Les «vraies choses» de Charest

Santé - le pacte libéral



«Le PQ est le champion de l'attente. On va dire les vraies choses: c'est devenu une façon de gérer les programmes pour économiser de l'argent.»
Ainsi parlait Jean Charest pendant la campagne électorale de 2003. Cette année-là, il promettait de mettre fin aux attentes. Puis, une fois au pouvoir, son gouvernement s'engageait à ramener pour 2010 la durée moyenne d'attente dans les urgences à 12 heures.

Il est minuit moins quart, docteur Charest. Et sous les néons, peu de nouveau: on attend en moyenne 19 heures aux urgences de Montréal.
De même qu'il n'y a pas de journée «normale» en météo, on attend rarement «en moyenne» aux urgences. On attend toujours en particulier, parfois six heures dans le corridor, mais parfois deux jours et demi, avec un peu de chance derrière un rideau de fortune.
Cet objectif de 12 heures, donc, Jean Charest ne l'atteindra pas. Pas plus, remarquez bien, que Pauline Marois ou Mario Dumont ou Françoise David, avec ou sans le docteur Kadir.
Nous ne pouvons y arriver à court terme, à moins de faire exploser les budgets et d'embaucher soudainement des professionnels de la santé qui n'existent pas encore.
Alors, hier, Jean Charest n'a pas répété sa promesse de 2003, ni ses engagements subséquents. «Regrettez-vous vos promesses?» lui a-t-on demandé. «Je ne regrette pas nos efforts», a-t-il dit sobrement.
Jean Charest a fait les élections de 2003 sur le thème de la santé. Comme le sujet est vaste et profond, quoi de mieux en campagne que de l'illustrer par un exemple qui frappe et qui fait image: les salles d'urgence des hôpitaux. Il se fait servir le même procédé cette année.
Dans les débats, dans les conférences de presse, dans les entrevues, Jean Charest faisait en 2003 cette extravagante promesse de régler ce problème.
Mais comme il le disait hier, la population a augmenté et elle a vieilli. Et les nouveaux effectifs ne sont pas arrivés. On fait ce qu'on peut! Sauf que tout cela était éminemment prévisible dès 2003.
C'est cela qu'on peut reprocher à Jean Charest: il savait en 2003 ou aurait dû savoir qu'il faisait une promesse en l'air, en jouant sur la vulnérabilité et la peur. Et une fois au pouvoir, il n'a pas voulu mettre en oeuvre les réformes un peu musclées proposées depuis 10 ans par tous les comités d'experts.
Pourquoi Jean Charest est-il plus prudent cette année? Il dira qu'il a passé l'épreuve du réel. Je dirai que maintenant, il sait... que nous savons aussi. Il n'y a pas de magie.
Remarquez, Jean Charest avait raison de dire que le PQ gérait les budgets des hôpitaux et de la santé en général en créant des listes d'attente. Tous les gouvernements font ça, le sien y compris.
Au Canada, dans les 10 dernières années, les dépenses publiques en santé des provinces ont augmenté de 7,7%. Le total des revenus des provinces a augmenté de 6,3%. Et le PIB (la production économique) a augmenté de 6,1%.
Ce que ça veut dire, c'est que les dépenses de santé augmentent plus vite que la taille de l'économie. À terme, ce n'est pas viable.
Et ce sera pire l'an prochain, parce qu'il n'y aura pas moins de malades, mais l'économie stagnera si elle ne se comprime pas. Pourtant, si on exclut les services sociaux, le Québec dépense déjà le tiers de son budget à la santé.
Alors ou bien on comprime le budget du Québec à d'autres chapitres. Mais où? L'éducation, l'autre gros morceau, crie famine à juste titre. Ou on augmente les impôts. Ou bien on freine les dépenses en santé... mais ça, ça ne ferait qu'aggraver le problème. De toute manière, mieux vaut l'oublier: les cohortes de nouveaux médecins censés venir soulager le système seront autant d'oxygène que de coûts supplémentaires. Le Québec demeurera-t-il longtemps la province où l'on dépense le moins en soins de santé par habitant?
Partout au Canada, on peine à maintenir l'attente à un niveau acceptable. Eh oui, M. Charest, même là où aucune Pauline Marois n'a mis à la retraite infirmières et médecins pour réduire les dépenses en raréfiant l'offre de services.
Pour passer du médecin généraliste au spécialiste, par exemple, il fallait attendre 11 semaines en 1998 au Québec comme en Ontario; c'est maintenant 19 au Québec, 15 en Ontario.
Oh, certains coins s'améliorent, certains services ciblés ont accéléré le processus, certaines statistiques sont plus encourageantes. Certaines listes d'attente sont plus montrables qu'avant. On ne va plus se faire soigner à Plattsburgh. Et puis, les données sont plus facilement disponibles.
Mais si Jean Charest se fait talonner avec l'insoluble problème des urgences, c'est bien de sa faute. D'abord, il n'a pas le goût de nous dire les vérités désagréables sur le système de santé, qui se dirige tranquillement vers l'impasse budgétaire. N'y a-t-il rien à faire? Mario Dumont a au moins cette vertu de secouer le pommier.
Et puis, Jean Charest est devenu premier ministre avec la santé comme «première priorité» (il y aura bientôt une «première priorité suprême»). Et entre tous les sous-thèmes de la santé, celui des listes d'attente. Il voulait même être jugé là-dessus. Qu'il s'avance donc à la barre pour nous dire à nouveau «les vraies choses» !
C'est ainsi que les politiciens vivent. Et leurs promesses, au loin, les suivent.
Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca


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