Présidentielle française (3)

Hollande, le Bisounours ou le roublard?

Sous ses allures de candidat «normal», le favori cache un esprit pragmatique qui garde sa part de mystère

Mystère? Vraiment? Sarko-France ou Sarko-Hollande - du pareil au même! Aux ordres d'un pouvoir qui ne dit pas son nom!



Voici le dernier d'une série de trois textes sur les enjeux de l'élection présidentielle française, dont le premier tour aura lieu dimanche prochain.
Paris — La nouvelle est soigneusement distillée depuis quelques jours dans la presse française. Dimanche dernier, plusieurs proches de l'ancien président Jacques Chirac se tenaient bien en vue dans la foule réunie sur l'esplanade du château de Vincennes pour acclamer François Hollande. Et cela au moment même où Nicolas Sarkozy rassemblait lui aussi ses partisans sur la place de la Concorde. Qu'on se le dise, l'ancien président Chirac avait toute sa tête lorsque, le 11 juin dernier, il avait dit soutenir le candidat socialiste. Aujourd'hui, c'est tout le clan Chirac, à l'exception de Bernadette, qui roule pour Hollande.
Curieux retour d'ascenseur à trente ans de distance. N'est-ce pas François Hollande, alors jeune militant socialiste et déjà conseiller à l'Élysée, qui était allé relancer le seigneur de Corrèze sur ces terres en 1982? Le futur président avait alors eu cette déclaration assassine: «Hollande? Il est moins connu que le labrador de Mitterrand!»
«Bisounours» [Calinours au Québec], «Flamby», «Le Petit Chose», «fraise des bois», «Monsieur petites blagues», les surnoms caustiques ne manquent pas pour désigner François Hollande. Mais ils semblent glisser sur l'homme comme l'eau sur le dos d'un canard.
«Depuis toujours, François Hollande a projeté l'image d'un mou qui ne décidait pas. Et pourtant, on l'a toujours sous-estimé. Il a réussi très tôt et veut le pouvoir depuis longtemps», dit Marie-Ève Malouines, journaliste à France Info et auteure de La force du gentil (JC Lattès). Pour l'anecdote, rappelons qu'en 2002, Jacques Chirac avait déclenché l'artillerie lourde pour faire perdre à Hollande son siège de Corrèze. Mais le premier secrétaire du Parti socialiste avait tenu bon. Son secret? Un travail de terrain de tous les instants et un front de boeuf. Bref, la bonne vieille méthode Chirac...
Hollande n'a jamais été ministre, mais il connaît chaque circonscription électorale par coeur. Pendant 11 ans à la tête du PS, il a parcouru la France comme aucun des éléphants socialistes ne l'a fait. Et il a dirigé plus de campagnes électorales que la plupart de ses adversaires. À l'élection européenne de 1999, il avait d'ailleurs affronté Nicolas Sarkozy. Tous deux étaient alors tête de liste. Hollande n'avait fait qu'une bouchée du maire de Neuilly et remporté le scrutin par 22 % contre 13 %. À sa décharge, il faut dire que Sarkozy avait été parachuté à la dernière minute.
Partisan des campagnes de terrain comme celle qu'avait brillamment menée Chirac en 2002 alors qu'Édouard Balladur était grand favori, Hollande s'est toujours méfié des faiseurs d'image. En 2002, il fut d'ailleurs le seul à mettre en garde Lionel Jospin contre le danger de dispersion des voix. Jospin avait alors préféré confier sa campagne aux publicitaires, comme Jacques Séguéla aujourd'hui derrière Sarkozy. Évoquant la défaite de Ségolène Royal en 2007, il a confié au Monde: «Je préfère gagner une élection avec un peu moins d'enthousiasme que de la perdre avec beaucoup plus de ferveur.»
Marie-Ève Malouines a eu la chance de rencontrer Hollande une semaine avant les événements du Sofitel de New York qui firent exploser en plein vol le favori de la primaire socialiste, Dominique Strauss-Kahn. «Hollande y croyait vraiment, dit-elle. Nous étions très impressionnés par sa détermination. Il était convaincu qu'il l'emporterait contre le directeur du FMI, que l'on disait pourtant imbattable.»
Pour une justice fiscale
