Quel cadre pour les universités ? (4 de 4)

Chronique de Louis Lapointe

*Quatrième d’une série de quatre articles portant sur la crise des universités québécoises. Suite de Quelle mission pour l’Université ? (3 de 4)
Une loi pour encadrer
Si l’Université est confrontée à des problèmes de répartition de tâche, de financement et de gouvernance, a-t-elle tous les outils nécessaires pour les résoudre seule, ou, doit-elle compter sur l’aide du gouvernement pour y arriver? Doit-on revoir le cadre juridique qui régit les relations entre les universités et le gouvernement qui est leur principal bailleur de fonds? Doivent-elles conserver leurs prérogatives d’établissements autonomes financés par le public, mais qui sont gérés par des conseils d’administration dont les réunions sont privées ou en faire légalement de vrais établissements publics qui doivent rendre compte de leur gestion au gouvernement et au public ?
Avant de redéfinir les règles de gouvernance des universités, avant de revoir le rôle des administrateurs, il faudrait tout d’abord moderniser les rapports de l’institution universitaire avec l’État. Il faudrait adopter une loi-cadre qui définit les rapports juridiques entre les universités et l’État. Une loi où il sera question, entre autres, de la mission universitaire, de la tâche des professeurs, des subventions, des investissements, des emprunts, des fondations, de la nomination et de la responsabilité des administrateurs et des dirigeants, du rôle de la société civile dans la gestion des universités, de la tenue publique des réunions, et enfin, de l’incontournable reddition de compte des universités. Avant de réinvestir, il faudra convenir de règles de partage équitables qui prendraient en compte les revenus provenant des fondations universitaires. Avant d’augmenter inconsidérément les droits de scolarité des étudiants, il faudra mieux encadrer la tâche des professeurs.
Dans cette perspective, le temps est venu de demander aux universités de rendre compte de leur gestion au-delà des principes de liberté universitaire et d’indépendance institutionnelle garantie par les tribunaux supérieurs. Les gestionnaires du réseau universitaire devraient être responsables de la qualité comme de l’efficacité de leurs activités d’enseignement et de recherche et rendre compte de leur administration au public. Non seulement les réunions de leurs conseils d’administration devraient être publiques, mais en plus des informations de nature financière, les universités devraient rendre compte de la tâche accomplie par leurs professeurs, une information généralement tenue secrète.
Il ne faut pas s’illusionner, une loi ne remplacera jamais le bon jugement, mais elle pourra cependant mieux encadrer les nominations et la prise de décision. Si des règles trop strictes peuvent parfois étouffer l’innovation, souvent l’absence de règles, comme on l’a vu à l’UQAM, peut aussi la compromettre.
Une loi-cadre énoncera également les principaux paramètres de ce qu’est une bonne gouvernance de nature à aider le milieu universitaire. Elle encadrera la nomination de membres compétents au conseil d’administration, compétence rimant avec connaissance. Elle reconnaîtra le conseil d’administration comme le seul responsable de l’embauche du recteur et des cadres supérieurs, redéfinissant le rôle des collèges électoraux. Enfin, la responsabilité de rendre compte de la gestion de l’Université devrait être conjointement assumée par l’équipe de direction et les membres du conseil. Des mesures qui favoriseront la nomination de personnes compétentes à tous les niveaux de la chaîne de commandement et qui les rendront solidairement responsables de leur gestion, donc forcément plus vigilantes.
Une loi-cadre qui remplacera le flou du contrat universitaire par un cadre légal clair et précis où seront formellement déterminées les responsabilités des administrateurs et des dirigeants de nos universités. Une loi qui nous prémunira, à l’avenir, contre des aventures de la nature de celles dans laquelle s’est embourbée l’UQAM. Une loi qui fera des universités de véritables établissements publics redevables à l’État, dont les membres externes sont des représentants de la société civile reconnus pour leur compétence et leur connaissance du milieu universitaire.
