Si cela peut consoler Pauline Marois, elle n'est pas la première à se voir reprocher sa vie de château. Alors que Jacques Chirac était encore à l'aube de sa carrière politique, lui et son épouse Bernadette s'étaient retrouvés au centre d'une polémique semblable après avoir fait l'acquisition d'un château du XVIe siècle.
Le président de l'époque, Georges Pompidou, avait fait la réflexion suivante: «Quand on prétend faire de la politique, on s'arrange pour ne pas avoir de château. Sauf s'il est dans la famille depuis au moins Louis XV.»
Il reste bien ici et là quelques manoirs qui remontent à la Nouvelle-France, mais ils sont plutôt rares et, malheureusement, ni Mme Marois ni Claude Blanchet ne peuvent prétendre descendre d'un cadet de l'aristocratie française venu courir l'aventure dans le Nouveau Monde. Si l'un ou l'autre avait eu un nom à particule, il n'y aurait pas de problème.
La chef du PQ a d'incontestables mérites. Dans tous les ministères qu'elle a occupés, elle a accompli un travail tout à fait honorable et souvent même remarquable. Aucun chef de parti au Québec n'a pu faire valoir une feuille de route aussi impressionnante.
Il faut également lui accorder une grande ténacité. Des hommes comme Daniel Johnson, Bernard Landry, Jean Chrétien, Brian Mulroney ont du faire deux tentatives avant de devenir chef, mais je n'ai pas souvenir d'une réussite au troisième essai.
Il y a cependant une qualité dont Mme Marois a été moins bien pourvue que d'autres: l'instinct. Plus d'une fois au cours de sa carrière, elle a commis des erreurs de jugement qui lui ont coûté cher. La chef du PQ est d'ailleurs la première à reconnaître qu'elle n'a pas le meilleur sens politique et qu'il lui est indispensable de bien s'entourer.
Bien avant sa défaite aux mains d'André Boisclair, elle avait ruiné ses chances de succéder à Bernard Landry en réclamant une course au leadership à la veille d'un conseil national où tout le monde jugeait que l'heure était plutôt à l'unité.
Comme pour être bien certaine de se mettre les militants péquistes à dos, elle s'est ensuite prononcée publiquement en faveur de l'emplacement d'Outremont dans le débat sur l'implantation du CHUM.
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Comme disait Pompidou, il vaut mieux choisir entre le château et la politique. À partir du moment où Mme Marois prétendait avoir les deux, il aurait fallu gérer cette cohabitation avec plus de doigté.
Bien sûr, tout le monde a droit à son intimité, même une personnalité publique, mais la façon dont elle a tenté de cacher l'opulence de son domaine ne pouvait qu'exciter la curiosité. Il était presque inévitable qu'un jour ou l'autre, un incident comme l'article de The Gazette attire les projecteurs.
William Marsden avait certainement entrepris son enquête avant que Mme Marois ne convie les médias à son modeste chalet de Charlevoix, mais cette malheureuse invitation n'a fait qu'empirer les choses.
Aux yeux de plusieurs, sa faute est moins d'être riche que d'avoir tenté de faire sa modeste. Ils ne pouvaient tout simplement pas l'imaginer grimper la petite échelle droite jusqu'à la mezzanine. Remarquez, cela n'aurait été guère mieux si le couple Marois-Blanchet avait donné suite à son projet initial d'une résidence secondaire beaucoup plus cossue dans la région.
On peut comprendre que la chef du PQ ait voulu attendre après l'élection partielle de lundi dernier avant de donner sa version des faits allégués par The Gazette. Entre la parution de l'article, samedi matin, et le jour du scrutin, la nouvelle n'avait pas pu se répandre beaucoup sur la côte de Charlevoix. Lui faire écho aurait été très maladroit.
Même au lendemain de l'élection, Mme Marois a refusé de commenter l'affaire, alors qu'il était évident que cela prendrait des mois, peut-être même des années avant de connaître l'issue d'éventuelles poursuites contre The Gazette.
Il était impensable de laisser ces allégations sans réponse pendant tout ce temps. Il a pourtant fallu que des voix amies s'élèvent pour la presser de réagir. De toute manière, l'article a été rédigé avec une habileté telle qu'il est loin d'être évident que Mme Marois et son époux auront gain de cause.
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Tant que l'affaire sera devant les tribunaux, on ne parlera plus du «cadeau de Noël» donné au voisin qui a témoigné en faveur du couple par voie d'affidavit, mais les cancans sur le château ne s'éteindront pas de sitôt.
Remarquez, les libéraux seraient très mal avisés de jeter de l'huile sur le feu. Jean Charest est bien placé pour savoir combien il peut être désagréable de se faire reprocher le luxe de son domicile. Depuis qu'il a débarqué au Québec en 1998, M. Charest a dû vivre avec des rumeurs persistantes, d'ailleurs entretenues par le camp souverainiste, sur le «pont d'or» qu'on lui aurait offert et qui lui aurait permis d'acheter une maison à Westmount.
Bien entendu, personne à l'Assemblée nationale ne fera allusion à celle de Mme Marois, mais l'éclat de sa belle victoire dans Charlevoix et l'impact de sa rentrée parlementaire seront inévitablement amoindris par cette histoire. Il faudra un certain temps avant de pouvoir mesurer dans quelle mesure le PQ et le mouvement souverainiste en souffriront, mais cela laissera sans doute des traces.
Tout espoir n'est pas perdu pour autant. Comme Pauline Marois, Jacques Chirac avait le tort d'être un simple roturier qui voulait jouer au gentilhomme. Il lui a fallu s'y reprendre à trois reprises, mais son château ne l'a pas empêché d'être élu et réélu président de la République.
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mdavid@ledevoir.com
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