L’ancien premier ministre Jacques Parizeau a écrit une lettre au Devoir dans laquelle il déplore une série d’erreurs ayant mené à un «gâchis» au PQ.
Québec — Jacques Parizeau refuse de se taire. Et en s'exprimant dans une lettre au Devoir aujourd'hui, il écorche sérieusement — sans jamais la nommer — Pauline Marois, dont il condamne l'approche souverainiste, le non-respect de la liberté d'expression au sein du PQ, mais aussi des fautes stratégiques récentes qui ont mené à un «gâchis».
Or, après celui-ci, «vous venez me demander [...] de me taire! Comment pouvez-vous croire un instant que je pourrais obtempérer?», tonne l'ancien premier ministre dans sa missive. Sur un ton à la fois cinglant et parfois indigné, il réplique donc au texte — aussi publié dans nos pages samedi — de 12 députés dits «jeunes» qui lui intimaient de se faire moins présent dans le débat public et de leur faire davantage «confiance».
M. Parizeau n'est pas tendre pour les 12 signataires — dont Nicolas Girard, Véronique Hivon et François Rebello —, soulignant que, dans leur texte, ils ont «abusé» des «poncifs de la rectitude politique», ont donné dans l'«enflure verbale» et dans la «fanfaronnade» sans intérêt.
«Cette lettre m'a beaucoup étonné», euphémise au départ M. Parizeau, reprenant son commentaire laconique de samedi, en marge d'un colloque des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO), où il a présenté une synthèse des débats de la journée.
C'est pour parer aux coups de cette journée que l'opération des 12 «jeunes» a été mise en branle par la direction du parti, et elle s'est poursuivie hier. Les Nicolas Girard et Martine Ouellet, entre autres, ont fait la tournée des médias hier pour soutenir qu'ils n'avaient jamais voulu, par leur lettre, faire taire M. Parizeau qui avait été leur «mentor». «Nous, on a voulu qu'il pèse ses paroles samedi devant les IPSO.
On est dans une crise, c'est pas le temps d'en rajouter», a soutenu pour sa part François Rebello hier: «Il doit réaliser que, s'il critique le parti, c'est non seulement la chef qu'il critique, mais nous autres aussi. Nous avons besoin de son appui pour poursuivre le combat.»
Faux et vrais jeunes?
Mais Jacques Parizeau rejette l'appel de députés qui ne sont même plus les collègues de son épouse. «Jeunes députés»: M. Parizeau ne manque pas d'ailleurs de déplorer l'élasticité du qualificatif utilisé par les signataires: «Certains d'entre vous ont dépassé la quarantaine ou sont sur le point de l'atteindre. À quarante ans, René Lévesque nationalisait les compagnies d'électricité», rappelle l'ancien chef péquiste.
Il souligne que quelques «vrais» jeunes ont servi de «caution» dans l'opération. (En fait, dans la douzaine de signataires, trois ou quatre pourraient être membres du Comité national des jeunes du PQ.) Si on lui avait dit, à lui, qu'il était «jeune» lorsqu'il avait cet âge — alors qu'il avait déjà travaillé avec trois premiers ministres successifs —, il aurait «mordu», écrit-il. «Quarante ans, c'est la force de l'âge, disait-on alors.»
Liberté de parole bafouée
Mais, surtout, M. Parizeau s'indigne qu'on lui demande de se taire alors qu'à son sens, la crise qui vient de bouleverser le PQ de Pauline Marois a précisément été déclenchée par un excès de contrainte à la liberté de parole.
Cette crise émane du dépôt de la «proposition principale», soit le brouillon de programme du PQ, en juin 2010, explique l'ancien chef. Lisette Lapointe fit alors remarquer que l'article 1 redéfini par Mme Marois et son entourage était plutôt «faible». À partir de ce moment, déplore l'ancien premier ministre, «on passera le mot que tout projet d'amendement à l'article 1 serait considéré par la direction du parti comme attentatoire à l'autorité de la chef». Pour le renforcer, Mme Lapointe rédige une «Proposition Crémazie» (du nom de sa circonscription) qui finit par cheminer d'instance en instance — «souvent battue», admet rapidement M. Parizeau —, mais qui sera toutefois jugée «irrecevable» au congrès de la mi-avril 2011. M. Parizeau rappelle qu'il est intervenu fin mars dans Le Devoir pour appuyer son épouse et déplorer le «flou artistique» de l'approche préconisée par Pauline Marois.
Au passage, M. Parizeau salue la dissidence de Daniel Turp, à l'époque président de la commission politique et candidat à la présidence du parti, qui aura permis de lever la décision d'irrecevabilité «en dépit des ordres reçus». M. Turp sera finalement battu par Raymond Archambault à la présidence. Puis, M. Parizeau souligne une autre contrainte excessive dans le PQ de Pauline Marois: un des quatre éléments de la proposition Crémazie a été «battu à plate couture en Commission après un "débat" limité à... trente secondes!».
Fautes stratégiques et «gâchis»
Quant à l'épisode du projet de loi 204, qu'il baptise «Maltais-Labeaume», sur l'entente de gestion Québec-Quebecor du futur amphithéâtre de la capitale, il a donné lieu à une «incroyable comédie politique», juge M. Parizeau. La question de la liberté de parole est soulevée encore une fois, mais «de façon bien plus aiguë encore», insiste-t-il: «Je n'arrive pas à comprendre ce qui s'est passé», écrit l'ancien premier ministre, semblant déconcerté par la faute stratégique de la chef péquiste, qui aura finalement remis le sort de ce projet de loi ultradélicate «entre les mains d'Amir Khadir qui s'en empara prestement». Une première faute doublée d'une autre: «Une fois compris que le projet de loi était virtuellement mort, pourquoi fallait-il ordonner à tous les députés du Parti québécois de voter en faveur et leur interdire même de s'absenter?»
Après avoir fait l'éloge des discussions, au colloque des IPSO, entre un «vieux» (Louis Bernard, candidat à la direction du PQ en 2005) et un «jeune», le démissionnaire Jean-Martin Aussant, l'ancien chef clôt son texte en qualifiant de «navrant» le geste d'un député péquiste proche des signataires (il ne le nomme pas, mais c'est Yves François Blanchet). Ce dernier s'est présenté au colloque des IPSO et aurait donné une entrevue à un journaliste de la télévision au moment où M. Parizeau faisait sa conférence.
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