Conclusion : quelques pistes pour sortir de la crise
Doit-on limiter notre action à la seule gouvernance des universités comme le proposent l’IGOPP et son groupe de travail présidé par Jean-Marie Toulouse, n’y apportant que des solutions qui viennent du marché, pensant ainsi que cela va résoudre la crise des universités ? Ou commencer par le début, c’est-à-dire questionner le cœur de sa mission qui est la tâche des professeurs, et ce, avant même d’aborder la question du financement, augmenter les droits de scolarité des étudiants et revoir les règles de gouvernance ? Toutes des questions qui se posent et auxquelles on doit répondre si on veut obtenir toute l’information pertinente pour résoudre adéquatement cette crise des universités dont tout le monde parle sans vraiment en connaître toutes les causes, la connaissance du public et de ses élus se limitant à quelques symptômes, ceux de la gouvernance !
La crise des universités est d’abord une crise qui résulte du silence qui y règne. Parce qu’elles sont autonomes, les universités et les professeurs qui la dirigent ont cru pendant de nombreuses années que ce qui s’y déroulait pouvait demeurer secret au commun des mortels. Or, tout simplement parce que les universités sont financées par des fonds publics, ces pratiques doivent changer. Ainsi, avant de revoir les règles de gouvernance et de les remplacer par des règles calquées sur le privé comme le propose l’IGOPP, il faut aller au fond des choses. Il faut questionner la tâche des professeurs qui est le cœur de la mission universitaire. Avant même d’augmenter le financement des universités, avant de songer à hausser les droits de scolarités des étudiants qui servent à financer en partie le salaire des professeurs, il faut revoir les modes de gestion de la tâche de ces professeurs. Il faut demander aux universités de rendre compte de ce qui constitue le noyau dur de l’Université afin de permettre aux citoyens et à leurs élus de questionner les pratiques qui en sont issues et de les réformer.
Doit-on diminuer le salaire des professeurs qui ne font pas de recherche ou doivent-ils enseigner plus ? Doit-on limiter les dégrèvements pour administration pédagogique de professeurs qui ont d’abord des compétences pour enseigner et chercher ? Doit-on hausser le salaire des jeunes professeurs qui s’investissent dans la recherche et la création de nouveaux cours afin d’encourager les meilleurs d’entre eux à demeurer à l’université ? Doit-on questionner le double emploi lorsque manifestement il sert davantage à procurer un deuxième revenu à quelques professeurs plutôt qu’à faire rayonner l’université ou à permettre une véritable mise à jour des connaissances professionnelles de professeurs? Il faut aussi se demander si cette pratique, lorsqu’elle est mal encadrée, ne risque pas de placer les professeurs en situation de conflit éthique. Doit-on revoir les mécanismes d’évaluation de la tâche des professeurs ? Peut-on, tout à la fois, établir des contrôles plus stricts et défendre une liberté universitaire centrée sur la mission de l’Université ?
Pour rendre toute cette information publique, il faudra tout d’abord revoir le cadre juridique des rapports du gouvernement avec l’institution universitaire. Il faudra que les universités deviennent des établissements publics dont la tenue des réunions est publique. Parce que les universités sont financées par des fonds publics, des droits de scolarités provenant de leurs étudiants et que la majorité des donations qui sont versées à leurs fondations génèrent des déductions d’impôts à leurs généreux donateurs, les affaires qui s’y tiennent doivent être publiques. Lorsque les universités deviendront vraiment publiques, elles n’auront plus aucune raison de maintenir la population dans le secret de la tâche que les professeurs accomplissent et des activités qui s’y déroulent et qui sont au cœur de la mission d’enseignement, de recherche et de service à la collectivité.
Parce qu’elles ont le privilège d’être autonomes grâce à l’apport de généreux fonds publics, les universités doivent être publiques, c’est une simple question d’équilibre.
*L’intégrale de cet article a été publiée dans le numéro d’octobre 2008 de L’Action nationale.

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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