The Artist contre la 3D

Élection présidentielle française



Imaginez, un film en noir et blanc! Personne n'y croyait évidemment. Et muet en plus! Cela tenait du suicide. Et pourtant, qui aurait cru que le petit bijou de Michel Hazanavicius décrocherait tous les honneurs en France comme à Hollywood, jusqu'à représenter le plus grand succès de l'histoire du cinéma français aux États-Unis?
En cette époque où l'image est reine, il en va peut-être de la politique comme du cinéma. Il y a tout juste un an, personne n'aurait parié un dollar sur le président du Conseil général de Corrèze. Voilà pourtant dix mois que, même si les écarts se resserrent au premier et au second tour, les sondages donnent François Hollande largement gagnant à l'élection présidentielle.
Comme The Artist aux Oscar, le socialiste n'apparaît-il pas comme le candidat en noir et blanc de cette élection atypique? À côté des effets spéciaux toujours hauts en couleur d'un Nicolas Sarkozy, du rouge pétant des drapeaux d'un Jean-Luc Mélanchon à la place de la Bastille et des envolées tonitruantes contre l'islam d'une Marine Le Pen, Hollande semble tout droit sorti d'un vieux classique du cinéma muet. Avec ses complets gris, l'antihéros n'a guère que ses mots d'esprit pour dérider les foules. Mots qui passent mal au petit écran, comme tout ce qui est un peu trop subtil.
Se pourrait-il pourtant qu'après avoir plébiscité The Artist, les électeurs français aient fait le choix d'un candidat en noir et blanc? Comme si les citoyens souhaitaient inconsciemment renvoyer à leurs planches à dessin les wizkids des effets spéciaux et des courses-poursuites des mégaproductions berlusconiennes qui saturent nos écrans politiques depuis tant d'années.
Notons que les dirigeants qui prennent la relève en cette période de crise tranchent avec leurs prédécesseurs. Au fantasque Berlusconi a succédé la rigueur d'un Mario Monti, un homme au style effacé. Au jeune et pétillant Zapatero, l'Espagne a aussi préféré un homme plutôt terne mais compétent, Mariano Rajoy.
On saura le 6 mai prochain si la France leur emboîtera le pas. En attendant, le «candidat sortant», ainsi que François Hollande aime qualifier son adversaire, multiplie les effets de manche. Après avoir conquis une légère avance au premier tour, il semble renouer avec le dynamisme de sa campagne de 2007. Et pourtant, le sourire retrouvé chez sa garde rapprochée parvient mal à dissimuler un malaise. Face à un adversaire imperturbable, le président peine à égrainer une nouvelle proposition chaque jour. Et ses promesses souvent mal ficelées, destinées à faire oublier un bilan mitigé, sont aussitôt oubliées. Les arrestations d'islamistes radicaux, sans aucun rapport avec les attentats de Toulouse, n'ont berné personne. Même les analystes les plus réservés soupçonnent l'esbroufe électorale. Hier encore, Sarkozy comparait le geste du tueur solitaire de Toulouse au... 11-Septembre.
Se pourrait-il que la droite ait un problème de casting? En dénonçant les élites et les corps intermédiaires, Nicolas Sarkozy tente en effet de jouer tous les rôles à la fois. Celui du jeune premier et du père de la fiancée. Celui du président et de l'opposition, de la continuité et de la rupture. À l'image de son époux, Carla Bruni se peint elle-même, dans le Nouvel Observateur, en «première dame de France» charitable et en... Lady Gaga. Faudrait choisir! Ce sont ces grands écarts à répétition qui faisaient dire au socialiste Arnaud Montebourg que, «à la tête de l'État, nous avons une sorte de gamin mal élevé qui use et abuse de la France comme d'un jouet qui ne lui appartient pas».
La campagne française entre dans sa dernière ligne droite. Un regard superficiel pourrait laisser croire qu'on n'y discute pas des «vraies affaires», ainsi que l'a récemment affirmé The Economist. Rappelons qu'en 2007, le magazine de la City avait soutenu Nicolas Sarkozy dans l'espoir qu'il réduise le déficit. C'est tout le contraire qui s'est produit puisque celui-ci atteint des records. Il serait faux de penser que les Français ne discutent pas de ces questions. Les deux principaux candidats ont annoncé qu'ils limiteraient le déficit budgétaire à 3 % dès l'an prochain et rétabliraient l'équilibre des comptes en 2017. Il ne fait de doute pour personne que les années qui viennent seront des années de vache maigre.
La différence entre Hollande et Sarkozy, c'est que ce dernier avait déjà promis en 2007 de rétablir l'équilibre et qu'il a fait le contraire malgré les mises en garde répétées de son premier ministre François Fillon. On estime en effet que plus de 30 % de l'augmentation de la dette française depuis cinq ans n'est pas dû à la crise, mais aux politiques suivies par la droite. Étrangement, les donneurs de leçons londoniens ont oublié de noter que la dernière fois où la France avait réduit ses déficits, c'était à l'époque du gouvernement socialiste de Lionel Jospin. La logique néolibérale ne s'en serait peut-être pas remise.
Non, l'élection française n'est pas dans le «déni». S'y joue aussi une certaine idée de la politique. La simplicité du noir et blanc contre le retour de Titanic en 3D. Comme les cinéphiles, l'électorat en a peut-être assez des effets spéciaux.


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