Dialogue de sourds

Éthique et politique

À l'époque où elle était ministre de la Santé, Pauline Marois avait reconnu que la loi antidéficit pourrait avoir certains «effets pervers». Par exemple, puisque tout déficit lui était interdit, un hôpital pourrait refuser un patient référé par un autre établissement.
«On sera, au Québec, le premier endroit au monde où ça va devenir illégal de soigner des gens qui sont malades. C'est une loi inhumaine», avait lancé Jean Charest à l'Assemblée nationale.
Lucien Bouchard était cependant si obsédé par l'équilibre budgétaire que personne au Conseil des ministres n'avait osé lui souligner qu'en cas de récession, aucun gouvernement ne serait capable de respecter la nouvelle loi.
Au cours des derniers jours, les péquistes ont poussé des cris indignés à l'Assemblée nationale, mais ils savaient très bien que, tôt ou tard, le gouvernement Charest serait contraint d'utiliser le bâillon pour modifier la loi, comme ils l'auraient fait à sa place.
L'opposition a raison d'exiger que le gouvernement précise les mesures qu'il compte utiliser pour retrouver l'équilibre budgétaire en 2013-14. Dans notre régime parlementaire, c'est cependant dans le budget, qui a également force de loi, que le gouvernement annonce ses intentions.
À dire vrai, le PQ craint surtout d'hériter d'un monstrueux déficit le jour où il reprendra le pouvoir. Le risque est bien réel. Après la douloureuse expérience des mises à la retraite de 1997, des compressions massives dans les budgets de la santé et de l'éducation sont exclues. Il y aura vraisemblablement une nouvelle hausse de la TVA et des augmentations de tarif, mais cela ne suffira sans doute pas.
Depuis 1985, tous les nouveaux gouvernements ont hérité d'un «trou» dans les finances publiques, et les péquistes n'ont aucune raison de croire que les libéraux seront plus scrupuleux qu'ils l'ont eux-mêmes été.
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Certains ont vu dans l'imposition du bâillon une manoeuvre de diversion ou encore un acte de vengeance après la dure semaine que l'opposition a fait passer au gouvernement avec ses attaques sur les questions d'éthique.
En réalité, maintenant que le débat sur la loi antidéficit est clos, l'éthique va occuper tout l'espace et le sujet se prête particulièrement bien à la politique avec un p minuscule. Si le PQ veut personnaliser le débat en s'acharnant sur David Whissell, les libéraux se disent tout disposés à rediscuter du passage du conjoint de Pauline Marois à la SGF. Cela augure plutôt mal.
M. Charest ne s'imaginait sûrement pas qu'il suffisait de sacrifier M. Whissell pour calmer les esprits. En politique, quand il n'y a plus de chair autour de l'os, on s'attaque à l'os lui-même. L'ancien ministre du Travail aurait néanmoins simplifié la vie de ses collègues s'il était retourné à son asphalte sans demander son reste au lieu de chercher à se justifier. C'était mal le connaître.
En décidant de demeurer député d'Argenteuil, M. Whissell non seulement continue d'offrir une cible de choix à l'opposition, mais il lui permet aussi d'élargir le débat sur un éventuel code d'éthique à l'ensemble de la députation.
Jusqu'à présent, on discutait essentiellement des directives émises par le premier ministre pour éviter que les membres du conseil des ministres se retrouvent dans une situation de conflits d'intérêts, réelle ou appréhendée.
Or, selon un avis du jurisconsulte de l'Assemblée nationale rendu public par M. Whissell, un simple député dont les intérêts sont placés dans une fiducie sans droit de regard peut très bien se retrouver dans une situation conflictuelle. Dès lors, pourquoi ne pas exiger que les députés et leurs conjoints déclarent aussi leurs intérêts?
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Il n'est pas difficile d'imaginer de nouveaux moyens de renforcer la vertu des parlementaires. Ainsi, Pauline Marois estime maintenant que les députés devraient divulguer leurs dépenses, comme Amir Khadir en a lui-même pris l'initiative.
Le récent incident mettant en cause la députée de La Pinière, Fatima Houda-Pépin, a de quoi faire réfléchir. Mercredi, une station de radio de Québec a mis en ligne des photos de Mme Houda-Pépin descendant d'un taxi qui l'avait conduite de Brossard au parlement. Coût estimé de la course: 420 $.
Cela ne contrevient peut-être pas aux normes édictées par le Bureau de l'Assemblée nationale, où les trois partis sont représentés, mais un voyage en train, dans tout le confort de la classe Affaires, lui aurait coûté le tiers du prix (148 $).
Il arrive toutefois que le mieux soit l'ennemi du bien. II est vrai que le bilan du gouvernement et de M. Charest lui-même en matière d'éthique n'est pas très rassurant. Faute d'un code d'éthique en bonne et due forme, la présence d'un commissaire à la déontologie, qui pourrait s'appuyer sur les textes existants, serait certainement utile, mais s'enferrer dans le débat sur l'oeuf et la poule ne fera pas avancer les choses.
D'ailleurs, si les péquistes soupçonnent les libéraux de vouloir leur laisser un déficit en héritage, ces derniers sont tout aussi convaincus que le PQ ne souhaite pas réellement l'adoption d'un code d'éthique. Les dialogues de sourds donnent rarement de bons résultats.


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