Les plus vieux se souviendront du ton avec lequel Séraphin Poudrier, personnage emblématique dans l'oeuvre de Claude-Henri Grignon, prononçait ces mots. On y décelait du dédain, de la hargne, de l'hypocrisie mais avant tout une jouissance où l'excitation la disputait à l'idolâtrie. Les Québécois, dont la véritable bourgeoisie économique fut mise au monde dans les années 1960 et dont la paternité est grandement attribuable à Jacques Parizeau, visionnaire en ce domaine, les Québécois, donc, conservent au fond d'eux-mêmes ces traits du Séraphin d'antan.
Freud s'est penché sur ce lien complexe de l'homme à l'argent. Il considérait apparemment que les rapports de l'homme au sexe et à l'argent étaient déterminants pour saisir sa personnalité profonde. Des sociologues, en particulier Max Weber, se sont penchés aussi sur les relations entre la religion et l'argent, entre l'éthique protestante et l'éthique catholique. Les baby-boomers et ceux qui les ont précédés ont été mis en garde à l'école contre le désir de l'argent -- gagner son ciel étant de loin préférable à gagner des sous. Malheur à celui qui idolâtre le Veau d'or, apprenait-on à dix ans dans les cours de religion d'antan.
Il nous est resté de cette éducation une méfiance vis-à-vis des riches, une envie aussi qu'on tente de rationaliser dans certains milieux où l'on aime à afficher une forme de misérabilisme social. Tout ce préambule nous semble nécessaire afin d'éclairer le feuilleton immobilier du couple Marois-Blanchet.
D'abord, plusieurs auront ressenti un malaise, comme pris en flagrant délit de voyeurisme, en découvrant à la télévision l'énorme manoir du couple, que les Américains appellent trophy house. Malaise causé par la violation, sans doute explicable compte tenu des accusations du journal The Gazette, de l'espace privé de Pauline Marois. Malaise également de voir la chef du Parti québécois avoir à justifier son aisance matérielle. Il y avait non seulement de la colère contenue dans sa voix mais aussi une espèce de culpabilité sous-jacente. Il faut rappeler qu'en ouvrant la porte du chalet de Charlevoix, Pauline Marois a tenté le diable. Elle a d'ailleurs reconnu plus tard cette erreur de jugement.
Ça n'est pas d'hier qu'on «persécute» Mme Marois à propos de sa Porsche, de ses bijoux, de ses châles chatoyants, des rénovations de salle de bain à son ministère, comme si, depuis des années, on avait pratiqué une forme d'encerclement qui déboucherait nécessairement sur ce manoir théâtral qui alimentait le bouche-à-oreille dans le petit monde politico-médiatique.
Cette fascination qui comporte de l'envie, même de la part de ses propres collègues et partisans, s'ajoute au fait qu'elle est une femme. Car, disons-le sans détour, une femme riche dérange encore davantage qu'un homme riche. Quand il s'agit de politiciens en général, la richesse, dans l'esprit de plusieurs, est associée à la vénalité, à l'absence de compassion humaine ou au reniement du peuple. Il faut être bien primaire ou bien malhonnête pour croire que l'aisance matérielle exclut la capacité d'indignation, le sens de la justice et la moralité.
Le «maudit argent», quand il n'est pas objet de culte ou un objectif absolu, accorde une liberté précieuse. En politique, par exemple, ils sont plus nombreux qu'on ne l'imagine les députés qui ne pourront jamais voter en leur âme et conscience par crainte de perdre leur siège, désireux qu'ils sont de poursuivre leur mandat jusqu'à l'obtention d'une retraite confortable. Il vaut mieux, dans l'intérêt général, avoir des élus payés et traités convenablement que des personnes si dépendantes de leur salaire qu'elles risquent d'être tentées par tous les corrupteurs qui s'agglutinent autour de l'arène politique.
L'honnêteté n'est pas une vertu réservée aux pauvres et la possession de biens n'exclut pas la conscience sociale. Dans le cas de figure qui retient notre attention, on souhaite que nos confrères de The Gazette aient des preuves bétonnées de malversations ou des avocats exceptionnels. Mais ils auront réussi à placer Pauline Marois sur la défensive, ce qui pour un chef de parti dont l'ambition est de diriger le Québec est une position inconfortable. Hélas, cette dernière avait ouvert la porte, au propre comme au figuré, avec cette visite guidée et télévisée de son chalet dans Charlevoix.
Que s'est-il donc passé dans la tête de Pauline Marois pour qu'elle porte ainsi flanc à plus d'inquisition journalistique? Elle voulait s'afficher en tant que résidente de la circonscription? Certes, mais sans faire d'interprétation sauvage, ne peut-on soumettre l'hypothèse d'une sorte de culpabilité de sa part à posséder ce «maudit argent» si cher à Séraphin et qu'elle a inconsciemment tenté de réduire à un chalet rustique et banal au bord du majestueux fleuve?
Dans la vie comme en politique, il faut assumer. Les riches ne peuvent pas jouer les pauvres et les démunis. Mme Marois n'a pas à s'excuser ad nauseam de s'être fait construire un château comme elle en rêvait petite fille. Elle n'a qu'à faire la preuve que ce lieu de ses contes de fée ne s'est pas construit sur des assises financières et légales immorales, ce que de nombreux citoyens partisans et adversaires sont prêts à croire. Et qu'on ait la décence de lui ficher la paix à propos de son «maudit argent».
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