Présidentielle française (1)

Les déçus du sarkozisme

Après cinq ans de réformes et de virevoltes, l'«hyper-président» Sarkozy peut-il être réélu?

Élection présidentielle française




Le président «normal» contre «l'hyper-président». Le 6 mai prochain, la France reconduira-t-elle le sortant, Nicolas Sarkozy, ou élira-t-elle son premier président de gauche depuis François Mitterrand, le favori des sondages François Hollande? Dimanche prochain se tiendra le premier tour de cette élection déterminante. Voici le premier de trois articles sur les enjeux du scrutin.
Paris — «Vous savez, moi, j'ai commencé avec Chirac. Ah, c'était autre chose. Une autre époque. Sarkozy, c'est un autre genre. Il a des bons côtés... et des mauvais. C'est efficace. Enfin, on s'y fait...» Il y a quelques jours, c'est sur cet air de dépit que ce militant de base du parti du président résumait l'ambiance qui régnait à l'UMP à une semaine du premier tour. Après une petite poussée en mars, la réalité a vite rattrapé les militants. Les sondages ont rarement été aussi mauvais pour un président sortant. Nicolas Sarkozy peine à rattraper François Hollande au premier tour et il est toujours loin derrière lui au second.
Mais le malaise est plus profond. Comme pour la plupart des anciens chiraquiens, Nicolas Sarkozy n'a jamais été la tasse de thé de ce militant de 1,90 m dans la cinquantaine qui s'occupe de la sécurité des assemblées de l'UMP. En 2007, alors que le candidat garantissait la victoire à un parti déjà usé par deux mandats, cela pouvait encore aller. En 2012, c'est une autre histoire.
Ils ne sont pas rares ces militants de l'UMP qui, embarrassés par la campagne droitière du candidat, laissent s'exprimer leur exaspération devant un candidat «décomplexé», qui n'a jamais véritablement revêtu les habits de président. Et il n'y a pas que les anciens chiraquiens qui admettent que cette élection, «il faut aller la chercher avec les dents». Nombreux sont les électeurs de Nicolas Sarkozy qui préféreront s'abstenir ou qui ont regagné le Front national après s'être laissé séduire par le discours du candidat en 2007. Le président avait alors fait une véritable razzia dans cet électorat.
«Le coup de maître de Sarkozy en 2007, ce fut d'aller chercher les gens des milieux populaires périurbains et ruraux qui souffrent de la mondialisation et qui se sont réfugiés hors des banlieues et des grandes villes», explique le géographe Christophe Guilluy, auteur d'un des livres dont on a le plus parlé durant cette campagne (Fractures françaises, François Bourin Éditeur). Toutes les enquêtes montrent en effet que le président sortant recule fortement dans les milieux populaires qui avaient assuré sa victoire en 2007.
Une enquête réalisée par Christophe Guilluy avec Le Nouvel Observateur a montré que le président sortant avait dans ces milieux 64 % d'opinions négatives contre seulement 33 % d'opinions positives. Pire, 80 % jugent son bilan négatif en matière de croissance et d'emploi. C'est cette côte que le président a entrepris de remonter en entrant en campagne. C'est aussi ce qui explique son insistance sur la protection de l'industrie française. Un thème majeur dans cette élection.
Selon Christophe Guilluy, ce sont ces milieux populaires qui avaient cru à l'augmentation du pouvoir d'achat promise par le candidat en 2007. Ce sont eux qui avaient cru à la réduction de l'insécurité et de l'immigration, dont ils subissent les conséquences plus que les autres. Ce sont eux enfin qui avaient cru à la promesse d'un chômage réduit à 5 %. Critère sur lequel Nicolas Sarkozy avait d'ailleurs expressément demandé d'être jugé. «Si on s'engage sur 5 % de chômeurs et qu'à l'arrivée il y en a 10, c'est qu'il y a un problème», avait-il déclaré le 18 janvier 2007. Et le candidat de conclure que, s'il ne tenait pas parole, «c'est un échec et j'ai échoué. Et c'est aux Français d'en tirer les conséquences».
Les Français les plus déçus sont aussi ceux dont l'opinion est la plus fragile. «Au lieu de voter pour Sarkozy ou Marine Le Pen, ces gens pourraient aussi décider de s'abstenir comme ils le font dans les autres scrutins, dit Christophe Guilluy. En France, la présidentielle reste la dernière élection qui mobilise encore largement les classes populaires. Regardez aux États-Unis, elles ne vont même plus voter.»
Sur les terres du FN
Ce n'est donc pas sans raison que la stratégie explicite du conseiller du président, Patrick Buisson, consiste à reconquérir ces électeurs en chassant sur les terres du Front national. Souvent comparé au stratège de George W. Bush, Karl Rove, Patrick Buisson a orchestré une campagne «à droite toute» afin de faire le plein de voix et d'arriver en tête au premier tour. Ce premier pari semble d'ailleurs à deux doigts d'être tenu. Selon l'intéressé, il ne s'agit pas de droitisation, mais simplement de «prendre en compte la souffrance sociale des Français». Cet ancien conseiller de Jean-Marie Le Pen et de Philippe de Villiers est convaincu que, malgré les sondages désespérants du second tour, Nicolas Sarkozy conserve toutes ses chances. Selon lui, l'abstention est largement surestimée.
