La chute

Inauguré dans l’indécence au Fouquet’s et sur le yacht d’un milliardaire, le mandat de Nicolas Sarkozy s’achève dans le déshonneur.

Élection présidentielle française



Ça va mal finir. Cette affirmation n’est pas celle d’un militant socialiste. Elle n’a pas non plus été prononcée par le gauchiste Jean-Luc Mélenchon. C’est le titre d’un livre de François Léotard, un ancien ministre, admirateur du général de Gaulle et de Raymond Barre, qui fut le collègue et compagnon de Nicolas Sarkozy dans le gouvernement d’Édouard Balladur.
Ce livre prémonitoire a beau avoir été publié neuf mois après l’élection de Nicolas Sarkozy, tout y est. De la « pipolisation » de la politique aux réformes aussi vite décrétées qu’annulées. Du mépris de la laïcité (« l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur ») à celui des Africains (« L’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire »). Des promesses intenables (5 % de chômage dans cinq ans !) au refus de la « rigueur » prêchée par François Fillon. De l’admiration béate des États-Unis (le t-shirt « NYPD » dans Central Park) au rendez-vous galant à Disneyland. Du mépris de la séparation des pouvoirs à la vente d’un réacteur nucléaire à la Libye. Des « coups médiatiques » permanents à l’échec de l’Union pour la Méditerranée. Et l’on pourrait en aligner des pages.
Mais le plus surprenant, c’est que le titre du livre annonçait déjà ce qui est en train de se produire sous nos yeux, à dix jours du second tour de cette élection présidentielle.
Inauguré dans l’indécence au Fouquet’s et sur le yacht d’un milliardaire, le mandat de Nicolas Sarkozy s’achève dans le déshonneur. Il n’est pas question de reprocher à quiconque de courtiser les 17,9 % d’électeurs qui ont voté pour le Front national au premier tour. Au contraire, la gauche et la droite ont trop longtemps démonisé ces électeurs, qui sont les vrais perdants de la mondialisation et de l’effritement de la nation. Cette nation qui demeure leur seul et unique bouclier.
Mais de là à dire que « Le Pen est compatible avec la République », comme le président l’a déclaré cette semaine, il y a une marge. Depuis quand un parti qui propose la « préférence nationale », c’est-à-dire la discrimination systémique dans l’emploi et les prestations sociales contre les étrangers légalement admis en France, peut-il être considéré comme républicain ? Voilà pourquoi le centriste François Bayrou parlait cette semaine de « reniement du gaullisme ».
Non, Nicolas Sarkozy n’a jamais « changé » malgré ses mea-culpa à répétition. La semaine dernière, il était le seul candidat à ne pas s’inquiéter du fait que certains médias s’apprêtaient à enfreindre la loi sur l’heure de publication des résultats du premier tour. Certes, la loi est peut-être obsolète. Mais un président qui hausse les épaules quand on enfreint la loi, où a-t-on déjà vu ça ?
Au nom d’une droite « moderne » et « décomplexée », Nicolas Sarkozy aura été à sa manière une sorte de Berlusconi hexagonal. Comme lui, il aura heurté profondément le sens commun et la dignité des citoyens qui se font, heureusement, une autre idée de la politique.
Les Québécois en savent quelque chose. N’ont-ils pas goûté eux aussi au « parler vrai » du président ? Reniant la politique traditionnelle et équilibrée de la France - celle si bien nommée de la « non-ingérence » et de la « non-indifférence » -, Nicolas Sarkozy n’a pas hésité à s’ingérer dans les affaires québécoises. Il est allé jusqu’à accuser les souverainistes de pratiquer la « détestation » de l’autre. « Reniement du gaullisme », disait François Bayrou…
Mais consolons-nous, nous n’avons pas été les seuls à goûter à cette politique « nouvelle manière ». Avec nous, il y a eu les Allemands, les Britanniques, les Africains, les Mexicains, les Grecs, les Tunisiens et quelques autres. Et dire qu’en 2007, il y avait chez nous des éditorialistes pour écrire : « On rêve qu’au Québec se lèvent un ou deux Sarkozy » !
Cette « nouvelle manière » de faire de la politique, certains l’ont baptisée le « syndrome du poisson rouge ». Ces adorables petites bêtes n’auraient en effet qu’une mémoire de trois secondes. C’est pourquoi elles s’agitent tant. Hier encore, Nicolas Sarkozy prenait l’électeur pour l’une d’elles. Un policier, soupçonné d’avoir abattu un suspect sans raison apparente, est mis en examen ? Le voilà qui dégaine une proposition de loi (tirée du programme du FN) instaurant une « présomption de légitime défense pour les forces de l’ordre ». Comme si la présomption d’innocence n’existait pas déjà. Le même jour, il affirmait que l’islamiste Tariq Ramadan et 700 mosquées avaient appelé à voter pour François Hollande. Un mensonge aussi gros que le désespoir qui semble s’être emparé du président à l’aube d’un second tour qui s’annonce en forme de Bérézina.
Certes, la dette publique est un enjeu de cette élection, comme ne cesse de le répéter une presse anglo-saxonne (et québécoise), qui avait pourtant soutenu Nicolas Sarkozy en 2007. Mais la vraie priorité de ce scrutin consiste à redonner toute sa dignité à la parole publique. Telle est la lourde responsabilité du favori François Hollande. Car Nicolas Sarkozy laisse un héritage pitoyable. Il n’a pas seulement abîmé les finances, l’État et la nation, il a abîmé la politique elle-même.


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