L'éditorial
de CLAUDE IMBERT
Le Point - Publié le 10/05/2012
L'inconnu dans la maison France ! Au gouvernail de la Nation, une énigme. Hollande atterrit à l'Élysée porté par la magie du changement et sa fatalité dans les démocraties des temps de crise. Porté surtout par le rejet acharné et quasi maniaque de Sarkozy. Hollande n'eut qu'à planer sur son vent dominant.
La gauche reçoit donc en pleine tempête le cadeau empoisonné de l'alternance. Mais de quelle gauche s'agit-il ? Et pour quelle France ? Dans la liesse et les vivats, le peuple de gauche ne fait pas encore le tri d'une brassée de chimères. Son héros a fleuri, c'est bien le moins, le totem séculaire de l'égalité, insulté l'argent, la finance, expédié quelques fusées fiscales sur les riches. Mais c'est avec la crise, avec l'euro, avec l'Europe, les marchés, le cours du monde que le nouveau président a rendez-vous. Et c'est en vérité la crise, hydre à mille têtes, qui dira quelle gauche installe à l'Elysée ce voyageur sans bagages.
Blague de l'énigme insoluble : la France vogue sur une mer en colère, le grand mât est cassé, la jauge du déficit pèse 1 700 milliards, il y a 65 millions de passagers à bord, on est en mai, par vent d'est, question : où va le navire ? Et quel est l'âge du capitaine ?...
Son âge, 57 ans ! Mais qui sait où va le navire ? Hollande, peut-être. Mais rien n'est moins sûr. Car ni lui ni la France ne disposent des meilleurs atouts.
En attendant, le grand roman de la politique se délecte de sa fabuleuse élévation. Celle d'un improbable coucou du sérail socialiste hissé, en quelques mois, à la monarchie républicaine.
Contre l'"enfant barbare" de Neuilly, Hollande, normal, s'affiche vêtu de la normalité française. Silhouette de réussite bourgeoise, adolescence de gauche chez un papa de droite, ascension d'un fort en thème jusqu'à la couveuse énarchique.
Le jeune Parisien - qui aime le foot, l'éclair au chocolat et les petites blagues - épouse une normalité politique à la française en s'immergeant dans le ventre provincial de l'Hexagone, matrice de toutes nos présidences : Cantal de Pompidou, Auvergne de Giscard, Nièvre de Mitterrand, Corrèze de Chirac. Et donc à nouveau la Corrèze ! Le jeune élu y apprendra le carriérisme électoral d'une France antique et romaine, à la ruralité agonisante, où s'entretiennent, de Queuille à Chirac, la nostalgie du clocher et les vertus de l'inaction. Pendant ce temps, à Paris, dans la pétaudière socialiste, l'apparatchik, protégé d'humour et d'esquives, progresse en chattemite, devient le prince consort d'une Ségolène présidentiable...
C'est alors que, tout à trac, Hollande change de femme, de lunettes et de régime. Devant les éléphants du parti goguenards, le Petit Chose du PS, devenu le Florentin des comités Théodule, s'avance droit et seul dans l'arène de la primaire. Il brave un DSK alors en pleine gloire médiatique.
Voici l'heure du destin et son coup de pouce ! Le romancier retient, en nez de Cléopâtre, les fesses providentielles de Mme Diallo. Mais le vrai ressort, c'est l'explosion en pleine lumière d'une ambition longtemps macérée. Hollande et son pédalo quittent le cabotage pour le grand large.
Le politicien se fait homme d'État quand il oublie ce qu'il fut pour épouser la Nation. Si l'on s'en tient au programme socialiste de Hollande, on peut craindre le pire. Il respire la vaine illusion d'une croissance venue d'ailleurs pour éviter les coupes claires dans la dépense publique. De ce programme déjà éventé qui bientôt se souciera ? Dans son bref état de grâce, Hollande quittant une France en déclin rencontrera, avec Obama, Merkel et consorts, un Occident peu à peu dépouillé d'un monopole séculaire d'influence. Avec, en son sein, une Europe vieillie, surendettée, désarticulée.
Hollande sait qu'il n'aura pas, comme Mitterrand en 1981, deux ans pour expier les erreurs d'un début euphorique. Le pouvoir présidentiel fait de lui un capitaine solitaire aux mains libres. Il trouvera, cramponnés à ses basques, des socialistes à l'ancienne comme seule la France en produit. Mais, Dieu merci, il bénéficiera d'une garde rapprochée, aguerrie et "moderne", des Valls, Pascal Lamy ou Jouyet... Nombre d'entre eux ont dans les gènes le réformisme deloriste ou rocardien.
Européen convaincu, Hollande n'arrive pas aux affaires sans biscuits. Ses alliés naturels seront, en Europe du Nord, les social-démocraties déjà converties à la grande réformation. Son adversité, en France, sera, comme chez ses voisins du Sud, le nationalisme protectionniste et xénophobe qui fait entendre partout sa rumeur.
La grande affaire, plutôt pathétique, de Hollande, c'est d'être digne de son destin. Loin de la Corrèze et des sérails parisiens, ce destin l'expédie en apesanteur dans un espace anormal, énigmatique. Celui de l'Histoire.
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