RAPPEL - Québec 2001, pays indépendant ou terre de replis ethniques?

L' "Indirect Rule" pour le Québec

Prendre à témoin la communauté internationale et refondre socialement le projet souverainiste : des détours obligés

Chronique de Claude Bariteau

L'Acte de Québec de 1774 est aussi tributaire de la scène internationale. Il visait à neutraliser les pressions venant des colonies britanniques au sud de la Province de Québec. Quant à l'acte constitutionnel de 1791, il se voulait un aménagement de l'Acte de Québec en réponse aux demandes des loyalistes. Toutefois, en créant une Chambre d'assemblée aux responsabilités limitées, cet acte ouvrit la porte à l'expression populaire. Les chefs Patriotes revendiquèrent peu après un gouvernement responsable. Ce type de revendication a conduit à la naissance de 25 pays en Amérique entre 1790 et 1835. Au nord des États-Unis, ce ne fut pas le cas. L'Angleterre, puissance impériale à son apogée, utilisa la force pour enrayer le mouvement des Patriotes.


Sur recommandation de lord Durham, les colonies du Bas-Canada et du Haut-Canada furent réunies en 1840. Sous
l'Union, un traité de réciprocité fut signé avec les États-Unis en 1854. Au terme de celui-ci, en 1864, une majorité d'élus du Canada de l'Ouest, l'ex-Bas-Canada, voulurent en finir avec l'Union. Leurs démarches conduisirent à la création du Canada de 1867.


C'est alors que s'affirma au Canada français un nationalisme de type ethnique. Peu après la Deuxième Guerre mondiale, ce nationalisme fut remis en question. La Révolution tranquille s'ensuivit. Un nouveau projet national prit alors forme au Québec. Il déboucha sur des revendications autonomistes toujours à la hausse. Le gouvernement Trudeau s'y opposa. L'idée de l'indépendance du Québec devint une solution de rechange de plus en plus populaire. Le Parti québécois en fut
le porteur alors que naissaient de nombreux pays issus d'anciennes colonies.


Aujourd'hui, la souveraineté, toujours au coeur de la question du Québec, s'exprime dans un contexte fort différent. Le Canada a changé en 1982 avec le rapatriement de la Constitution. Par ailleurs, l'ordre mondial n'est plus le même depuis l'effondrement du monde de Yalta. Tout s'est globalisé. Au même moment, des mouvements "nationalitaires" ont surgi notamment au sein de pays regroupant des entités culturelles et ethniques différentes. Le cas québécois est depuis sous observation à l'échelle internationale.


Les promoteurs des mouvements "nationalitaires" doivent un jour choisir entre deux parcours. Le premier conduit au repli ethnique; le second, à l'indépendance. Aux prises avec un tel mouvement, tout pays cherche à miner celui de l'indépendance. Aussi fera-t-il tout pour que ce mouvement se définisse et soit perçu comme un problème interne. D'abord, en déployant diverses mesures qui mènent au repli ethnique; ensuite, en avisant la communauté internationale qu'il s'agit bel et bien d'une affaire interne.
Mesure de tolérance
Chaque fois que la question du Québec s'est posée en écho au contexte international, l'Angleterre puis le Canada ont constamment manoeuvré de la sorte. Pour promouvoir le repli ethnique, ils ont déployé divers moyens, dont l'Indirect Rule.


Ce mode de gestion fut mis en forme au Québec en 1774. Il a permis aux dirigeants britanniques de contrôler la population québécoise d'origine française. Deux mesures l'ont caractérisé: une première, de tolérance, qui reconnaissait la pratique de la religion catholique, l'usage de la langue française et le recours au droit civil français; une seconde, de dissuasion, par l'envoi de mercenaires allemands pour empêcher les ressortissants français de s'associer aux républicains des treize colonies mais, aussi, pour refroidir les ardeurs de ces républicains.


