La proie pour l'ombre

La nation québécoise vue du Canada

Ça y est. Le Parlement fédéral accepte de dire qui nous sommes. Ça fait plaisir, vraiment. Mais, au-delà des symboles, est-ce que ça nous avance vraiment? Surtout quand on prend en considération le contexte et la manière.
Au moment de la mort de l'accord du Lac-Meech, le premier ministre québécois Robert Bourassa déclarait: «Le Canada anglais doit comprendre, d'une façon très claire, que, quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, le Québec est aujourd'hui et pour toujours une société distincte, libre d'assurer son destin et son développement.» La motion adoptée lundi soir à Ottawa n'y change rien. Son absence, pendant des années, n'y changeait rien non plus.
Ce qui freine davantage la capacité du Québec d'être maître de ses choix se trouve ailleurs. D'abord, dans l'absence de limites au pouvoir fédéral de dépenser, source des ingérences d'Ottawa dans les affaires provinciales. Ensuite, dans le refus d'accorder aux provinces le droit de se soustraire à un programme fédéral dans leurs domaines de compétence, c'est-à-dire un droit de retrait inconditionnel assorti d'une pleine compensation financière. Finalement, dans l'insistance du fédéral à vouloir résoudre le déséquilibre fiscal par le biais de transferts en espèces accrus au lieu de transferts de points d'impôt qu'il ne pourrait plus reprendre. Et il y a bien sûr le refus de reprendre les discussions constitutionnelles en vue de voir le Québec adhérer au texte de 1982.
On a reconnu la nation québécoise lundi soir, mais on n'a toujours pas trouvé la volonté de faire tomber ces obstacles. Stephen Harper dit discuter du pouvoir de dépenser avec les provinces et être prêt, si elles acceptent, à modifier la Constitution. Qu'advient-il dans tout ça des demandes du Québec, qui n'est toujours pas signataire de ce texte? Personne ne veut en parler. M. Harper a aussi promis de régler le déséquilibre fiscal, mais le dossier piétine. Dans les autres partis, on accepte maintenant de parler de déséquilibre fiscal, mais pas d'une révision sérieuse du pouvoir de dépenser.
Une chose à la fois, pourrait-on répondre. Parler de la nation québécoise n'est pas insignifiant, en effet, car cela oblige la majorité des Canadiens à revoir leur propre vision uninationale du Canada. Mais sans portée juridique, cette reconnaissance n'est qu'une victoire morale. Elle fait vibrer la corde sensible des Québécois dans le but de les charmer, mais sans plus. Il suffit de voir l'empressement avec lequel tous les leaders fédéralistes ont souligné l'absence de portée de la motion. Et que dire des proposeurs de la motion libérale, celle à l'origine de tout ce débat? Moins de 24 heures après le vote aux Communes, ils s'apprêtaient à la retirer, jugeant avoir obtenu ce qu'ils voulaient. Leur résolution parlait pourtant d'un comité chargé de trouver une façon d'officialiser la reconnaissance de la nation québécoise. Il faut croire que leurs attentes se limitaient à cela, à une motion, et que tous ceux qui ont cru un moment qu'ils souhaitaient rouvrir la Constitution se sont mépris.
Les partis politiques jouent sur cette notion car ils pensent, à la lumière des dernières élections fédérales, qu'il n'en faut pas plus pour engranger des votes au Québec. Il y a là une forme de manipulation désolante, comme si les Québécois pouvaient aisément laisser la proie pour l'ombre. Personne ne doute de l'importance symbolique de cette motion ni n'ignore la gifle qu'aurait représenté un refus, mais toute l'affaire reste le fruit de calculs purement tactiques. Aucun parti, le Bloc y compris, n'a agi dans ce dossier avec les vrais intérêts du Québec en tête. Tous n'avaient que leurs intérêts partisans à l'esprit.
Les libéraux ont avancé sur ce terrain pour reprendre pied au Québec. Le Bloc québécois a présenté une première motion dans le but d'exposer les divisions libérales et embarrasser les fédéralistes. Stephen Harper a décidé d'unir le front fédéraliste contre le Bloc, sauvant au passage la mise aux libéraux, mais aussi les apparences pour le PC au Québec.
Le chef conservateur semble aussi vouloir protéger ses arrières advenant un autre référendum. La présence du mot français «Québécois» dans le texte anglais de la motion n'est pas innocent. À preuve, plusieurs Québécois anglophones et allophones y ont vu une ombre d'exclusion. La nation québécoise serait-elle seulement composée de francophones? Quelques députés conservateurs amalgamaient Canadiens français et Québécois durant le débat. Les déclarations du ministre Cannon, dont faisait état hier ma collègue Hélène Buzzetti mais que le ministre a corrigées hier, n'ont fait que renforcer l'impression que le gouvernement ne voulait pas reprendre à son compte la définition territoriale de la nation. Il est vrai que cette conception minerait la thèse partitionniste adoptée par M. Harper en 1995 et jamais répudiée depuis.
Stephen Harper aurait pu dissiper la confusion dès lundi soir, mais il ne l'a pas fait. Les Québécois n'ont pas besoin du reste des Canadiens pour se définir, a-t-il dit avec raison. Mais à partir du moment où il s'en mêle, entraîné sur ce terrain par le Bloc, il a une obligation de clarté. Pour cela, il faut toutefois autre chose que l'improvisation à laquelle on a assisté. Il faut aller au bout de son idée et la reconnaissance de la nation québécoise, pour avoir un sens, exige ces changements fondamentaux susceptibles de redonner au Québec la marge de manoeuvre rognée par Ottawa depuis la Deuxième Guerre mondiale. Il ne faudrait pas que les Québécois, touchés, l'oublient eux non plus.
Or, passer le cap des boîtes de scrutin, il y a bien peu en vue. L'équipe éditoriale du [Globe and Mail->3102], qui a appuyé le geste du premier ministre, l'a bien compris. «Personne ne doit penser qu'à cause de la ruse politique qui a culminé à Ottawa avec [l'adoption de la motion], le gouvernement du Canada doive prendre des mesures concrètes pour apaiser le Québec ou, à cet égard, un quelconque parti qui serait offensé par cette résolution. La partie a été jouée et le Canada s'est réveillé ce matin formant toujours une nation unie.»
Un refus aurait mal passé, mais un vote opportuniste comme celui de lundi laisse, après la satisfaction initiale, un certain arrière-goût, car on est bien loin du geste solennel posé dans l'honneur et l'enthousiasme.
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mcornellier@ledevoir.com


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