«Tu ne peux gouverner les autres si tu ne peux te gouverner toi-même.» Voilà un des principes qui guidaient les stoïciens. Des siècles après la république de Rome, il demeure actuel. Ce printemps, l'éthique des élus publics est mise en cause à tous les paliers de gouvernement.
Au municipal, on s'inquiète d'une amitié de l'ancien président du comité exécutif de la ville de Montréal. Au fédéral, la commission Oliphant fouille le passé trouble d'un ancien premier ministre qui a reçu de l'argent d'un homme d'affaires sur qui pèsent plusieurs soupçons. Et il semble que, pour les ministres du gouvernement du Québec, les règles éthiques ont été élastiques, modifiables au cas par cas.
À Québec comme à Montréal, le premier ministre et le maire ont promis l'adoption imminente d'un code d'éthique, et la nomination d'un commissaire à l'éthique a été réclamée. Pourtant, il y a tout d'abord lieu de s'interroger sur les effets que le mode de régulation par l'éthique pourrait exercer sur nos gouvernants. Qu'est-ce que l'éthique et à quoi sert-elle?
En plus de recouper deux définitions qui portent à confusion, l'éthique se distingue du droit et de la morale. L'éthique ressemble au droit par une de ses définitions, mais il vaut la peine de la comparer à un dialogue où ce ne sont pas seulement les avocats qui se parlent entre eux.
Double signification de l'éthique
L'éthique consiste en l'exercice de son jugement mené dans un monologue avec soi-même au sujet de la vie bonne à mener. Les questions que se pose l'individu solitairement prennent alors un tour existentiel.
Mais l'exercice de son jugement par un individu peut aussi être conduit à travers un dialogue entre plusieurs personnes qui confrontent leurs perspectives. Elles argumentent afin de déterminer quelle forme de vie pourrait être bonne pour tous, du moins acceptable pour tous. La réflexion s'étend alors à la société. Menée d'après des valeurs que l'on prétend universelles, la discussion porte notamment sur son organisation politique et ses institutions. Le dialogue est public. Dans ces deux cas, monologue ou dialogue, l'éthique réfère à la philosophie.
Or, quand les politiciens et leurs détracteurs parlent d'éthique, ils songent plutôt à son acception en tant que déontologie. Ainsi, l'éthique vient pour eux sous la forme d'un code qui prescrit un ensemble de règles à suivre. La réflexion et l'exercice du jugement n'ont plus tant leur place que la conformité comportementale aux normes édictées. En corollaire, tout écart à la règle entraîne une sanction.
L'éthique, comprise comme déontologie, est appelée à occuper une place prépondérante parmi les modes de régulation.
Trois modes de régulation
En effet, l'appel pour l'éthique en tant que déontologie se fait sur l'arrière-fond pâlissant de la morale tandis que le droit souffre d'un manque de légitimité. La morale est formée par un ensemble d'idées reçues qui ne sont pas remises en question. Pour une communauté particulière donnée, la morale indique les normes d'action acceptées, les biens à rechercher et les maux à éviter.
Quant au droit, sa promulgation est publique à travers les institutions politiques d'une juridiction. Les règles que le droit énonce dogmatiquement en créant des catégories conceptuelles à décalquer par déduction sur le réel sont obligatoires pour tous. Selon le mode de régulation du droit, la loi règne et les tribunaux font prévaloir l'ordre juridique quand surgit un litige.
La multiplication des codes d'éthique témoigne de certaines lacunes du droit, mode hétéronome de régulation si on le compare à la déontologie. Celle-là procure l'avantage d'une régulation de proximité, fait par et pour l'ordre professionnel ou les membres de l'organisation à qui elle s'adresse. Le code d'éthique leur confère un sentiment d'autonomie.
Cependant, il reste que la forme que revêt la déontologie est la même que le droit: juridique, un ensemble de règles. De plus, la procédure, bien qu'elle semble allégée en déontologie, se ressemble: des instances judiciaires sont nécessaires pour que le droit et pour que la déontologie soient appliqués. Les comités d'éthique remplacent les tribunaux, les codes d'éthique supplantent la loi et le commissaire à l'éthique se substitue au juge.
Le code d'éthique parlementaire
Malgré son nom, le code d'éthique et de déontologie parlementaire déposé par Jacques Dupuis sera édicté sous forme de loi. Il ne fera aucune différence avec le droit puisqu'il sera incorporé aux lois québécoises.
S'il avait plutôt été intégré au règlement de l'Assemblée nationale, il se serait agi de déontologie puisque le Parlement est autonome dans l'interprétation des règles qu'il se donne, à l'exclusion des tribunaux judiciaires.
Dans le premier cas, le commissaire à l'éthique pourra rendre des avis en prenant appui sur les règles déontologiques. Ces avis et les actions du commissaire demeurent cependant soumis au contrôle judiciaire des tribunaux.
Mais, dans le second cas, seul un parlementaire pourrait invoquer le code d'éthique et de déontologie pour mettre en cause les règles qu'il contient contre un membre de l'Assemblée nationale ou dans une commission créée par elle.
Utilité relative du commissaire
Tantôt prescriptive et déontologique, tantôt réflexive et philosophique, l'éthique dans la société contemporaine peut être abordée en remontant deux versants. Ainsi, il est possible de penser à des règles d'éthique sans croire pour autant que l'éthique soit toute contenue par ces règles, de nature déontologique.
En demeurant réflexive et philosophique, l'éthique n'est pas la chasse gardée de juristes ou d'avocats; elle appartient à tous les citoyens, participants potentiels au dialogue public.
Le dialogue confère à l'éthique tout son mordant. En somme, la superposition des perspectives et leur recoupement, le jeu serré des questions et réponses, des arguments et contre-arguments, cela permet de dégager au quotidien les enjeux éthiques, de développer des modes de gestion mieux adaptés et de repenser la portée de l'action, plutôt que de se limiter aux sanctions déontologiques ou judiciaires après un écart de comportement.
La nomination d'un commissaire à l'éthique, probablement un avocat de profession, inculquera-t-elle soudainement à nos élus tout le jugement et la capacité de réflexion qui découlent d'une socialisation citoyenne par le dialogue?
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Sébastien Bouthillier, Étudiant au doctorat à la Chaire de management éthique de HEC Montréal
Pour une éthique sans avocats...
Éthique et politique
Sébastien Bouthillier3 articles
Étudiant au doctorat à la Chaire de management éthique de HEC Montréal
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