Le Québec malade de la religion

Grâce à l'appui de citoyens, juges et fonctionnaires de tous genres qui interprètent parfois la Charte comme les fous de Dieu interprètent le Coran, nous sommes tombés dans la trappe des accommodements.

Laïcité — débat québécois

Le mot lui-même est explosif. Le lancer dans une discussion a l'effet d'une grenade dégoupillée. Et dire qu'il y a des Québécois pour affirmer que nous nous sommes libérés de notre catholicité asphyxiante, que nous avons décléricalisé la société alors que les clercs laïques sévissent et que la déchristianisation en marche arrive à son terme, c'est-à-dire une sorte de paradis laïque sur terre (forcément, ça ne peut pas être au ciel). Tout cela relève d'une vision plus fantasmée que réelle du Québec.
La religion demeure, au Québec, obsessionnelle. Il faut le répéter, nous ne sommes pas sortis collectivement de l'eau bénite. Cela prendra plusieurs décennies encore avant que nous arrivions à poser sur la religion un regard apaisé. On en veut pour preuve cette agressivité palpable exprimée à travers les médias et chez certains groupes dont le discours antireligieux est aussi intolérant que primaire.
Il est de bon ton dans les salons branchés et chez les tonitruants de l'espace public de plaindre ou d'occire par dérision quiconque s'affiche catholique. C'est un argument avec lequel on a même tenté d'invalider la présence de Charles Taylor, un catholique pratiquant, à la coprésidence de la commission Bouchard-Taylor en arguant qu'il n'était pas objectif, comme si être athée ou agnostique conférait une neutralité pour analyser les faits sociaux. Les jeunes catholiques qui s'affichent comme tels au cégep ou à l'université en ont long à raconter sur les commentaires qu'ils suscitent dans leurs milieux respectifs. C'est peu dire qu'il n'y a aucun avantage social à retirer quand on se dit catholique au Québec. Au contraire, il faut être blindé.
La religion est suspecte, mais -- et c'est là une de nos nombreuses contradictions -- on l'utilise pour les grands rites de passage que sont la naissance, le mariage et la mort. Pour mémoire, rappelons que Pierre Bourgault, incroyant notoire, a souhaité une cérémonie funèbre non religieuse à l'église Notre-Dame, ce que l'Église, dans son ouverture d'esprit, a consenti à lui accorder. Autre paradoxe, on n'aime guère la religion, mais une majorité de parents souhaitent un enseignement religieux à l'école. Ce sont les mêmes qui vantent aussi la laïcité, ce concept nouveau dans notre société dont les paramètres religieux ont traditionnellement défini l'identité collective.
Et c'est ici que se trouve le noeud gordien. Comment départager la religion de la culture? Jusqu'où doit s'étendre la laïcité sans être le fossoyeur de notre histoire? À entendre les tenants de la laïcité fondamentaliste, tous les signes extérieurs de l'ancienne croyance devraient être éradiqués. Cela ira-t-il jusqu'à démolir les églises, rebaptiser la majorité des villes, villages et écoles du Québec? (Cela a d'ailleurs commencé.) Allons-nous expulser ce qu'il reste de membres du clergé et des communautés religieuses, comme on l'a fait en France au début du XXe siècle? Caricature, direz-vous. Certes, mais il arrive que l'absurde nous aide à réfléchir. Comment donc concilier la laïcité québécoise nouvelle avec la culture, cette culture s'étant nourrie de la langue et de la foi des ancêtres? Comment être laïque sans perdre la mémoire, ce qui serait une autre manière de perdre la raison, la raison d'être collective, s'entend?
Et voilà que, tâtonnant, nous en arrivons à l'éducation des enfants. Les parents demandent un enseignement religieux. Le ministère de l'Éducation a conçu cette solution de l'enseignement des grandes religions, compromis que refusent les autorités religieuses et de nombreux catholiques au nom précisément de l'héritage religieux. Mais entre l'endoctrinement et l'approche relativiste de la religion, qu'on destine à des enfants dont la capacité de relativiser est faible, que choisir?
Entre Dieu, Bouddha, Brahmâ, Allah, Yahvé, comment les petits enfants arriveront-ils à s'y retrouver? Ils demanderont: «Qui est le bon? Qui est le méchant?» Et ils se feront répondre: «Ils sont tous bons.» Ils renchériront alors: «Pourquoi on en choisit un et pas l'autre?» Quelle vaste culture sera nécessaire pour enseigner l'histoire des religions! Et cela exigera une sérénité et une sagesse hors du commun. Où donc a-t-on formé ces maîtres précieux et rares? L'expérience a démontré dans un passé récent que les cours d'éthique remplaçant l'enseignement religieux dans les écoles ont été des fourre-tout où la rectitude politique la disputait à la bêtise et à la pauvreté intellectuelle.
La laïcité se construit, elle ne s'improvise pas, et il faut reconnaître que nous arrivons mal à tenir un discours à la fois clair, cohérent, serein et sans préjugés sur le rôle de la religion, sur la foi et ceux qui se définissent comme des croyants. C'est dans ce paysage trouble, semé d'embûches, d'ombres et de peu de lumière qu'ont débarqué les fondamentalistes religieux avec leurs revendications.
Grâce à l'appui de citoyens, juges et fonctionnaires de tous genres qui interprètent parfois la Charte comme les fous de Dieu interprètent le Coran, nous sommes tombés dans la trappe des accommodements. De quoi nous faire régresser et nous empêcher d'instaurer cette laïcité ouverte, respectueuse des croyances et soucieuse d'intégrer non pas l'enseignement doctrinal mais la culture religieuse du passé, qui demeure un des fondements de notre culture collective d'aujourd'hui.
denbombardier@videotron.ca


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