petite nation française un moralisme postmoderne caricaturalement représenté en fin de campagne par l'appel d'André Boisclair aux «altermondialistes, écologistes, pacifistes, féministes et progressistes». Que certains députés ou candidats défaits clignent encore de l'oeil vers le Parti vert et Québec solidaire en souhaitant l'approfondissement d'un tel programme pourtant rejeté massivement par l'électorat suffira pour confirmer la rupture de l'élite péquiste avec la collectivité dont elle réclame pourtant l'émancipation.
Deuxième constat: en sacrifiant le discours nationaliste pour réinvestir artificiellement l'identité québécoise d'un chartisme pluraliste et social-démocrate, le Parti québécois désertait non seulement son flanc national, mais aussi son flanc droit, qui se reconnaissait de moins en moins dans le projet de société qu'on lui dessinait pour l'avenir. Ce qui laissait un vaste espace politique sans personne pour l'occuper. Sur ce terrain stratégique laissé en jachère, l'Action démocratique aura semé, labouré, puis récolté, au moment de la querelle des accommodements raisonnables, en récupérant le nationalisme majoritaire pour le conjuguer avec un conservatisme de sens commun, à la fois culturel et économique, qui se laissait deviner depuis plusieurs années. Car l'émergence d'un parti conservateur à la québécoise n'est pas un phénomène seulement circonstanciel et n'avait rien d'imprévisible pour peu qu'on réfléchisse minimalement aux événements politiques et sociaux des dernières années. Il faudra sortir de la théorie du parking pour comprendre le vote adéquiste en se rappelant que l'alliage du nationalisme et du conservatisme est un des plus solides partout en Occident, le Québec n'étant pas ici appelé à faire exception. Il faudra surtout comprendre que le 26 mars aura représenté pour plusieurs un sursaut vital ranimant la démocratie québécoise en la débloquant de débats et querelles qui contribuaient à sa calcification.
Troisième et dernier constat, qui n'est pas sans ouvrir une réflexion inquiétante pour le nationalisme québécois: au-delà du souverainisme multiculturel et progressiste, c'est la question nationale avec son exigence existentielle d'une refondation québécoise qui semble entrée dans une dynamique de dislocation. Le déclassement du PQ par l'ADQ révèle probablement la fin d'un cycle politique et l'ouverture d'un nouveau reposant sur la normalisation de la démocratie québécoise en dehors d'une problématisation approfondie de son inscription dans l'ensemble canadien. Plus qu'un fédéralisme qui ne s'avouerait pas comme tel, l'autonomisme de l'ADQ est un nationalisme post-souverainiste appelé à gérer les conséquences identitaires et institutionnelles de la défaite de la lutte pour l'indépendance. Car c'est bien de l'échec de la souveraineté qu'il faut actuellement parler, du moins dans la forme qu'a prise ce projet dans la dynamique de la Révolution tranquille, ce que refusaient jusqu'à présent d'assumer les péquistes aux résultats serrés de 1995 et en déniant la réalité de cette défaite par le refuge dans la thèse du référendum volé. Ce qui ne veut pas dire de l'indépendance qu'elle ne flottera plus comme idéal dans la conscience historique québécoise, mais qu'elle n'apparaîtra plus, du moins pour quelque temps, comme un projet politique susceptible de s'incarner autrement que dans une perspective marginale ou contestataire. À moins évidemment d'un retournement de conjoncture ou d'une crise nationale sans précédent, qu'il ne nous appartient pas de prophétiser et sur lesquels il serait hasardeux de spéculer.
Si le Parti québécois est à reconstruire, son travail devra aller bien au-delà de l'élaboration d'un nouveau parcours vers l'indépendance politique. Pour l'instant, le souverainisme tel qu'il est devenu exaspère une bonne partie de l'électorat qui se mobilisait encore derrière lui il y a quelques années. Mais les circonstances actuelles ne devraient surtout pas conduire à des dépressions en série dans les rangs nationalistes. Car en se décentrant de la seule lutte pour l'indépendance, sur laquelle il s'était fixé et figé, le nationalisme se déprendra enfin de son cul-de-sac progressiste et pourra de nouveau irriguer l'ensemble de la démocratie québécoise en teintant de son essentielle couleur des questions comme la natalité, la famille, l'école, le multiculturalisme et l'immigration, pour le moment considérées à partir du seul calcul comptable et technocratique. Ainsi pourra-t-il surtout contribuer à redonner un peu de réalité à l'identité québécoise en la recentrant sur une majorité francophone dont les élections du 26 mars auront confirmé la réaffirmation et le désir de continuité historique. Reste à savoir si le PQ est disposé à sacrifier sa catéchèse pluraliste et progressiste pour redevenir le porteur politique de l'identité québécoise et du nationalisme qui l'exprime. On en doutera. On se demandera surtout s'il faut le souhaiter.
Mathieu Bock-Côté, Candidat au doctorat en sociologie, UQAM


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