La mission du PLQ

Défaire le Québec des 50 dernières années

Ne reste qu’un soulèvement populaire pour forcer le jeu

Chronique de Claude Bariteau

Claude Bariteau, anthropologue
Le gouvernement Charest, élu par moins de 25 % des électeurs inscrits et
40 % des votes exprimés, n’a aucune légitimité démocratique, sauf celle
que permet un système politique qui fait fi d’un support majoritaire des
électeurs-électrices, donc du peuple.
Avec ce système, un parti ayant une légitimité limitée, peut gouverner en
tenant compte du peuple. Il peut aussi se placer au-dessus du peuple parce
qu’il est en mission pour le gouverner selon des visées propres au parti au
pouvoir. Dans les deux cas, il est en mission.
Dans le conflit qui perturbe le monde de l’éducation, le mouvement étudiant
défend des idées déterminantes pour l’avenir du peuple québécois tandis que
le gouvernement Charest fait tout pour le mâter parce qu’il entend définir
autrement cet avenir.
Depuis qu’il est présent sur la scène québécoise, tout le monde sait que
Jean Charest est en mission et que son objectif est le même que celui que
promeuvent différemment le PLC, le PC et le NPD : faire du Québec un petit
Canada servile, reconnaissant et respectueux de l’ordre canadien.
Pour le réaliser, il faut que le parti qu’il dirige règne à Québec et
transforme progressivement ce qui fut mis en place dans le sillage de la
Révolution tranquille. C’est ce que fait le PLQ dans tous les dossiers
qu’il aborde. Il défait et refait tout en cherchant à se maintenir en place
pour le bien du Canada.
Ce n’est pas la première fois qu’un tel comportement se manifeste. Le
système politique québécois fournit tout l’espace qu’il faut aux
missionnaires canadiens mandatés d’harmoniser le développement du Québec à
celui du Canada.
À chaque fois, ces missionnaires ont misé sur un débordement des limites territoriales en place, incité la jeunesse à voir son avenir dans ce
débordement et privilégié l’accès aux études supérieures aux plus nantis
pour qu’ils deviennent de bons serviteurs locaux.
Ce modèle apparaît peu après la prise du territoire de la Nouvelle-France
par la Grande-Bretagne. Les ressortissants français qui choisissent d’y
demeurer doivent se soumettre et assurer l’essor des seigneurs et du
clergé, ce qui suscita des réactions : en 1763 avec Pontiac et en 1775-76
avec les Patriots américains.
En 1834-1838, il y eut d’autres réactions. Les Patriotes du Bas-Canada, qui
valorisaient l’éducation, voulurent instituer un ordre politique et
économie différent de celui prisé par les dirigeants britanniques
accoquinés au clergé et aux seigneurs.
Après leur renversement militaire, l’éducation devint l’affaire du clergé.
Mgr Bourget, supporté par des entrepreneurs du terroir, fut mandaté pour
recruter des communautés religieuses pour former les maîtres, contrôler les
âmes et enrégimenter la main-d’œuvre sur les terres au nord et au sud du
Saint-Laurent ou dans les centres industriels naissants.
Par la suite, la formation étant toujours sous le contrôle du clergé, le
Nord devint le Klondike, sous Taschereau et Duplessis, pour contrer
l’affaissement du développement au Québec alors que le Canada misait sur
l’Ontario.
Avec la Révolution tranquille, ce modèle connut des ratés. Des réformes
transformèrent le système d’éducation, et des institutions économiques
novatrices suscitèrent l’irradiation au Québec d’une économie dynamique
dont les promoteurs se rendirent rapidement compte qu’elle nécessitait plus
d’espace pour se développer. Même le Nord s’y greffa.
Peu à peu, deux choix s’imposèrent : s’extraire du Canada comme les
Norvégiens de la Suède pour des motifs en grande partie économiques ou s’y
emmurer en relançant les scénarios d’hier, ce qui est l’objectif du
gouvernement Charest, l’extraction ayant été stoppée au fil d’arrivée.
Alors qu’au Québec des secteurs de pointe se ratatinent à la faveur
d’investissements en Ontario ou ailleurs, le gouvernement Charest mise sur
le Nord et des multinationales en besoin de main-d’œuvre. Dans ce contexte,
hausser les coûts d’accès au savoir universitaire est une mesure
susceptible, à ses yeux, de diriger vers le Nord une jeunesse dont les
moyens sont limités pour accéder à l’université.
Cette hausse s’inscrit dans un processus en déploiement en milieu
universitaire pour déconstruire l’univers référentiel mis en place avec la
Révolution tranquille. La création des chaires du Canada en fut le cheval
de Troie. Aujourd’hui, le PLQ poursuit la charge pour que s’incruste un
univers référentiel dans lequel les Québécois se penseront en Canadiens et
se définiront en minorités ethnoculturelles plutôt qu’en peuple.
Que faire ? Comme l’enjeu est l’avenir du Québec, changer de gouvernement
s’impose. Mais s’impose davantage de changer les règles politiques
actuelles. Et changer ces règles implique de sortir du carcan politique
actuel et de rendre impossible l’adoption de lois sur la base du nombre
d’élus. Pour être appliquées les lois devraient dorénavant recevoir l’aval
de députés qui représentent la majorité des votes exprimés.
Si tel était le cas, le conflit actuel n’existerait pas. Les propositions
des juges de la Cour suprême sur les écoles passerelles n’auraient pas été
avalisées. Les problèmes dans la construction seraient déjà corrigés.
Mieux, le peuple québécois aurait un levier politique, valoriserait la
démocratie et se penserait collectivement plutôt qu’en groupes
ethnoculturels.
Il revient certes aux partis d’opposition de mettre de l’avant un tel
changement. Mais, il y a peu de chances qu’ils le fassent, chacun étant
motivé à jouer dans le présent système au nom des missions qu’ils se sont
octroyées. Ne reste qu’un soulèvement populaire pour forcer le jeu. Soit dit
en passant, ce sont toujours de tels soulèvements qui parviennent à changer
les choses. Et, au Québec, tout semble se mettre en place pour qu’il
advienne.

