Les ingénieurs bâtissent la confiance

Dans la foulée des allégations de collusion dans la sphère municipale, l'Ordre des ingénieurs du Québec réclame une commission d'enquête.

Enquête publique - un PM complice?

Dans la foulée des allégations de collusion dans la sphère municipale, l'Ordre des ingénieurs du Québec réclame une commission d'enquête. Maud Cohen, la présidente de cet ordre professionnel, affirme qu'une enquête publique est nécessaire pour faire la lumière sur l'ensemble du système occulte qui existe.

Et puisque certaines allégations visent des ingénieurs, elle a lancé une enquête interne. Mais celle-ci se limite aux agissements de quelques ingénieurs au regard de la déontologie de leur profession qu'ils doivent respecter.
Missions séparées
L'Ordre des ingénieurs se distingue des autres corporations professionnelles. Sa présidente donne l'exemple aux autres professions éclaboussées par les allégations: les avocats, les urbanistes et les architectes notamment. Ceux-là pourraient autant procéder à une enquête interne, menée par leur syndic respectif, en plus de réclamer une enquête publique à leur tour.
Ainsi, les ingénieurs sont encadrés par un ordre professionnel qui ne confond pas sa mission avec l'intérêt particulier de ses membres. En outre, si une enquête publique avait lieu, les ordres professionnels accepteraient-ils de se soumettre à une recommandation qu'elle émettrait à la fin de ses travaux et qui les viserait?
Mission: la protection du public
La mission d'un ordre professionnel, c'est la protection du public. Chaque ordre professionnel a pour objectif général d'encadrer l'exercice de la profession de ses membres dans un souci de protection du public. Les services que les professionnels rendent doivent répondre aux critères de qualité les plus élevés. La formation, les compétences et la pratique de la profession sont donc régies rigoureusement. De même, le public en est informé et une instance est créée à l'intérieur de l'ordre pour recevoir ses plaintes, le syndic.
Toutefois, la mission d'un ordre professionnel risque d'être diluée par un objectif concomitant que poursuit cet ordre. En effet, comment peut-il concilier la protection du public avec la promotion des intérêts professionnels de ses membres? Deux courants opposés risquent de s'affronter à l'intérieur de l'ordre.
La mission de l'ordre professionnel doit primer, tel que le législateur le prévoit dans le Code des professions. C'est ainsi que l'Ordre des ingénieurs a pris la décision, en 2002, de se concentrer sur la protection du public seulement. Il s'est délesté de son objectif de promouvoir les intérêts particuliers de ses membres. Aujourd'hui, le Réseau des ingénieurs du Québec s'en occupe et constitue une entité indépendante et distincte de l'Ordre des ingénieurs.
Les autres professions chapeautées par un ordre pourraient s'inspirer de la décision de l'Ordre des ingénieurs.
Recommandation
La confusion entre la mission de protection du public et la promotion des intérêts des membres au sein d'une même organisation risque d'être perçue par le public comme un repli sur soi corporatiste des ordres professionnels.
Si l'enquête publique réclamée avait lieu, une recommandation pourrait en découler et viser les ordres professionnels pour qu'ils mettent leurs membres en garde contre le sentiment d'être intouchable et au-dessus de tout soupçon. Au contraire, c'est la transparence, la publicité des gestes et la reddition de comptes qui sont à recommander. Leur expertise particulière s'accompagne d'exigences supplémentaires.
Lobbyisme
Ainsi, dans le contexte de gouvernance qui émerge, pensons à la Loi sur la transparence et l'éthique en matière de lobbyisme. Elle institue le poste de commissaire au lobbyisme et crée un registre pour que soient divulguées les activités de lobbyisme. Si tous les membres des divers ordres professionnels qui font du lobbyisme étaient inscrits au registre, moins de soupçons pèseraient sur eux actuellement. Le public aurait moins l'impression que certains parmi eux manigancent au sein du système occulte dans lequel trempe le monde politique municipal.
Les ordres professionnels eux-mêmes et leurs membres à l'oeuvre dans divers bureaux, firmes ou groupes-conseils doivent respecter la loi et s'inscrire au registre des lobbyistes. Ceci entre dans leur mission de protection du public. Ce n'est pas parce qu'un ordre professionnel est un organisme quasi judiciaire quand il agit en matière déontologique qu'il peut se soustraire à la loi sur le lobbyisme.
Les ordres professionnels mériteraient la pleine confiance du public en dévoilant leurs activités de lobbyisme et en exigeant que leurs membres en fassent autant. Sans attendre une commission d'enquête qui pourrait le recommander, le gouvernement devrait prodiguer au commissaire au lobbyisme les ressources nécessaires pour qu'il fasse respecter la loi.
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Sébastien Bouthillier, Candidat au doctorat en administration et affilié à la chaire de management éthique de HEC Montréal


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