Dès ce moment, le candidat a peaufiné son image de «président normal». Contre le jet-setter qui fréquentait les puissants de la terre, il était l'élu de Corrèze qui ferraillait dans la petite ville de Tulle depuis 30 ans. À Paris, Hollande a toujours dédaigné les limousines pour se déplacer en Vespa. C'est d'ailleurs ainsi que, le 21 juin dernier, il était venu assister pendant près d'une heure au spectacle que donnaient des artistes québécois sur la place de la Bastille.
Une fois la primaire remportée, Hollande n'a pas eu grand-chose à modifier à son positionnement. Face à un hyper-président qui aura été le plus impopulaire de la Cinquième République, il n'a cessé de conforter cette image. Celle du président normal «dont rêve aujourd'hui une grande partie des Français», reconnaît le politologue Pascal Perrineau.
Hollande est non seulement convaincu qu'il va gagner en étant un candidat normal, dit Marie-Ève Malouines, mais «il a vu très tôt que l'un des enjeux de la campagne serait la justice fiscale. Or, l'impôt est son obsession depuis toujours».
Il n'a peut-être pas été ministre de l'Économie ou du Budget, mais, diplômé des HEC et de l'ENA, il a rédigé d'innombrables rapports et donné des cours à Sciences Po sur la fiscalité. Contrairement à la droite et même à Lionel Jospin, il a toujours été convaincu que les suppressions d'impôt étaient une folie. Selon lui, 30 des 116 milliards du déficit de la France sont imputables aux baisses d'impôt accordées depuis dix ans. Même à l'époque où Laurent Fabius était premier ministre, Hollande était contre ces réductions qui bénéficient aux ménages les plus favorisés.
En 2006, rapporte son biographe Serge Raffy (François Hollande. Itinéraire secret, Fayard), tout le monde avait reproché à Hollande d'avoir déclaré publiquement: «Je n'aime pas les riches.» Après une crise où la finance est devenue folle et un quinquennat où le président n'a pas hésité à s'afficher avec les plus fortunés, cette déclaration semble tout à coup d'actualité.
Donner du temps au temps
Mais, s'il est élu, François Hollande saura-t-il imposer la rigueur nécessaire à laquelle la France peut difficilement échapper? La question reste sans réponse. «La France est un pays en délicatesse avec la mondialisation», rappelle Pascal Perrineau. Si ses promesses restent modestes, s'il invoque la nécessité de faire «d'abord le redressement» et de ne redistribuer qu'«à la condition que nous ayons créé les richesses nécessaires», le candidat demeure vague sur les mesures précises qu'il prendra.
Et pourtant, la rigueur, il l'a déjà rencontrée! N'était-il pas directeur du cabinet de Max Gallo lorsque celui-ci eut la responsabilité d'expliquer aux Français la politique de rigueur à laquelle François Mitterrand avait dû se résoudre deux ans seulement après avoir pris le pouvoir? Chose certaine, Hollande peut faire preuve d'une habileté redoutable avec les mots, comme le prouve le glissement sémantique qu'il a subtilement opéré pour désigner Nicolas Sarkozy. D'abord qualifié de «président sortant», il est rapidement devenu le «candidat sortant».
Pour Marie-Ève Malouine, la grande qualité de Hollande, «c'est la gestion du temps. Il est convaincu qu'une idée s'impose quand les conditions deviennent propices. Il a appris ça de François Mitterrand». Face à un Nicolas Sarkozy qui n'hésite pas à faire feu de tout bois et a dû précipiter son entrée en campagne, le candidat socialiste a su ne pas trop s'exposer. «Au second tour, il ne bougera pas, dit Marie-Ève Malouines. Il sera constant. Il est convaincu que, quand on change de ligne, on perd.»
Si François Hollande est élu le 6 mai au soir, il fera face à une situation tout à fait inédite. La gauche sera majoritaire à l'Assemblée nationale, au Sénat, dans les régions et les municipalités. Une première dans l'histoire de la Cinquième République. Même Mitterrand n'aurait pas rêvé de ça.
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Correspondant du Devoir à Paris


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