Malentendu ou supercherie?

La nation québécoise n'a pas été reconnue selon l'image que s'en font les Québécois eux-mêmes

La nation québécoise vue du Canada


Bien des Québécois, tant fédéralistes que souverainistes, se sont réjouis de la motion sur la nation québécoise adoptée par la Chambre des Communes en novembre dernier. Il n'y a pourtant pas matière à célébration. Au mieux, il s'agit d'un malentendu, au pire d'une supercherie.
Au coeur du problème se trouve le fait que la motion, dans sa version française, fait référence à l'ensemble des Québécois alors que la version anglaise ne parle pas de "Quebeckers" mais utilise le mot "Québécois" qui sous cette forme, en anglais, désigne exclusivement les francophones. Donc, la version anglaise renvoie à une conception ethnolinguistique de la nation, alors que la version française réfère à une conception civique inclusive dans laquelle les Québécois de toutes origines peuvent se retrouver.
Il y a un monde de différence entre ces deux versions. Comme il était prévisible, ces différences ont mené à des interprétations divergentes du sens de la résolution au Québec et ailleurs au Canada. Depuis son élection à la chefferie libérale, Stéphane Dion se targue de tenir le même discours en anglais et en français. C'est néanmoins lui qui, consulté par Stephen Harper sur le texte de la motion, en est de facto le cosignataire. Comment une motion dont les textes anglais et français diffèrent à ce point a-t-elle pu passer le test de "clarté" de mon ex-collègue? Bonne question.
Quant au Bloc Québécois, ses députés n'ont manifestement pas porté attention à la version anglaise de la motion. Ils auraient pu assez facilement marquer des points au Québec en exposant immédiatement le double langage des conservateurs. Au lieu de cela, ils se sont naïvement laissés prendre au piège.
Au Canada anglais, on interprète généralement la motion comme la reconnaissance que les francophones Québécois forment une nation au sens ethnolinguistique du terme. C'est ce qu'a dit l'ex-ministre Michael Chong, qui condamnait lors de sa démission la reconnaissance de "groupes fondés sur l'ethnicité".
Si un prix devait être attribué aux déclarations les plus rocambolesques de l'année 2006, celui-ci irait sans doute aux interventions de Lawrence Cannon au sujet de la nation québécoise. Si les explications de Cannon reflétaient vraiment la position du gouvernement, on pourrait conclure que la motion ne veut tout simplement rien dire.
Le premier ministre Harper a un meilleur sens de la formule, mais il demeure clair que, pour lui, les Québécois ne forment une nation que dans le sens ethnolinguistique du terme. Il prend aussi bien soin de ne jamais laisser entendre à ses auditoires anglophones que la reconnaissance de la nation québécoise pourrait représenter un quelconque avantage politique pour cette province.
Au Québec
Au Québec, le contraste est total. La motion est interprétée comme la reconnaissance d'une nation qui englobe tous les Québécois et d'aucuns s'empressent de conclure que cette reconnaissance devrait se traduire par une autonomie politique accrue. Pour Jean Charest, qui joue à fond la carte du "fédéralisme d'ouverture" de Harper, la motion est une victoire symbolique. Elle signifie que les Québécois peuvent obtenir une reconnaissance de leur identité collective distincte sans faire le saut dans l'inconnu que représente l'indépendance. Bien sûr, les libéraux québécois savent qu'une telle reconnaissance ne peut être politiquement payante que dans la mesure où elle est suivie de gains concrets, mais il y a loin de la coupe aux lèvres.
Pour sa part, le Parti québécois a semblé pris de court par la volte-face du Bloc. André Boisclair a tergiversé un peu, mais son parti et de nombreux souverainistes ont accueilli favorablement la motion, soutenant qu'elle donne à leur option une mesure de légitimité. Cet argument a été défendu notamment par Bernard Landry. Dans les pages de La Presse, l'ex-leader péquiste a admis le contraste entre les versions française et anglaise de la motion mais il conclut, s'appuyant sur l'opinion du juriste Henri Brun, que la version française devrait avoir préséance.
À mon avis, fédéralistes et souverainistes font preuve d'un excès d'optimisme. La motion sur la nation n'était dans les faits rien de plus qu'une manoeuvre astucieuse de Stephen Harper et de Stéphane Dion pour faire des gains à court terme. La motion les a bien servis. Il est toutefois manifeste qu'elle n'a pas reconnu la nation québécoise selon l'image que s'en font les Québécois eux-mêmes.
En matière de reconnaissance symbolique, ce sont les paroles et les pensées de "l'autre" qui comptent, et celles-ci sont exprimées le plus clairement dans la langue de "l'autre". C'est donc à la version anglaise de la motion qu'il faut se référer pour en saisir adéquatement le sens. Pour ceux qui croient que le reste du Canada devrait reconnaître le caractère distinct du Québec en tant que communauté politique, la motion sur la nation n'offre aucun appui. Les Canadiens hors Québec ne montrent toujours aucun signe qu'ils considèrent le Québec comme autre chose qu'une province comme les autres.
En bref, si les débats qui ont entouré la motion sur la nation ont révélé quoi que ce soit, c'est la duplicité de certains politiciens, la naïveté de certains autres et le fossé de plus en plus large qui sépare l'image que les Québécois se font de leur identité collective et la façon dont ils sont perçus par les autres Canadiens.
Pierre Martin
L'auteur est professeur de science politique à l'Université de Montréal. [Une version antérieure de ce texte est parue dans le "Toronto Star".->3564]

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Pierre Martin est professeur titulaire au Département de science politique de l’Université de Montréal et directeur de la Chaire d’études politiques et économiques américaines (CÉPÉA). Il est également membre du Groupe d’étude et de recherche sur la sécurité internationale (GERSI)





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