Présidentielle française (2)

Le nouveau Front national

Déterminée à faire oublier la débâcle de 2007, Marine Le Pen hésite entre une posture de protestation et une stratégie capable d'influencer le jeu politique

Élection présidentielle française





Voici le deuxième d'une série de trois articles sur les enjeux de l'élection présidentielle française, dont le premier tour aura lieu dimanche prochain.
Paris — Interrogée la semaine dernière à la télévision, Marine Le Pen a longuement parlé de l'avortement. Après avoir précisé qu'elle en reconnaissait le droit, la candidate du Front national a dénoncé les avortements dits «de confort» et celles qui, dit-elle, utilisent l'IVG comme un moyen contraceptif.
On n'avait pas l'habitude d'entendre un candidat du FN sur de tels sujets sociaux. Jamais son père, Jean-Marie Le Pen, ne s'y serait aventuré. Avec sa gouaille habituelle, le leader historique du FN préférait se cantonner aux thèmes qui ont fait la fortune du parti: la critique de l'immigration et le rejet en bloc des élites, sans oublier de décocher au passage quelques petites phrases aux relents antisémites. Ces déclarations faisaient un tabac dans les médias, mais ont toujours eu le défaut de cantonner son parti dans le rôle d'une simple force de protestation à laquelle aucun parti respectable ne pouvait honnêtement s'associer.
En 2012, Marine Le Pen a d'autres espoirs pour son parti, explique le politologue Pascal Delwit, de l'Université libre de Bruxelles. «C'est pourquoi elle a lancé sa campagne sur des thèmes économiques et sociaux, comme le retour au franc et le protectionnisme. Marine Le Pen a entrepris de dédiaboliser son parti. Elle veut un jour influencer le jeu politique et pouvoir nouer des alliances.»
En 2012, l'héritière s'était bien promis de laver l'affront de la débâcle de 2007. Le FN avait alors obtenu le plus mauvais résultat de son histoire, exception faite de la toute première élection présidentielle à laquelle a concouru Jean-Marie Le Pen, celle de 1974. L'ancien ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy avait fait une véritable razzia parmi les électeurs du FN. Plusieurs analystes avaient même félicité le nouveau président pour avoir terrassé le FN, comme François Mitterrand l'avait fait avec le Parti communiste en 1981.
C'était sans compter avec Marine Le Pen. «En 2007, le FN était à la fin d'un cycle, dit Pascal Delwit. L'arrivée de Marine Le Pen, en mars 2011, a fait connaître au parti une progression remarquable. En décembre dernier, on craignait même la reproduction d'un 21 avril à l'envers, où elle dépasserait Nicolas Sarkozy.»
Le parti des ouvriers
Il y a longtemps que Marine Le Pen rêvait de dédiaboliser le parti de papa. Selon Sylvain Crépon, auteur du livre Enquête au coeur du nouveau Front national (Nouveau Monde éditions), c'est en 2002 qu'elle prit conscience des limites du leadership de son père. Alors que celui-ci accédait miraculeusement au second tour, sa fille comprit que jamais le FN ne pourrait faire plus si aucun parti n'acceptait de faire alliance avec lui. «Elle a vu très tôt les limites de la stratégie de rupture de son père, dit Sylvain Crépon. À l'époque, 60 % des électeurs de Jean-Marie Le Pen ne voulaient pas qu'il devienne président. Ils votaient Le Pen pour protester, mais considéraient que s'il était élu, il représenterait un danger pour la démocratie.»
Aujourd'hui, les électeurs du FN imaginent très bien leur candidate sur un siège de présidente ou, du moins, de ministre. Son arrivée a accéléré la transformation de ce parti autrefois identifié aux petits boutiquiers en un parti fortement implanté dans les milieux populaires. «Le vote FN devient un vote pour, plus qu'un vote contre», confirmait récemment une étude de la Fondation Jean Jaurès qui révélait aussi la pénétration du parti dans les classes populaires. Aujourd'hui, le FN est le parti qui recrute le plus chez les ouvriers, les chômeurs et même chez les jeunes. «C'est le parti des perdants de la mondialisation», dit Pascal Delwit.
Selon un sondage CSA, 26 % des 18-24 ans s'apprêteraient à voter pour Marine Le Pen contre 25 % pour François Hollande, 17 % pour Nicolas Sarkozy et 16 % pour Jean-Luc Mélenchon. «Marine Le Pen est en phase avec cette génération qui ne trouve pas d'emploi et qui est très pessimiste face à l'avenir, dit Crépon. En même temps, elle offre l'image moderne d'une femme divorcée qui vit avec son conjoint sans être mariée. Elle est favorable à l'avortement et défend même les homosexuels contre les islamistes.»
Une arme à deux tranchants
L'islam, tel est le nouvel ennemi du Front national. Selon Sylvain Crépon, Marine Le Pen a mis le FN dans les pas du PVV de Geert Wilder, aux Pays-Bas, et de l'UDC en Suisse, le parti anti-minarets. «À une époque où tout le monde rejette le racisme, le discours contre l'islam est beaucoup plus audible, dit-il. Il permet de justifier la préférence nationale, qui est toujours dans le programme du FN, tout en se revendiquant de l'égalité et de la laïcité.»
Reste que la «normalisation» amorcée par Marine Le Pen est une arme à deux tranchants. Ce que l'extrême droite gagne en crédibilité, elle risque de le perdre en tant que symbole de protestation. Le 12 février, à Strasbourg, la candidate du FN a d'ailleurs dû faire marche arrière. Après avoir lancé sa campagne sur les thèmes du retour au franc, du protectionnisme et de la laïcité, Marine Le Pen a subitement dû revenir aux fondamentaux de la sécurité et de l'immigration.
«Face à un président qui faisait campagne sur ces mêmes thèmes, le FN était en train de perdre sa singularité, dit Crépon. Marine Le Pen venait de toucher du doigt les limites de la normalisation.» Le sociologue compare le danger qui menace le FN à ce qui est arrivé à l'Autrichien Jörg Haider dont le parti, le FPO, s'est effondré après une alliance avec les conservateurs.
En réponse à l'offensive de Sarkozy, Marine Le Pen est donc revenue aux thèmes de prédilection de son père. Celui qui est toujours président d'honneur du FN a critiqué la campagne de sa fille et son nouveau programme économique, qui promet la «sortie concertée de l'euro» et le retour au protectionnisme. Un programme en rupture totale avec le vieux fond libéral du père qui recrutait beaucoup chez les petits commerçants.
Après avoir été menacé par le candidat du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen semble avoir repris la troisième place dans les sondages. Sylvain Crépon est convaincu que le vote du FN est toujours sous-estimé. L'avenir de ce parti encore assis entre deux chaises pourrait dépendre de ce qu'il adviendra à droite après cette élection, surtout si Nicolas Sarkozy n'est pas réélu. Si une alliance nationale est toujours impensable, certains candidats de droite pourraient accepter de s'allier avec lui au niveau local. En attendant, tant qu'il martèlera le thème de la lutte contre la mondialisation, le parti semble avoir encore de beaux jours devant lui.
***
Correspondant du Devoir à Paris


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->