(Article publié dans Le Devoir du jeudi 28 décembre 2006)
Dans un discours consacré à la reconnaissance de la nation québécoise, le premier ministre Stephen Harper, de passage à Rimouski, a récemment rappelé la contribution historique du Québec à la genèse du Canada ([La Presse, 19 décembre 2006->3429]). Ce dernier aurait toutefois contribué à la préservation de la différence québécoise en reconnaissant au fil du temps ses conséquences politiques par une série d’aménagements constitutionnels. Québec et Canada se devraient mutuellement leur existence et seraient appelés pour cela à collaborer durablement dans la pratique d’un fédéralisme assoupli et décentralisé.
Cette vision du Québec dans le Canada, on la partagera ou non. Normalement, un souverainiste devrait sursauter devant une telle idéalisation du Canada des derniers siècles, en se rappelant les enseignements encore indispensables de l’École historique de Montréal. Mais l’essentiel n’est pas ici dans la vision de l’histoire mise de l’avant par Stephen Harper. Ce qui ressort plutôt de ce discours, c’est le désir manifeste du premier ministre fédéral d’inscrire son action dans une perspective surplombant l’actualité la plus immédiate pour placer la conscience historique au cœur de la légitimité politique canadienne. Pour le dire autrement, dans ce discours qui parachève à sa manière l’actuelle politique d’ouverture au Québec, le premier ministre n’hésite pas faire un usage décomplexé de la mémoire dans la mise en scène de son projet politique.
La chose peut surprendre. Contre les fédéralistes plaidant pour une décompression de l’identitaire et un calcul strictement comptable des vertus et mérites du lien canadien, les souverainistes référaient traditionnellement à l’identité québécoise et au destin national pour définir la nécessaire indépendance. Car le souverainisme était d’abord un nationalisme. Il suffit de se rappeler l’apport indéniable de Lucien Bouchard à la dernière campagne référendaire pour constater la force de la conscience historique dans l’agir politique. Dans une campagne morne et chiffrée, technocratique et désolante, celui qui était alors chef du Bloc avait sauvé le camp du OUI du désastre en récapitulant l’histoire québécoise dans un discours assumant pleinement la dimension existentielle du politique pour une collectivité nationale.
Mais depuis le dernier référendum, on le sait, les souverainistes ont censuré toute référence à la mémoire pour définir leur projet dans un pur présentisme. La crise de panique post-référendaire aura miné l’espace politique pour les défenseurs de l’identité québécoise. Dans sa conversion au multiculturalisme, la direction bloquiste a même renié la référence aux deux peuples fondateurs, le pluralisme identitaire réclamant apparemment la négation de toute continuité historique dans la définition de la nation. Certains commencent d’ailleurs à faire le bilan de cette modernisation désastreuse d’un souverainisme privé de ses raisons fortes. On ne casse pas un pays, non plus qu’on en fonde un autre, pour des raisons administratives, fiscales ou écologiques. On ne crée pas un État en niant l’identité du peuple qu’on désire amener à la pleine existence politique.
Mais voilà que la mauvaise conscience semble moins agissante dans le camp fédéraliste, chez un premier ministre qui n’avait pourtant pas la réputation d’être un tendre envers notre peuple et qui mobilise soudainement la puissance de l’identité québécoise pour la mettre au service de sa cause. Certainement, le conservatisme du premier ministre y est pour quelque chose, les partis au centre-droit assumant normalement mieux la réalité nationale que les partis progressistes se réclamant du pluralisme identitaire (comme on le constate aussi avec une ADQ faisant le pari de l’identité québécoise contre un PQ se braquant sur un pathétique chartisme dans le débat entourant les accommodements raisonnables). Il n’en demeure pas moins que le premier ministre canadien vient d’avancer une pièce centrale sur l’échiquier politique en s’appropriant sous le nez des souverainistes la référence à l’histoire. Ainsi, la défense de l’identité québécoise se confond de moins en moins avec la lutte pour l’indépendance. Il y a là un risque fatal pour le camp national.
Que feront les souverainistes ? Répondront-ils que la différence québécoise n’est plus identitaire, que Kyoto compte finalement pour bien plus dans l’argumentaire indépendantiste ? Rajouteront-ils artificiellement quelques milliards à leur calcul du déséquilibre fiscal dans la perpétuation d’un souverainisme comptable ? Ou comprendront-ils enfin qu’en désertant le domaine de la mémoire et de l’identité, ils sacrifient leurs avantages idéologiques à leurs adversaires et sabotent les raisons fondamentales d’un nationalisme dont ils sont pourtant les dépositaires ? Mais la direction actuelle du mouvement souverainiste ne semble absolument pas consciente du cul-de-sac où elle aura conduit sa cause et peine à s’élever à la hauteur d’un premier ministre fédéral qui a toujours plusieurs coups d’avance sur elle. Comme quoi le problème doctrinal des partis souverainistes recoupe désormais peut-être celui de leur direction.
Harper, guide pour les souverainistes ?
La nation québécoise vue du Canada
Mathieu Bock-Côté1347 articles
candidat au doctorat en sociologie, UQAM [http://www.bock-cote.net->http://www.bock-cote.net]
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