-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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Claude Bariteau49 articles

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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.





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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    5 mai 2012

    Ça me fait penser à Michel Chartrand qui disait: "Là on régresse, on est en régression!"
    Monsieur Chartrand était scandalisé des attaques sur les programmes sociaux et de l'écart grandissant entre riches et pauvres.
    D'ailleurs, cet écart entre riches et pauvres qui s'est accentué au Québec dans les trois dernières décennies est en train de rejoindre les standards du tiers-monde en ce qui concerne les écarts de revenus entre les riches et les pauvres.
    Ainsi, encore pire que ces reculs, c'est la tiersmondialisation du Québec qui est à craindre.

  • Archives de Vigile Répondre

    5 mai 2012

    « Ne reste qu’un soulèvement populaire pour forcer le jeu. Soit dit en passant, ce sont toujours de tels soulèvements qui parviennent à changer les choses. Et, au Québec, tout semble se mettre en place pour qu’il advienne. »
    Monsieur Bariteau,
    Contrairement à vous, je ne pense pas que le peuple québécois se soulèvera. Nous sommes très loin d'une prise de conscience générale. Les gens sont encore trop conditionnés par les médias de masse pour être en mesure de s'arracher de leur joug. Il faudrait tarir la source de l'asservissement - les médias. Cela dit, chaque prise de conscience est importante. Un mouvement de fond se dessine, mais qui peut en prédire la conclusion. Le gouvernement actuel tarde à déclencher des élections. C'est la stratégie adoptée par tous les partis au pouvoir en ce moment. Après plus de 30 ans de déréglementation, de conditionnement à propos du consumérisme, après tant de crises qui se sont succédées les unes après les autres, provoquées par le système en place, les gouvernements sortent la police et l'intervention armée.
    Nous nous dirigeons lentement vers un monde « bipolaire » souffrant de troubles de personnalité. Les dirigeant sont sourds au bon sens parce qu'ils ont tout simplement perdu le sens, conditionnés eux-mêmes par le mouvement de l'histoire. Malheureusement, l'homme doit souffrir longtemps avant de prendre en main les leviers de sa destinée. Au Québec, nous ne sommes pas prêts...

  • Archives de Vigile Répondre

    4 mai 2012

    Comme vous avez raison! Je ne l'avais jamais envisagé sous cet angle. Charest est comme Harper qui veut faire revenir le Canada 50 ans en arrière!
    Les conservateurs sont par définition contre le progrès social, et c'est pourquoi ils veulent annuler tous les gains sociaux des dernières années.
    Lulu le Toupet y compris! Et malheureusement un autre ancien péquiste que j'aimais malgré son net penchant à droite: Facal.