Sur le site de l'émission radiophonique française Là-Bas si j'y suis, on trouve une petite vidéo fort instructive. Il s'agit d'une entrevue avec Nicolas Doizy, l'économiste en chef de Chevreux, une succursale du Crédit Agricole Corporate and Investment Bank (scusez le franglais).
Cynique à souhait, aussi baveux qu'un vulgaire Patapouf, ce Doizy est l'auteur d'une note qui commence à faire du bruit. Il y affirme que les marchés financiers ne craignent du tout pas l'élection du socialiste François Hollande à la présidence de la République française. À elle seule, l'appartenance de la France à la zone euro empêchera Hollande de s'écarter du sacro-saint modèle néolibéral. Doizy suggère même à ses amis des marchés financiers d'accorder à Hollande une concession de façade sur un aspect mineur de son programme pour l'obliger, en retour, à procéder lui-même à une réforme en profondeur du monde du travail. Cette réforme, les marchés financiers l'appellent la flexibilité. En gros, la flexibilité, ça veut dire ceci : aux entreprises le droit absolu d'embaucher qui elles désirent, au salaire qui leur plaît, pour une durée qui leur agrée et aux conditions qui leur conviennent ; aux citoyens, un seul droit, celui d'accepter et de se la fermer, à défaut de quoi ce sera le chômage permanent. Le tout, bien sûr, sur fond de services publics réduits ou, mieux encore, privatisés.
Bref, la nation transformée en bétail au service des tout-puissants marchés financiers ! Comprend-on qu'il s'agit ni plus ni moins d'un retour au XIXe siècle tel que dépeint à l'époque par Hugo, Zola, Dickens et bien d'autres ? Et peut-on blâmer nos étudiants de se révolter contre pareille régression ?
Les marchés financiers, on le voit, se foutent bien de la dignité des travailleurs, qui sont aussi des citoyens. Or, qui est assez naïf pour croire qu'ils ne se fouteront pas tout autant des nations, de leurs langues et de leurs cultures ? C'est déjà commencé, du reste.
Le capitalisme n'est ni réformable, ni «moralisable». Il a sa logique, qui est celle de la maximisation des profits, rien d'autre. Au mieux, sans être aboli, il peut être contrebalancé par une force adverse qui lui impose des limites, des limites que jamais il ne s'est données et que jamais il ne se donnera lui-même. Aussi cette force adverse ne peut-elle reposer que sur une volonté politique validée démocratiquement par le peuple.
On a quand même déjà vu ça, au moins jusqu'à un certain point. En France, ça s'est appelé le Programme du Conseil national de la Résistance, aux États-Unis le New Deal, au Québec la Révolution tranquille. Mais pour que ça existe, il faut cesser de voir dans l'économique et le marché des fins commandant tout. Non, l'économique et le marché ne sont que des moyens au service du politique et de la nation. C'est la démocratie même. Quand un chef d'État ou de gouvernement comparaît devant une agence de notation et lui obéit, quand il est aux ordres des marchés financiers, c'est là qu'agonise la démocratie et que meurt la liberté.
Luc Potvin
Verdun
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3 commentaires
Archives de Vigile Répondre
27 avril 2012@ M. Perron,
Je n'ai aucune envie, bien au contraire, de me porter à la défense du communisme. Tel qu'il fut pratiqué en URSS et en Chine, entre autres, ce système était condamnable. On a eu raison d'en applaudir la chute voilà plus de vingt ans déjà. Même s'il faut bien reconnaître que la peur qu'il suscitait fut l'une de ces «forces adverses», mais pas la seule, loin de là, qui permirent aux démocraties occidentales d'imposer au capitalisme les limites sans lesquelles il dévore tout. Des limites dont il ne reste plus grand-chose aujourd'hui et dont les néolibéraux s'acharnent à détruire les derniers vestiges.
Par ailleurs, je le répète, ça fait plus de vingt ans que l'URSS a éclaté. Loin d'avoir été fidèle dans la réalité aux idéaux de ses théoriciens, le communisme n'aura finalement été, à l'échelle de l'histoire, qu'une assez courte parenthèse. À ses limites temporelles, il faut aussi ajouter ses limites spatiales : à quelques exceptions près, il n'aura eu cours que dans la partie orientale de l'Europe et en Asie.
Où est-ce que je veux en venir avec ces observations ? À ceci. Alors qu'au Québec, on en a plein les bras depuis 1760 avec les colonialistes héritiers de Wolfe et les capitalistes, souvent anglais ou étatsuniens, qui siphonnent nos richesses et nous réduisent au rang de «cheap labour», je trouve toujours ahurissant, pour dire le moins, qu'on nous brandisse encore l'épouvantail à moineaux du communisme.
Le communisme a-t-il déjà été autre chose, au Québec comme dans toute l'Amérique du Nord, qu'un pur exotisme ? Et les communistes, je veux dire les vrais et non les agents de la GRC déguisés, et les communistes, dis-je, ont-ils déjà été, chez nous, autre chose que de parfaits Martiens ?
J'ai beaucoup d'intérêt pour l'astronomie, mais, quand il s'agit de notre histoire à nous et de notre vie politique, alors là, la planète Mars, je m'en sacre comme de l'an 40 ! Et chaque fois qu'on l'évoque à la manière de Duplessis autrefois, les bras me tombent et je me dis que nous sommes loin d'être sortis du bois.
Luc Potvin
Verdun
Martin Lavoie Répondre
27 avril 2012Ça me rappelle drôlement la crainte ressentie par Lucien Bouchard devant Wall Street. Tant qu'à brasser des souvenirs pour qui est au courant, je me rappelle aussi la réaction de l'Islande, que j'embrasse de beaucoup.
Martin Perron Répondre
27 avril 2012Bien d'accord avec vos propos mais il faut dire que l'aigle dominateur possède deux ailes, le capitalisme monopolistique et le communisme. La tête est la même, elle est criminelle et meurtrière. Elle retient la liberté dans ses serres. Les nations, les peuples, sont broyés et égorgés sur son autel internationaliste ou mondialiste.