Pour un projet de société

Crise sociale - printemps 2012 - comprendre la crise



Près de 300 000 personnes se sont rassemblées à Montréal, le 22 avril dernier, pour célébrer le Jour de la Terre en formant une immense main humaine. Belle idée, cette main collective. Une main protectrice en souci de la Terre, dressée contre ce qui la mutile et la ravage. Un immense stop à l’insouciance prédatrice. Une main comme un arbre dont les racines s’enfouissent dans nos pratiques quotidiennes et collectives, et les branches se déploient dans notre imaginaire. Comment ne pas y discerner aussi la sève printanière du mouvement étudiant qui irrigue le Québec, drainant avec elle le courage, la détermination, l’audace, la créativité et le rêve d’une société fraternelle et solidaire – et être soulevé par cette vague d’humanité!

Nous vivons à une époque charnière. Nous le pressentons dans les multiples mouvements de solidarité, dans la fébrilité des voix qui s’élèvent pour des causes sociales et environnementales : éducation, santé, Plan Nord, harnachement des rivières sauvages, gaz de schiste, etc. Toutes ces expressions citoyennes évoquent une aspiration à des changements majeurs touchant aux fondements de notre société. L’establishment politique et économique n’en est d’ailleurs pas dupe. Ses chroniqueurs attitrés revêtent leurs habits de combat, appelant à la ligne dure – surtout ne pas plier – devant la « menace » de la démocratie participative et de la désobéissance civile. Quand le quotidien au plus fort tirage au Québec, le Journal de Montréal, préfère consacrer sa une à un fait divers plutôt qu’à un événement historique de l’ampleur de celui du 22 avril, cela en dit long sur le malaise que celui-ci génère.

Un renouveau politique et social se dessine à l’horizon. Certains diraient un projet de société. Mais voilà un vilain mot dans une société gérée de plus en plus comme une entreprise : ce qui convient, c’est plutôt un plan d’affaires pour optimiser la mainmise économique et technique du monde en transformant tout en valeurs monnayables. Il faut que ça produise, rapporte et enrichisse les élites économiques et financières coûte que coûte. Et comme celles-ci sont de moins en moins rattachées et redevables aux communautés locales, suspendues qu’elles sont à la spéculation globalisée, leur seule préoccupation sera le rendement à court terme de leurs actions. Le souci du bien commun et du territoire, le bien-être de la population, la justice, l’égalité, le partage, la responsabilité n’entrent guère dans leur champ de vision, sinon comme des slogans vides de sens, dont on se sert pour légitimer le statu quo et maintenir les citoyens dociles et passifs dans leur rôle de clients et de consommateurs. « Je n’écoute que la majorité silencieuse », comme l’a dit si bien Jean Charest.

On se rappelle la bouffonnerie du premier ministre évoquant à demi-mot les camps de travail pour les manifestants chahutant aux portes du Salon du Plan Nord. Rires et applaudissements parmi les gens d’affaires rassemblés. Scandale ailleurs. On a moins insisté sur la chute de sa blague qui exprimait pourtant un profond mépris pour la démocratie et la citoyenneté. Il a, en effet, ajouté gloussant : «… en espérant que ça va tous nous permettre de travailler fort », comme si les revendications sociales, les débats publics sur une vision de l’éducation cohérente avec un projet de société démocratique n’étaient qu’empêchements à accomplir des choses sérieuses. François Legault n’a pas dit autre chose en interpellant les étudiants en grève pour qu’ils retournent en classe : « C’est fini la récréation! »

Mais les nombreuses manifestations publiques des derniers mois témoignent que nous avons la solidarité bien ancrée dans la mémoire collective. Le souffle de la liberté anime toujours notre existence que certains aimeraient rapetisser à la vie privée, domestiquer et asservir aux dieux du marché. En optant pour l’expression d’une manière d’être collective qui lui soit propre et digne d’exister, le peuple québécois n’est-il pas en train de puiser à même la source qui peut donner sens à son existence comme nation politique? Et le pousser à écrire enfin son acte de naissance politique : sa Constitution?

Le philosophe tchèque Karel Kosik disait que la grandeur d’une « petite nation tient à son esprit », à sa culture, à une « vérité spirituelle » qui innerve sa vie politique et l’empêche d’être un jouet entre les mains des grandes puissances économiques et militaires[1]. On l’oublie trop souvent, un citoyen est aussi un quêteur de sens. La politique n’est pas qu’affaire de sous et de gouvernance, comme voudraient le laisser croire ceux qui nous dirigent actuellement.

« On ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres, est-il écrit dans les Évangiles, autrement les outres se rompent et le vin se répand. » Jean Charest est une vieille outre!


Crédit image : Yvan LaFontaine, Rapides, 2009, infographie et burin, 62 x 78 cm
[1] La crise des temps modernes, Paris, Éd. de la Passion, 2003, p. 238.


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