L'Indirect Rule a plusieurs autres particularités. L'une d'elles veut que le peuple conquérant se réserve le contrôle des pouvoirs inhérents à la souveraineté nationale. Quant à la population conquise, elle doit se contenter de pouvoirs subalternes. Sous ce mode, les contacts auprès des conquis se font avec leurs représentants considérés de loyaux sujets. Ces derniers sont d'ailleurs indispensables au déploiement de l'Indirect Rule. Aussi obtiennent-ils divers avantages. Point important, l'Indirect Rule implique le recours à la contrainte si les conquis remettent en question l'ordre établi.
Dans un tel cas, la ligne dure est de rigueur. C'est ce qui s'est produit, par exemple, en 1836 et en 1982.


Durant ces phases de ligne dure, il y a toujours eu au Québec un "repositionnement" des acteurs politiques. Certains francophones, qui se préparent à devenir de loyaux sujets, cherchent l'appui de la population. S'ils l'obtiennent, ils accèdent à des postes d'envergure. Actuellement, cette dynamique est en cours. Jean Charest, le nouveau chef du Parti libéral du Québec, est ainsi devenu l'homme qui sauvera le Canada. Son mandat est simple: prendre le pouvoir et, du coup, empêcher la tenue d'un troisième référendum. S'il échoue, ce sera le retour à la ligne dure, question de forcer la
donne.


Si la modification de la Constitution en 1982 a quelque peu contraint le recours à l'Indirect Rule, l'entente de Charlottetown visait à la réintroduire. Malgré son rejet en 1992, le gouvernement Chrétien cherche à la reconduire car, pour les Canadiens, l'Indirect Rule serait le seul moyen de juguler la démarche souverainiste. Voilà pourquoi ce gouvernement déploie deux plans d'attaque: un premier qui consiste à se montrer ouvert à l'inclusion du concept de "société distincte" dans la Constitution en autant qu'il n'ait pas d'incidence juridique; un second dont l'objectif est de
refroidir les nationalistes prétendument séduits par les souverainistes.


C'est dans le cadre du second plan que ce gouvernement a demandé à la Cour suprême de lui livrer des arguments pour enfermer la question québécoise à l'intérieur de la juridiction canadienne. Le récent avis de cette cour les lui fournit même s'il semble entrouvrir la porte à la négociation. C'est ce qu'a montré Jacques-Yvan Morin. Depuis, le gouvernement canadien veut participer à la définition des règles du jeu, se montre toujours réceptif à l'idée de partition du territoire québécois et soutient qu'une éventuelle déclaration unilatérale de l'indépendance du Québec serait illégale.
Consolider les assises
Cette charge ne s'arrête pas là. Toujours ébranlés par les résultats du référendum de 1995, les ténors du fédéralisme canadien présentent de plus en plus le projet souverainiste comme ethniquement défini. Mieux, ils attaquent les politiques sociales des leaders souverainistes, véhiculent, sur toutes les scènes, l'idée selon laquelle le Canada serait un modèle de tolérance et avancent que les Québécois n'ont ni les moyens ni les qualités pour accéder à la souveraineté, leur destin étant celui des plaisirs de la petite vie.


Ces prises de position renvoient toutes, y compris l'avis de la Cour suprême, au déploiement de l'Indirect Rule. Avant de réagir, les souverainistes doivent prendre conscience de ce que ce mode de gestion est foncièrement aristocratique et de ce que la démocratie demeure son principal antidote. Ils découvriront alors qu'ils ont tout avantage à consolider les assises citoyennes de leur projet en renforçant les liens sociaux entre les Québécois et les Québécoises. S'ils le font, ils seront alors mieux placés pour prendre à témoin la communauté internationale et éviter, ce faisant, que la question du
Québec soit prisonnière de la vision canadienne.


Il y a là deux détours obligés. Ils faciliteront la reconnaissance du Québec par des États membres des Nations unies advenant un refus du gouvernement canadien de négocier la sécession à la suite d'un référendum gagnant. Ces détours exigent de l'audace. Mais, sans audace, le Québec deviendra une terre de replis ethniques. Pas un pays.
***
Claude Bariteau
Professeur au département d'anthropologie de l'Université Laval et auteur de Québec, 18 septembre 2001, Montréal, Québec Amérique, 1998


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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.





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