Changement de style

Élection présidentielle française



«Le style est l’homme même », disait dans son discours de réception à l’Académie française le grand écrivain et naturaliste du XVIIIe siècle Buffon. Les quelques jours qui viennent de s’écouler auront permis de vérifier la justesse de cette maxime. Entre le président sortant, Nicolas Sarkozy, et le président élu, François Hollande, on connaissait évidemment les différences de programme et de point de vue. Mais c’est d’abord la différence de style qui frappe depuis quelques jours.
Mercredi, au quartier général du nouvel élu, les petits détails ne cessaient d’étonner les visiteurs. François Hollande descendait les escaliers du second étage pour raccompagner lui-même le président de l’Union européenne Herman Van Rompuy. Le ton était affable et sans cérémonie. Sur les marches, il décochait des regards amicaux, souriait, faisait un signe de la main à une connaissance. Chaque fois qu’il entre ou qu’il sort de ses bureaux, il dit quelques mots aux curieux amassés devant la porte.
Les journalistes n’en reviennent pas : son bras droit Pierre Moscovici donne une conférence de presse quotidienne. Il n’hésite pas à s’attarder après la rencontre pour répondre aux questions de chacun. Mercredi soir, François Hollande a terminé sa journée en visitant l’exposition du sculpteur Daniel Burren au Grand Palais. Le soir de l’élection, à Tulle, les journalistes ont été frappés par la façon qu’avait le nouveau président de déambuler dans la foule en s’entretenant avec ses électeurs. Et puis ce soir-là il n’y a pas eu un seul incident. La nuit fut exceptionnellement calme, disent les policiers.
On a oublié que l’élection de Nicolas Sarkozy avait été marquée par trois nuits d’émeutes sur la place de la Bastille. À deux pas de là, devant un commissariat, je me souviens d’avoir parlé à une mère qui attendait depuis des heures qu’on veuille bien lui donner des nouvelles de son fils. Pendant ce temps, le nouvel élu fêtait au Fouquet’s avec ses amis milliardaires (dont Paul Desmarais). Il s’apprêtait à partir en croisière sur le Paloma, le yacht de l’homme d’affaires Vincent Bolloré. Je ne me rappelle pas avoir vu Nicolas Sarkozy inaugurer un musée ou une exposition. Il a dû le faire évidemment, mais il importait surtout qu’on le photographie à Disneyland. Pas dans les musées !
La presse française rapporte que, de toute la campagne, Nicolas Sarkozy n’a pas dormi une seule fois sur place après une assemblée en province. Plusieurs réunions ont même commencé à l’avance afin de permettre au président de rentrer plus tôt à Paris. Comme s’il avait hâte d’en finir. Évidemment, jamais Nicolas Sarkozy n’a pu se permettre de déambuler dans les rues à l’improviste de peur de provoquer des réactions de colère. La seule fois qu’il l’a fait, à Bayonne, il avait dû se réfugier dans un café pour éviter les huées et les insultes.
Heureusement, Nicolas Sarkozy n’a pas raté sa sortie. Mardi, il avait invité le nouvel élu à célébrer avec lui sur les Champs-Élysées l’anniversaire de la victoire de 1945. Après une campagne acrimonieuse - évoquant pratiquement les chars soviétiques aux portes de Paris -, les Français n’en attendaient pas moins. Nicolas Sarkozy, qui n’a jamais manqué de lucidité, a ainsi trouvé le moyen de se faire pardonner, une fois de plus.
Après l’« enfant barbare », selon l’expression de François Bayrou, voici donc le Corrézien « normal ». Dans les semaines qui viennent, le pays le plus pessimiste d’Europe sera en cure de désintoxication. Sevrage médiatique après un quinquennat où le mitraillage des médias avait remplacé l’action politique. Fini le président qui fait tout et réagit en direct quand un enfant se fait mordre par un chien.
On verra bientôt si le style du nouveau président rejoint aussi le fond. Au lieu de la rupture, Hollande semble vouloir miser sur ses talents de rassembleur. L’objectif serait de conclure avec les syndicats une sorte de New Deal afin de faire accepter la rigueur nécessaire et de relancer enfin la machine productive. Au tournant des années 2000, la méthode avait réussi au chancelier allemand Gerhardt Schröder et aux pays sociaux-démocrates du nord de l’Europe. À cette époque, les socialistes français flottaient sur un nuage et s’amusaient plutôt à réduire la journée de travail. On dit que c’est en 2002, lorsque le socialiste Lionel Jospin explosa en plein vol avant le deuxième tour de la présidentielle, que François Hollande prit conscience que la gauche avait gravement négligé la valorisation du travail et abandonné les couches populaires.
Le nouveau président n’est pas encore entré en fonction qu’il a déjà mis la croissance au coeur de l’action de l’Union européenne. C’est déjà une réussite, même si tous ne s’entendent pas sur le sens de cette croissance. Mais l’état de grâce ne sera bientôt qu’un souvenir. À moins qu’il profite de l’état d’urgence et qu’en bon social-démocrate, il utilise ses talents de rassembleur pour mettre en ordre les finances publiques et injecter un peu d’huile dans les rouages économiques.
S’il y parvient, le style Hollande passera à l’histoire. Sinon, on l’aura vite oublié.


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