Mais comment redevenir le candidat du peuple avec un chômage à 10 %, des fermetures d'usines à la pelletée, la perte du triple A et après avoir projeté l'image du président du Fouquet's qui fréquentait surtout les riches? «Les ouvriers nous ont abandonnés, car ils ne nous pardonnent pas notre politique d'injustice sociale. Je l'avais prévenu», a déclaré l'ancien ministre de droite Pierre Méhaignerie. Au nombre des records accumulés par Nicolas Sarkozy, il faut rappeler que jamais un président de la Ve République n'avait conservé un taux de popularité si bas pendant son mandat. Pas même Valéry Giscard d'Estaing, seul président à avoir mordu la poussière après un seul mandat.
Un homme de contradictions
Il faut dire que jamais un président n'avait fait autant de virevoltes. La mesure phare adoptée en début de mandat, le «bouclier fiscal» exonérant les plus fortunés, a dû être supprimée en fin de mandat. Le ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale qui avait monopolisé les débats de la campagne de 2007 a fait long feu. Même chose pour le «plan Marshall» en faveur des banlieues. Les exhortations répétées du candidat et du président contre les stock options et les parachutes dorés sont restées lettre morte.
Étrangement, la principale réforme de ce quinquennat, celle des retraites — dont aucun pays n'aurait à rougir —, n'avait même pas été évoquée durant la campagne de 2007. «La retraite à 60 ans doit demeurer», avait même déclaré le candidat, le 22 janvier de cette même année. Nicolas Sarkozy n'a jamais été à une contradiction près. Comme en témoigne la somptueuse réception réservée à Kadhafi... trois ans à peine avant de lui déclarer la guerre et de retrouver son corps au fond d'un caniveau! On connaît aussi le virage à 180 degrés de la politique de la France en Tunisie et au Caire.
Résultat: on n'avait jamais vu un président multiplier à ce point les mea-culpa en pleine campagne. D'abord sur cette fameuse soirée du Fouquet's le soir de sa victoire suivie de quelques jours sur le yacht du milliardaire Vincent Bolloré. Tout cela était dû à la séparation imminente du nouveau président avec sa seconde épouse, Cécilia, affirme opportunément un livre écrit par une ancienne collaboratrice, Catherine Nay (L'impétueux, Grasset). Nicolas Sarkozy a aussi dû s'excuser de nouveau pour son célèbre «casse-toi, pauvre con» adressé à un quidam du Salon de l'agriculture. La semaine dernière, il a même admis à mots couverts regretter d'avoir stigmatisé directement les Roms dans son discours prononcé l'an dernier à Grenoble. Un an avant l'élection, n'est-ce pas ce discours qui devait lancer sa campagne de réélection en visant justement l'électorat du Front national?
La France blessée
Pour l'historien et universitaire socialiste Jean-Noël Jeanneney, ce n'est pas tant la réforme des retraites ou celle des universités qui ont choqué les Français. Nicolas Sarkozy a même connu quelques moments de gloire à la présidence de l'Union européenne ou dans la gestion de la crise. C'est la façon dont il a gravement abîmé l'image et le prestige de l'État pendant son mandat.
La liste des exemples alignés par Jean-Noël Jeanneney remplit tout un livre (L'État blessé, Flammarion). Cela va du mépris à l'égard de son premier ministre au «pitonnage» sur son téléphone portable devant le pape, en passant par son t-shirt NYPD dans Central Park, la délégation de sa propre épouse (Cécilia) en Libye, l'évaluation quantitative des ministres par une firme de consultants américains, la nomination directe du président de l'audiovisuel public, l'adoption de peines plancher en contradiction avec la Constitution, le tutoiement permanent des ministres et des personnalités étrangères, la dénonciation constante des juges et le mépris des chercheurs ou de La Princesse de Clèves, etc.
Dès 2008, l'ancien ministre de Balladur et collègue de Sarkozy François Léotard avait écrit un livre au titre prémonitoire: Ça va mal finir (Grasset). «C'est l'idée du monarque républicain héritée de De Gaulle qui a propulsé Sarkozy vers la victoire, dit le politologue Pascal Perrineau. Malheureusement, Nicolas Sarkozy n'a pas su la lire et commencer à gouverner autrement.» Personnage généralement réservé, le centriste François Bayrou a surnommé Sarkozy «l'enfant barbare». De nombreux militants ainsi que des élus de base de l'UMP ne sont pas loin de penser la même chose. Réunis la semaine dernière dans la salle de la Mutualité à Paris, plusieurs semblaient déconcertés. Le premier ministre, François Fillon, ne craint d'ailleurs pas d'affirmer que «l'idée que Sarkozy peut gagner n'est pas une idée absurde. Mais ça reste très difficile...» Chose certaine, Nicolas Sarkozy veut y croire coûte que coûte. Jusqu'à la dernière minute.
Peu susceptible de partisanerie, le chroniqueur du quotidien de droite Le Figaro Alain-Gérard Slama est peut-être celui qui a le mieux compris le quinquennat de Nicolas Sarkozy. «De la même façon qu'un capitaine de vaisseau en détresse brûle ses meubles et son plancher quand il n'a plus de combustible, écrivait-il, [Nicolas Sarkozy] ne craint pas d'engloutir, l'une après l'autre, toutes les poutres maîtresses de la République dans l'accomplissement de sa tâche».
Bref, dit-il, «ce maître de l'instant [...] ne l'est pas de la durée». Comment s'étonner que sa réélection soit si difficile?
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Correspondant du Devoir à Paris


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